Mali : les Rencontres de Bamako, au-delà de la photo
Ouvertes le 31 octobre, les 10e Rencontres de Bamako, biennale africaine de la photographie se tiennent dans la capitale malienne jusqu’au 31 décembre, après une annulation en 2013.
En temps de crise, tout signal positif est bon à prendre. La dixième édition des Rencontres de Bamako, biennale africaine de la photographie, aurait dû avoir lieu en 2013. La guerre qui a frappé le Mali en a décidé autrement et ce n’est qu’aujourd’hui, du 31 octobre au 31 décembre, que cet événement attendu des photographes du continent peut enfin avoir lieu. « Après trois années d’interruption dues aux graves événements que le Mali a vécu, la biennale est bel et bien de retour pour dire le temps de la paix », a ainsi déclaré la ministre de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme, N’Diaye Ramatoulaye Diallo, lors de l’ouverture officielle. Un discours partagé par le délégué général de la Biennale, Samuel Sidibé, qui n’a jamais cessé de croire à l’importance de ces rencontres culturelles malgré « les années d’attente, d’interrogations et, parfois, de doutes. »
Au-delà des doutes et des problèmes budgétaires
Des doutes, il y en eut plus que nécessaire, et ils ne portaient pas seulement sur les conditions sécuritaires au cœur de la capitale malienne. En réalité, la question du financement de la manifestation, nerf d’une autre guerre, demeure le principal obstacle à sa pérennité. Chaque édition soulève le même problème : existe-t-il une véritable volonté politique d’asseoir les Rencontres de Bamako dans l’agenda malien ? Selon le Premier ministre Modibo Keïta, « sans la présence des artistes, le monde aurait été très sombre. L’art est aux antipodes de la violence, l’art est aux antipodes de l’intolérance. » Belles paroles, qui ne signifient pas pour autant que le gouvernement soit aisément disposé à mettre la main à la poche. « Trois semaines avant la date prévue pour le début de la Biennale, il fallait encore se battre pour essayer d’obtenir l’argent nécessaire à son organisation », confie Samuel Sidibé, qui a par ailleurs perdu la contribution autrefois substantielle de l’Union européenne. La perspective d’une nouvelle annulation ne semblait pas traumatiser les gardiens du budget de l’État. Après tout, à quoi sert une manifestation culturelle internationale ?
Au-delà des freins politiques et sécuritaires
La volonté manifestée par Samuel Sidibé et par la France à travers son bras culturel armé, l’Institut français, ont néanmoins fini par l’emporter. Le budget, environ 620 000 euros, a pour la première fois été bouclé grâce aux participations à parts égales de l’Institut français et du Mali (250 000 euros chacun), le reste étant apporté par différents sponsors, dont la compagnie aérienne Royal Air Maroc. L’État malien a lui seul a apporté 130 000 euros. « On a compris, à un moment donné, que l’échec serait celui du Mali et non celui de la Biennale. Les hommes politiques doivent être convaincus que ce n’est pas l’argent qui fait les choses, mais les projets », souligne Samuel Sidibé, qui n’ignore rien des difficultés du pays – un budget de fonctionnement amputé de près de 40 % aux deuxième et troisième trimestre 2015 – et de ses priorités.
Ces dixièmes Rencontres de Bamako montrent une claire poussée de la photo plasticienne, aux dépens du photoreportage classique
Au bout des comptes, puisqu’il s’agit de cela, cette dixième édition des Rencontres de Bamako bénéficie d’un budget honorable, supérieur en tout cas à la précédente édition. Sans doute faut-il s’en réjouir puisqu’elle était très attendue : quelque 800 photographes du continent ont fait acte de candidature, contre environ 250 lors de l’édition précédente. Trente-neuf d’entre eux ont eu la chance de voir leur dossier sélectionné pour l’exposition panafricaine, organisée au musée national du Mali, sur la thématique généraliste « Telling Time ».
Au-delà des crises et de la violence
Trente-neuf travaux de photographes, c’est autant de regards, autant de points de vue. Le thème choisi par la commissaire nigériane de la Biennale, Bisi Silva, invitait les artistes à se pencher sur le vécu récent du pays. « En choisissant ce titre, je voulais parler du temps que nous sommes en train de vivre, le temps de la crise au Mali, mais aussi le temps consacré à la combattre. » Indisciplinés comme de juste, les artistes ont répondu à leur manière : à côté, de travers, en diagonale et au-delà du sujet.
Bien entendu, le temps de la crise est présent. Les photographies du malien Seydou Camara rappellent la destruction d’une partie des manuscrits de Tombouctou, celles de son compatriote Emmanuel Bakary Daou l’épidémie d’Ebola, celles du Burkinabè Hippolyte Sama l’insurrection populaire contre Blaise Compaoré en 2014, celles du Congolais Jean Euloge Samba la terrible explosion de Mpila, à Brazzaville. La problématique religieuse, au cœur de la crise malienne, se signale dans le travail du Malien Aboubacar Traoré qui, avec sa série Inchallah, présente des personnages dont les têtes sont entièrement recouvertes d’une calebasse noire. Quoiqu’un peu caricaturale, cette dénonciation de l’obscurantisme a le mérite d’être claire. Un temps envisagé pour servir à la signalétique visuelle de la Biennale, son travail a été écarté au profit de celui de la Sud-Africaine Lebohang Kganye. Samuel Sidibé s’en explique sans détours : « Les photos sont dans l’exposition, mais j’ai refusé que l’image de la calebasse noire sur la tête soit utilisée pour l’affiche parce que je ne souhaitais pas que la question religieuse soit au cœur de la Biennale. »
Au-delà de l’instant décisif
Mais qu’il s’agisse du travail de Traoré ou de celui de Kganye, ces dixièmes Rencontres de Bamako montrent une claire poussée de la photo plasticienne, aux dépens du photoreportage classique, pour ne pas dire frontal. Il ne s’agit plus de témoigner du réel, mais plutôt de trouver de nouveaux moyens de le traduire dans un monde noyé de pixels où chacun piège sa vie dans la mémoire de son smartphone. « Je voulais aller au-delà du photoreportage et de la photo documentaire et les propositions qui nous sont parvenues montrent une claire orientation dans ce sens », confirme Bisi Silva. Jeux sur les temps de pause, photomontages, mises en scène sont ainsi fréquemment utilisés pour aller au-delà de « l’instant décisif ».
Le travail de Lebohang Kganye, l’un des plus frappants de cette Biennale, joue ainsi sur les superpositions et les mises en abyme. Avec « Her-Story », elle superpose sa propre image à celle de sa mère dans des lieux où celle-ci a été photographiée. Dans « Heir-Story », elle se met en scène habillée du même costume que ce grand-père qu’elle n’a pas connu, dans un décor de photographies en noir et blanc développées jusqu’à acquérir taille humaine et contre-collées sur carton. « J’essaie de faire face à la perte en superposant des couches temporelles », explique-t-elle, reconnaissant sans détour son intention de « recréer » son grand-père.
Plus politique, le Nigérian Uche Okpa-Iroha a trouvé le moyen de s’incruster dans Le Parrain, film iconique de Francis Ford Coppola sorti en 1972. Sa série « The Plantation Boy » le montre dans des images du long-métrage, notamment aux côtés de l’acteur Marlon Brando… Une manière pour le photographe de signaler la trop longue absence des acteurs africains-américains dans l’industrie cinématographique américaine.
Avec une manipulation habile des temps de, l’Algérien Nassim Rouchiche s’est pour sa part intéressé au quotidien d’immigrés subsahariens vivants dans l’un des immeubles les plus célèbres d’Alger, l’aéro-habitat de Louis Miquel. Ses images en noir et blanc captent des silhouettes translucides, sortes de fantômes hantant des espaces désolés. « Dans un pays qui ignore la présence de ces immigrés venus du Sud, j’ai voulu dire la fragilité de leur situation, leur quasi invisibilité, et provoquer un frisson des consciences », dit-il.
Au-delà de la guerre
Un frisson des consciences, c’est sans doute à cela que peut servir une Biennale de photographie. Mais celle-ci viendra aussi prouver que le Mali renoue avec sa normalité, pour une période que chacun espère la plus longue possible. Le 7 mars dernier, un attentat frappait le restaurant La Terrasse, en plein centre de Bamako. Aujourd’hui, le lieu a changé de nom : il s’appelle le Doodoo et accueille une exposition du collectif malien Jaabuguso baptisée « Jour, le jour ». Les hommes politiques qui connaissent le pouvoir des symboles pourraient trouver là matière à méditer sur celui des arts et de la culture.
>> Jeune Afrique est partenaire des Rencontres de Bamako, un événement organisé par le ministère de la Culture du Mali et l’Institut français.
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