Témoignages : le simple droit à la différence des homosexuels algériens

En Algérie, homosexualité rime souvent avec calvaire. Religion, rencontres, pression sociale et répression… Trois militants LGBT (lesbienne, gay, bi, trans) ont accepté de témoigner de leur vie quotidienne en dépit des risques qu’ils encourent dans leur pays.

En Algérie, l’homosexualité est délit est puni par les articles 333 et 338 du Code pénal. © Sergei Supinsky / AFP

En Algérie, l’homosexualité est délit est puni par les articles 333 et 338 du Code pénal. © Sergei Supinsky / AFP

Publié le 2 novembre 2015 Lecture : 4 minutes.

Zoheir Djazairi, Amazigh Aissa et Shahinez* sont gays et ils habitent à Alger. En octobre dernier, ils sont venus à Marseille pour suivre une formation mise en place par l’association des homosexuels musulmans de France (HM2F), l’association des musulmans progressistes de France (MPF) et la plateforme LGBT algérienne Trans Homo DZ. Dispensée par Mohamed Ludovic Zahed, premier imam à s’être marié avec un homme, celle-ci propose d’apporter des outils et des arguments solides pour déconstruire la pensée homophobe en Algérie. Une nécessité dans un pays où l’homosexualité est difficile à vivre en raison de la loi qui la pénalise et du rejet de la société. Témoignages.

Zoheir Djazairi, 38 ans, Alger : la dignité malgré la douleur

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Mes premières relations sexuelles avec des hommes m’ont beaucoup culpabilisé. À cette époque, je pensais que mon homosexualité était une maladie. Pour moi, la seule solution était de passer mon service militaire. Je me disais que ce monde « viril » allait soigner ma « déviance ». À l’armée, je suis tombé amoureux d’un camarade que j’ai fini par rejeter. Il représentait ma « rechute » dans la maladie. Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai commencé à m’assumer. Mais c’est encore difficile.

Je viens d’une famille très conservatrice, mes parents se sont rendus huit fois à la Mecque. Le discours violent des religieux en Algérie vis à vis de mon identité m’a fait rejeter l’islam. J’ai dû mal à me réconcilier avec ma religion à cause de ce que j’entends. Par exemple, dans mon pays, l’imam Chams Eddim qui lance régulièrement des appels à la haine contre les homosexuels, est une star de la télévision algérienne. Ici, les gens se radicalisent de plus en plus. Je reçois des menaces et des insultes liées à mon homosexualité. C’est à chaque fois très douloureux même si j’essaye de ne pas le montrer et rester digne.

Il y a un an, j’ai même dû quitter momentanément l’Algérie car je n’étais plus en sécurité. Aujourd’hui, j’ai co-fondé la plateforme Trans Homo Dz qui regroupe plusieurs associations LGBT algériennes, pour apporter un soutien et une protection aux homosexuels menacés dans mon pays. L’objectif est notamment d’organiser des procédures d’évacuation pour les personnes en situation de danger.

Shahinez*, 32 ans, Alger : l’homosexualité féminine est une réalité

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Il est très difficile de vivre son homosexualité surtout quand on est une femme. Nous ressentons plus que toute autre personne le poids de la société et de la religion sur notre destinée. Nous devons nous marier, avoir des enfants. Moi-même, j’ai cédé à la pression et je me suis fiancé à un homme alors que j’aimais les femmes. Heureusement, j’ai mis fin à cette relation car je ne voulais pas vivre dans le mensonge.

Je trouve que les dignitaires religieux ne font que répéter des discours haineux à l’égard des homosexuels. Cette position ne m’aide pas à me sentir musulmane

J’ai l’impression qu’en Algérie, la population ne fait pas de cas des lesbiennes. Pour la plupart des gens, l’homosexualité féminine n’existe pas. Il s’agit plutôt d’un fantasme sexuel et non d’une réalité. De plus, en tant que femme, il est très difficile de faire des rencontres. La majorité d’entre nous ne peuvent pas sortir toutes seules le soir ou sinon elles sont chaperonnées. Cette privation de liberté nous empêche de trouver des partenaires. Du coup, on se rencontre par le biais d’associations féministes.

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Comme moi, beaucoup de lesbiennes se retrouvent dans ces structures pour parler de leurs droits. En œuvrant pour les conditions de la femme, on œuvre également par extension pour les droits des homosexuelles. Pour moi, c’est très difficile de faire coïncider homosexualité et religion. Je trouve que les dignitaires religieux ne font que répéter des discours haineux à l’égard des homosexuels. Cette position ne m’aide pas à me sentir musulmane.

Amazigh Aissa, 27 ans, Alger : l’islam, une religion tolérante

À l’âge de 12 ans, j’ai réalisé que j’étais attiré par les garçons. Pour moi, c’était naturel. Et puis à quinze ans, un homme avec qui je discutais sur internet m’a dit que c’était haram (illicite). Je ne savais pas ce que je devais faire. À l’école je commençais à être rejeté, ma famille voulait que je devienne « viril ». J’essayais de contrôler ma voix aiguë et mes gestes pour ressembler à un « homme ». Parallèlement, pour être en règle avec l’islam, j’ai décidé de ne pas avoir de relations sexuelles.

En lisant attentivement le Coran, je me suis rendu compte que l’islam ne condamnait pas l’attirance homosexuelle

Mais, vers 20 ans, je me suis rendu compte que cette situation ne me satisfaisait pas. Il fallait que j’assume mon homosexualité sans pour autant rejeter ma religion. C’était vraiment vital pour moi. J’ai commencé à faire des recherches sur l’homosexualité dans l’islam pour trouver la paix intérieure. En lisant attentivement le Coran, je me suis rendu compte que l’islam ne condamnait pas l’attirance homosexuelle.

Même si au fond de moi j’étais convaincu que Dieu m’aimait malgré mon orientation, je me suis senti soulagé et compris après cette découverte. Aujourd’hui, je me consacre au militantisme car je veux transmettre mes recherches aux autres homosexuels algériens pour qu’eux aussi puissent vivre leur foi sereinement. Je ne pourrai jamais me sentir libre si un autre se sent condamné.

* Le prénom a été modifié

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