Tunisie : quand les imams radicaux se rebellent

Depuis une semaine à Sfax, chaque vendredi, des agitateurs salafistes empêchent la prière du vendredi de se dérouler sereinement. Objectif : protester contre le limogeage d’une vingtaine d’imams radicaux par le ministre des Affaires religieuses.

Des Tunisiens manifestent contre le limogeage d’un imam proche du parti islamiste Ennahda, à Tunis, le 21 octobre 2015. © Mohamed Khalil / AFP

Des Tunisiens manifestent contre le limogeage d’un imam proche du parti islamiste Ennahda, à Tunis, le 21 octobre 2015. © Mohamed Khalil / AFP

Publié le 23 octobre 2015 Lecture : 3 minutes.

Les vendredi finissent par se ressembler à Sfax (centre est). Comme la semaine dernière, la prière du vendredi a encore été empêchée, ce 23 octobre, par des pratiquants qui ont protesté violemment contre le limogeage de Ridha Jaouadi, l’ancien imam de la mosquée Sidi Lakhmi. Le 16 octobre, la virulence des manifestants était telle que le nouvel imam, qui officiait depuis deux semaines, a dû quitter les lieux et la prière a été annulée.

Ce 23 octobre, les forces de l’ordre ont dû évacuer la mosquée. Du jamais vu en Tunisie. « Plus rien n’est sacré, on se serait cru dans un stade, raconte un fidèle, outré. C’est scandaleux d’utiliser les mosquées à des fins politiques ou idéologiques. Que l’on ne vienne pas nous parler de liberté de culte : tous ceux qui refusaient l’actuel prêcheur brandissaient quatre doigts de leur main droite en signe de soutien aux Frères Musulmans ».

  • Qui dirige le mouvement, qui le soutient ?
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À l’origine du mouvement de protestation, le syndicat des imams dépendant de l’Organisation tunisienne du travail (OTT), de tendance pro-islamiste. Il conteste le limogeage d’une vingtaine d’imams – sur les 18 000 que compte le pays dont les prêches ont été jugés extrémistes par le ministre des Affaires religieuses, Othman Battikh.

Habib Ellouze, un ultra du parti islamiste d’Ennahda qui a fait de Sfax son fief, a manifesté son appui au mouvement à de nombreuses reprises

Évincé de la mosquée de Sidi Lakhmi, l’imam Ridha Jaouadi, dont les propos violents ont été répétés à plusieurs reprises, a été le premier à s’élever contre ces décisions. Au nom de la liberté de culte, il mène une campagne contre le ministre et finit, en apparaissant dans tous les médias, à personnifier son combat. Mais il n’est pas seul : Habib Ellouze, un ultra du parti islamiste d’Ennahda qui a fait de Sfax son fief, lui a notamment manifesté son appui à de nombreuses reprises.

  • Qui est l’imam Ridha Jaouadi ?

L’imam Ridha Jaouadi (42 ans) est le président de l’association El-Khataba Wal Ôuloum Al-Chariâ, dont les sources de financement demeurent obscures. Il s’oppose régulièrement à l’État, qu’il vitupère dans ses prêches. Cet imam au discours extrémiste avait convié, en 2012 et 2013, des prédicateurs salafistes incitant au jihad, à l’islamisation de l’éducation et à l’excision des filles. En juillet 2015, 80 députés avaient demandé son limogeage mais l’imam s’était engagé à modérer ses propos et à se conformer aux règles sur les lieux de culte. Promesse non tenue qui lui vaut son éviction. Il profite de cette situation pour se présenter en martyr.

  • Qui est le ministre des Affaires religieuses, Othman Battikh

Natif de la médina de Tunis, le ministre des Affaires religieuses, Cheikh Othman Battikh (74 ans), a exercé en tant que magistrat au Tribunal de première instance de Tunis, avant d’enseigner le fikh à l’Université de la Zitouna. Ancien mufti de la République (à partir de 2001), ce spécialiste en théologie qui a suivi l’enseignement de Mohamed Fadhel Ben Achour, a annoncé la reprise de contrôle des mosquées dès son entrée au ministère en février 2015.

  • Sur quelles bases se fonde l’autorité du ministre ?
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Les imams en Tunisie sont désignés par le ministère des Affaires religieuses qui peut mettre fin à leur mission à tout moment sans avoir à se justifier de cette décision. Depuis le changement de régime en 2011, plusieurs imams, souvent autoproclamés, ont investi des mosquées avec l’appui des courants salafistes. Foyers d’incitation au jihad et à la violence, près de 800 mosquées ont échappé au contrôle de l’État sous la gouvernance de la troïka entre 2012 et 2013.

L’actuel gouvernement a mis un frein aux dérives en fermant les lieux de culte problématiques et en écartant les imams aux positions radicales. Il ne fait qu’appliquer les lois relatives aux lieux de prière et au déroulement du culte qui stipulent également que toute perturbation dans les mosquées est punie de 6 mois d’emprisonnement et de 230 euros d’amende.

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