Hamadi Jebali : « Notre devoir est d’assainir le milieu des affaires »

Situation économique, limogeage du gouverneur, extradition de l’ancien premier ministre libyen, le chef du gouvernement tunisien s’exprime à l’occasion de son premier voyage officiel en France.

Hamadi Jebali, à Paris, le 28 juin. © Vincent Fournier/JA

Hamadi Jebali, à Paris, le 28 juin. © Vincent Fournier/JA

Julien_Clemencot

Publié le 29 juin 2012 Lecture : 5 minutes.

Paris, le 28 juin, réunis autour d’une immense table ronde, une pléiade de dirigeants d’entreprises françaises a répondu à l’invitation du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) pour écouter l’exposé du chef de gouvernement tunisien, Hamadi Jebali. A l’occasion de son premier voyage officiel en France depuis sa nomination en décembre 2011, le leader islamiste vient plaider la cause de son pays auprès des investisseurs tricolores, premiers partenaires étrangers de l’économie tunisienne. Avant de retrouver à Matignon le premier ministre français, Jean -Marc Ayrault, pour une séance de travail, Hamadi Jebali a accepté de répondre aux questions de Jeune Afrique.

Propos recueillis par Julien Clémençot.

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Jeune Afrique : Quel accueil avez-vous reçu de la part des chefs d’entreprise français ?

Hamadi Jebali : L’ambiance était amicale et franche aussi. Certainement, il y a  des préoccupations, notamment en matière de sécurité. C’est une question normale pour les hommes d’affaires, notamment après les récents incidents (autour d’œuvres d’art jugées blasphématoires par les salafistes, NDLR). Certes, il y a un danger. Il ne vient pas seulement des salafistes, mais de toutes les extrêmes. J’ai tenu à remettre ces évènements dans le contexte de l’après-révolution. Il ne faut pas exagérer. L’image actuellement donnée de la Tunisie n’est pas la réalité.

Ont-ils été convaincus par vos arguments ?

Ils ne sont pas seulement convaincus mais engagés. Il faut jouer le jeu. Certes, il y a un risque à investir dans une expérience démocratique.  J’ai essayé de les convaincre de ne pas attendre, de ne pas rester spectateur. Il faut être partie prenante, pour engager cette bataille pour l’édification d’un modèle démocratique.

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Quel signal envoie le limogeage de Kamel Nabli, gouverneur de la banque centrale, reconnu au plan international pour ses compétences ?

Je ne veux pas parler des affaires intérieures de mon pays en étant à l’extérieur. Mais croyez-moi, il n’y a pas de chasse aux sorcières le concernant. Nous respectons Monsieur Nabli et l’autonomie de cette institution. Effectivement, peut-être qu’il y a une approche différente avec Monsieur Nabli, mais cela doit se passer dans le respect des institutions, de la légalité et de la personne.

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L’Assemblée nationale constituante (ANC) doit maintenant voter cette décision ?

Cette demande doit être débattue au sein de l’ANC, attendons les résultats.

Avez-vous de bonnes nouvelles en matière d’investissement ?

Le résultat est là. Nous constatons une hausse de 42,8% des investissements sur les cinq premiers mois de l’année par rapport à 2011 (+12.4% par rapport à 2010, ndlr). Il y a un résultat tangible mais cela demande aussi plus de persévérance. Notre devoir, c’est d’assainir le milieu des affaires. Celui des investisseurs, c’est d’être plus percutant, plus courageux.

Une vingtaine d’hommes d’affaires privés un temps de passeport pour leurs liens supposés avec l’ancien système ont de nouveau le droit de voyager. Qu’en pensez- vous ?

C’est une bonne chose. Il faut trouver une solution pour que tous les hommes d’affaires (400 étaient concernés, NDLR) puissent de nouveau voyager. Il ne faut pas agir arbitrairement car la situation actuelle  pèse lourd en Tunisie. Mais la décision doit être prise par des juges dans le respect de la légalité.

Il n’y a pas de plan de privatisation pour les entreprises confisquées.

Que vont devenir les entreprises confisquées ?

Il n’y a pas de plan de privatisation mais il faut voir quel est le meilleur moyen de régler ces affaires. Ce sont des sociétés qui désormais appartiennent à l’Etat, à la communauté nationale. La plupart sont dans de mauvaises situations. Il faut trouver une solution rapide pour redonner de l’espoir aux hommes d’affaires car cela freine les investissements.

Les touristes étrangers reviennent en Tunisie, c’est une bonne nouvelle pour l’économie…

Absolument et pas seulement pour l’économie, mais pour la révolution tunisienne. C’est un signe encourageant. Il y a la volonté de participer à la réussite de la transition démocratique. Je suis reconnaissant aux touristes européens d’avoir eu le courage de faire le voyage pour la Tunisie nouvelle.

Le climat social tunisien s’apaise-t-il ?
Du point de vue du nombre, les grèves et les sit in diminuent. La situation revient presque à la normale. Nous devons continuer de travailler avec l’UGTT. Le puissant syndicat est notre partenaire dans la réussite de la révolution. Bien sûr il défend ses adhérents et c’est son rôle. L‘essentiel, c’est de toujours conserver un dialogue responsable qui tient compte des possibilités du pays.

Nous avons des espoirs avec tout le monde : l’Europe, et la France d’une façon particulière, l’Amérique, le Golfe…

Vous aviez placé beaucoup d’espoir dans vos relations avec les pays du Golfe…
Nous avons des espoirs avec tout le monde. L’Europe, et la France d’une façon particulière, l’Amérique, le Golfe. Notre politique est basée sur l’ouverture. Je ne sais pas pourquoi nous devrions nous priver comme l’a fait l’ancien régime de relations avec les pays arabes.

Est-ce qu’ils répondent présents ?
Je crois qu’ils ont la volonté d’avoir de bonnes relations avec la Tunisie et de faire réussir cette expérience (de transition démocratique, NDLR). Je crois qu’ils sont sincères comme l’Europe. Ils sont vraiment présents et partie prenante de cette révolution.

Le Maroc a revu ses objectifs de croissance à la baisse, qu’en est-il pour la Tunisie ?
Nous les maintenons. Nous avons fait un très bon résultat au cours des quatre premiers mois de 2012, avec une croissance en progression par rapport de 2011 (le PIB tunisien s’est amélioré en glissement annuel de 4,8% durant le premier trimestre 2012, NDLR).

Dimanche 24 juin, le gouvernement tunisien a pris la décision d’extrader vers son pays l’ex-premier ministre libyen. Etait-ce une nécessité ?
Il y avait un impératif de principe. Nous avons eu une révolution, eux aussi. Je crois que ce monsieur est un criminel. Il y a eu une décision de la justice tunisienne, de l’ancien gouvernement et de l’actuel. Il y a des accords qui nous lient avec Libye. Je crois que nous avons rempli toutes les conditions pour extrader ce monsieur. C’est à la justice libyenne de s’en occuper. Nous sommes très confiants dans le fait que nos frères libyens respectent leur engagement de vraiment rassembler toutes les conditions légales et de respecter les droits l’homme pour que la procès soit légal.

Vous avez reçu des assurances allant dans ce sens ?
Nous avons tout simplement reçu l’engagement des autorités libyennes qu’ils mèneront cette opération dans les règles de l’art, le respect des droits de l’homme et garantiront un procès équitable. Nous faisons confiance à nos frères libyens.

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