Alpha, IBK et la marmite
Quel est le secret d’Alpha Condé ? À 77 ans, le président fraîchement réélu de Guinée a l’appétit du jeune homme devant un Big Bucket de chez KFC. Une faim politique s’entend, une fringale d’action, car, côté table, celui qui s’honorait lors de ses années d’exil de cuisiner « le meilleur gigot de Paris » a la gourmandise d’un ascète.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 26 octobre 2015 Lecture : 4 minutes.
Alpha mange peu, boit encore moins, mais n’est jamais aussi à l’aise que lorsqu’il mouille ses chemises Pathé’O sur les estrades de campagne. Et quelle campagne ! Des semaines à labourer la Guinée, en avion, en hélico, en 4×4, à pied, à tenir meeting, à dialoguer avec le peuple, à débiter bilan et programme sans jamais – ou presque – nommer ses adversaires, comme s’il feignait de les ignorer. Y a-t-il eu des fraudes ? Dans ce domaine comme dans d’autres, « la Guinée n’est pas le Danemark », a reconnu Condé et ont constaté les observateurs : oui, petits tripotages il y a eu, sans doute, de part et d’autre d’ailleurs, avec, dans ce domaine aussi, une prime au sortant.
Mais rien, manifestement, qui remette sérieusement en question la légitimité de ce « KO premier tour » arraché dans les ultimes rounds de la campagne, quand le président chef de chantier a appuyé sur le bouton du grand barrage de Kaleta après avoir fait travailler jour et nuit des brigades stakhanovistes d’ouvriers chinois et guinéens pour réussir ce coup de poker préélectoral. « Le communisme, disait Lénine, c’est les soviets plus l’électricité. » La Guinée, c’est Alpha plus la lumière : l’ancien dirigeant marxiste de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) appréciera la comparaison. Pendant des années, Condé a soulevé les poids d’une salle de musculation du 6e arrondissement de Paris, histoire d’entretenir sa forme de militant. Aujourd’hui, il a un coach sportif venu de New York. Cours Alpha, cours, le vieux monde est derrière toi…
Lorsqu’il écrit un roman, Monénembo cisèle sa plume et il me captive. Quand il polémique, peulitude en bandoulière, il la trempe dans le fiel
Comme beaucoup d’entre vous, j’apprécie l’écrivain guinéen Tierno Monénembo, 68 ans, Prix Renaudot 2008, douze romans au compteur, édité au Seuil depuis trois décennies. Mais pourquoi diable l’auteur de Peuls, du Roi de Kahel et du Terroriste noir, justement salués dans nos colonnes, se fourvoie-t-il en politique ? Pourquoi cette longue éructation vomie au lendemain de la réélection « simplement abjecte » d’Alpha Condé, accusé de « brûler le pays, falsifier la mémoire, démanteler les ethnies » ? Pourquoi traiter ceux qui ne pensent pas comme lui de « chefs d’État véreux, diplomates galeux, journalistes lèche-cul, mafia sicilienne » ? Pourquoi assimiler son combat à celui de « De Gaulle devant les nazis » [sic] ? Lorsqu’il écrit un roman, Monénembo cisèle sa plume et il me captive. Quand il polémique, peulitude en bandoulière, il la trempe dans le fiel. Et il me fait peur.
S’il lit les lignes qui précèdent, nul doute que Tierno Monénembo me clouera (si ce n’est déjà fait) au pilori de « cette saloperie d’internationale bureaucratique » qu’il appelle à balayer. Et avec moi le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, puisque IBK est un ami et un camarade du socialiste Condé. IBK ! Rencontré cette semaine à Paris dans sa suite du Meurice, en marge de sa visite officielle en France. Les drapeaux maliens sur les Champs-Élysées devant lesquels toute la diaspora accourt pour se faire photographier, l’hymne national joué sous l’arc de Triomphe, la Grand-Croix de la Légion d’honneur, l’avis de décès de son grand père mort à Verdun en 1917, l’Ossuaire de Douaumont et le Carré musulman…
IBK avoue qu’il ne s’« attendait pas » à de tels honneurs pour lui et son pays. Surtout que, depuis un an, d’incompréhensions politiques en acharnement médiatique, il avait fini par bouder volontairement Paris
C’est beaucoup, presque trop pour ce chef d’État incurablement sentimental sous ses allures de gros matou patelin. Celui qui aura le lendemain, au cours du dîner d’État à l’Élysée, des accents à la Malraux – l’imparfait du subjonctif en plus – pour saluer l’amitié qu’il porte à François Hollande avoue qu’il ne s’« attendait pas » à de tels honneurs pour lui et son pays. Surtout que, depuis un an, d’incompréhensions politiques en acharnement médiatique, il avait fini par bouder volontairement Paris, ne s’y arrêtant qu’entre deux avions, le temps d’une escale.
Alors, comme ce jour d’avril 2014, quand Hollande avait traversé toute la salle où se tenait le sommet UE-Afrique de Bruxelles pour venir l’embrasser et lui glisser un « Tiens bon ! Je suis avec toi » à l’oreille (une enquête sur ses liens avec l’homme d’affaires corse Michel Tomi venait juste d’être publiée à la une d’un quotidien du soir), Ibrahim Boubacar Keïta verse une petite larme. Avant de prendre congé, la même angoisse me taraude : quel est le secret d’Alpha ? Lui qui le connaît depuis si longtemps doit bien le savoir ! Une marmite malinkée ? Des marabouts chinois ? IBK rigole : « Rien de tout cela cher ami » – il donne du cher ami aussi aisément qu’il parle de lui à la troisième personne, cela fait partie de son charme -, « rien de tout cela. Alpha est mon aîné de sept ans. Qui suis-je pour vous révéler quoi que ce soit ? » Et qui suis-je pour poser de telles questions ?
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