De l’électricité dans l’air

Tous les moyens doivent être mobilisés pour permettre à l’Afrique d’atteindre son objectif : équiper les 500 millions de foyers qui n’ont toujours pas le courant.

Mise en service en juillet 2011, la centrale de Kuraymat (Égypte) est l’une des premières au monde à utiliser une technologie hybride combinant le gaz et le solaire. © Paul Langrock/Zenit-LAIF-REA

Mise en service en juillet 2011, la centrale de Kuraymat (Égypte) est l’une des premières au monde à utiliser une technologie hybride combinant le gaz et le solaire. © Paul Langrock/Zenit-LAIF-REA

ProfilAuteur_MichaelPauron

Publié le 1 juillet 2012 Lecture : 4 minutes.

Les besoins et les défis africains en matière d’énergie sont connus : le continent dispose d’une capacité de 114 GW seulement pour 1 milliard d’habitants. D’ici à 2030, il lui faudrait atteindre 700 GW pour satisfaire la demande. Une situation qui, outre le drame humain qu’elle engendre, se répercute sur le développement économique. L’Afrique subsaharienne est ainsi la seule région au monde où la population n’ayant pas accès à l’électricité augmente – 500 millions de foyers aujourd’hui. Sa capacité installée de 74 GW équivaut à celle de l’Espagne, qui ne comptait que 46 millions d’habitants en 2011. Selon Paul-Harry Aithnard, directeur de la recherche chez Ecobank, « les perspectives de croissance économique sont compromises si les problèmes énergétiques ne sont pas gérés : sans difficulté d’accès à l’énergie, la croissance serait supérieure de deux points. En outre, un investisseur étranger sur trois classe l’énergie comme premier obstacle au développement ».

Les perspectives de croissance économique sont compromises si les problèmes énergétiques ne sont pas gérés.
Paul-Harry Aithnard, directeur de la recherche chez Ecobank

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Le défi est donc de convaincre les investisseurs, car l’argent reste le nerf de la guerre. Les besoins sont estimés entre 30 et 50 milliards de dollars par an (entre 23,7 et 39,5 milliards d’euros). Or seul un quart est aujourd’hui financé. Pour Paul-Harry Aithnard, « les États ne peuvent pas être seuls ». Les bailleurs de fonds en ont bien conscience. La Société financière internationale (SFI, Banque mondiale) a engagé 400 millions de dollars dans douze projets et huit pays. La Banque africaine de développement (BAD) mise de son côté sur les énergies renouvelables, par exemple à travers la centrale géothermique de Menengai, au Kenya, au potentiel de 1 600 MW, pour laquelle elle investit 500 millions de dollars. Quant à l’Agence française de développement (AFD), elle a placé 7,5 milliards d’euros dans l’énergie, dont 40 % en Afrique, notamment dans quatre projets hydrauliques et deux projets solaires…

Mais ce soutien ne suffit pas. Et les investisseurs privés, eux, reculent face au manque de rentabilité et à l’environnement des affaires peu engageant, alors que « les capitaux ne manquent pas », selon John Ravaloson, directeur général d’Arborescence Capital, un fonds d’investissement spécialisé dans le solaire. « Les tarifs actuels ne permettent pas de couvrir les investissements », assure-t-il. Sans compter que, bien souvent, « un cadre juridique et des assurances (et réassurances) adéquats font défaut, de même que des outils garantissant la pérennité pour attirer ces capitaux, car ce sont des besoins de long terme pour une planification à quinze ou vingt ans », poursuit-il.

Désinhiber

Les fonds publics continuent de former le coeur des investissements, car ils peuvent permettre de désinhiber les investisseurs privés. Pour Delphine Siino Courtin, du cabinet d’avocats Clifford Chance, « un projet est rentable si la régulation est bonne, si une gestion des risques est assurée et si la loi permet de prendre en charge les défauts de paiement : les gouvernements ont un rôle à jouer ».

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Or l’environnement des affaires reste peu attractif, notamment parce que les réformes réglementaires des années 1980-1990 sont inachevées, les tarifs sous-évalués, les sociétés d’électricité nationales souvent déficitaires… Elles ne paient pas et la planification manque de visibilité. Tarifs discrétionnaires, règles imprécises… la réglementation est trop vague. Les gouvernements acceptent difficilement de dédommager les investisseurs en cas de changement de législation. Et les procédures impartiales de règlement des litiges se font toujours désirer. De quoi dissuader.

Paul-Harry Aithnard estime qu’il faut compter sur la libéralisation, partielle ou totale. « L’Ouganda, le Kenya et le Cameroun privatisent plus ou moins, mais aucun pays africain n’est complètement libéralisé. Chez les autres pays émergents, l’expérience a pourtant montré que les tarifs plafonnés ne marchent pas, qu’il faut éviter les projets trop lourds, ne pas en réaliser trop en parallèle, privilégier les programmes transfrontaliers, indexer les prix sur ceux de l’énergie et, bien sûr, ne pas renégocier les contrats en cours de route. »

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Priorités variables

L’Agence internationale de l’énergie estime que le secteur privé pourrait assurer 20 % des financements, tandis que l’aide au développement pourrait prendre en charge 30 % à 40 % des besoins, et les États le reste. Mais les situations et les marges de manoeuvre sont très différentes d’une région à l’autre : du côté de l’endettement comme de celui de l’état des installations… « Si un pays s’endette, ses priorités sont variables et concurrentes (routes, éducation, santé, etc.) », rappelle Christian de Gromard, de l’AFD. Dans certaines zones, la croissance interne pourrait suffire à débloquer les fonds. En Afrique de l’Est, par exemple, les grandes découvertes de gaz au large des côtes vont renforcer la mise en place d’infrastructures transcontinentales entre l’Angola, la Zambie, la RD Congo et le Mozambique, ou de structures telles que le port de Lamu au Kenya. L’Afrique du Nord, elle, donne sa priorité au solaire, alors que l’Afrique sahélienne, avec peu de ressources disponibles, reste dépendante du thermique et doit se relier à l’Afrique de l’Ouest.

Dans tous les cas, il faudra compter sur une décentralisation de l’énergie : deux tiers de la production d’électricité ne seront pas connectés au réseau national (« off grid »). « Les grands projets ne suffiront pas, assure John Ravaloson, il faut des énergies renouvelables « mobiles » et un bond technologique comme celui qui a été observé dans la téléphonie. » D’après lui, c’est notamment possible dans le solaire, pour des investissements de taille modeste, grâce à la rapidité des avancées technologiques. « En un an, on peut construire une unité de 50 MW de capacité et alimenter une ville ou couvrir les besoins en énergie d’une exploitation minière. » Mais les défis sont immenses. Les infrastructures de transmission et de distribution sont vétustes : toute injection de puissance nécessite un aménagement du réseau. Enfin, l’efficacité énergétique devra être au coeur des projets : 20 % à 50 % de l’électricité produite sont actuellement perdus.

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