Nigeria : la Banque centrale mène sa guerre d’indépendance
Deux projets de loi visent à placer la Banque centrale nigériane sous le contrôle du Parlement. Un moyen de limiter la marge de manoeuvre de son bouillonnant gouverneur, Sanusi Lamido Sanusi.
Pour l’intraitable gouverneur de la Banque centrale du Nigeria (BCN), qui a beaucoup oeuvré pour l’assainissement du système bancaire local, l’horizon pourrait s’obscurcir. Sanusi Lamido Sanusi, 50 ans, sacré fin 2011 « personnalité africaine de l’année » par le magazine Forbes, est en effet sous le feu de parlementaires qui cherchent à réduire sa liberté d’action. Deux projets de loi actuellement en débat pourraient autoriser l’Assemblée nationale à auditer et approuver le budget de la BCN « dans une volonté de transparence fiscale et de responsabilité » et à nommer les membres de son conseil d’administration. Jusqu’à présent, ces derniers étaient désignés, comme le gouverneur, par le président de la République et ils agissaient en toute indépendance durant leur mandat de cinq ans. « Mais il n’y a pas de pouvoir sans contrôle », martèle le vice-président du Sénat, Ike Ekweremadu (élu du parti présidentiel), qui défend ces deux projets.
« S’ils sont adoptés, ils réduiront l’autorité de la banque en la plaçant sous contrôle politique. Ce n’est pas dans l’intérêt de l’économie », a expliqué Sanusi Lamido Sanusi au Financial Times le 6 juin. Est-ce un hasard ? Le 13 juin, le gouverneur a surpris le personnel de la BCN en débarquant au bureau vêtu de l’habit de chef traditionnel, abandonnant son costume et son habituel noeud papillon. Le petit-fils de sir Muhammadu Sanusi, le dernier émir de Kano (la deuxième ville du pays), a voulu rappeler sa lignée à ses adversaires et leur montrer qu’il était prêt au bras de fer.
Volontiers critique, la Banque centrale du Nigeria est l’une des seules institutions du pays à conserver son crédit.
Car aujourd’hui la BCN est l’une des seules institutions du pays à conserver son crédit, tant sur le plan national qu’à l’échelle internationale. À plusieurs reprises, le gouverneur n’a pas hésité à critiquer les dépenses excessives du gouvernement ou à contester des projets de loi. Pour de nombreux observateurs, les débats actuels relèvent bien d’une tentative de mise sous contrôle politique, ce que dénoncent d’anciens ministres, des membres du conseil d’administration de la banque ainsi que la plus grande organisation patronale du pays.
Grand ménage
Mais il faut dire que, depuis sa nomination en juin 2009 à la tête de la BCN, Sanusi Lamido Sanusi ne s’est pas fait que des amis. Il a réformé le système bancaire à un train d’enfer, renflouant huit banques (cumulant près de 8 milliards d’euros de dettes) sur les dix jugées sous-capitalisées au terme d’un audit général, et limogeant autant de patrons soupçonnés de pratiques frauduleuses. Plusieurs d’entre eux ont été condamnés par la justice, dont la très médiatique Cecilia Ibru, ex-PDG d’Oceanic Bank. Les nouvelles équipes nommées par le gouverneur ont dénoncé les fraudes, sorti les dettes des bilans (en les transférant au fonds public Amcon) et restauré l’équilibre des comptes, détruisant de nombreux emplois. Intercontinental Bank et Oceanic Bank, deux des établissements les plus touchés, ont ainsi licencié 2 600 personnes.
Ce grand ménage a permis de restructurer et d’assainir les banques nigérianes. Mais, conjugué à la volonté de Sanusi Lamido Sanusi de réformer la fiscalité et les marchés financiers, il lui a valu de sérieuses inimitiés. Celles-ci s’expriment désormais au Parlement.
Le gouverneur reste néanmoins confiant. Il ne croit pas à l’adoption de ces projets de loi dans un contexte économique troublé. « Ce serait contre-productif et tomberait mal compte tenu de ce qui se passe sur le marché des devises [où le naira a fortement chuté par rapport au dollar, NDLR] », souligne-t-il. Appelé à intervenir fin mai devant les parlementaires, Sanusi Lamido Sanusi a expliqué que ses services avaient étudié le statut des banques centrales dans 40 pays. Et il n’en existe, selon lui, qu’un où le budget de la banque est soumis à un contrôle politique : le Zimbabwe…
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