RFI : pour Ghislaine Dupont et Claude Verlon, la difficile quête de la vérité
Il y a deux ans, les corps des deux envoyés spéciaux de RFI au nord Mali, Ghislaine Dupont, journaliste de 57 ans, et Claude Verlon, technicien de 55 ans, avaient été retrouvés sans vie par des militaires français, dans la périphérie de Kidal.
Le groupe terroriste Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) avait aussitôt revendiqué leur assassinat. Dix-huit mois après l’ouverture d’une information judiciaire, alors que l’enquête piétine tant sur le terrain à Kidal pour des raisons de sécurité qu’à Paris face au secret-défense, on ne connaît toujours pas les auteurs du crime, ni leurs commanditaires et de nombreuses questions restent en suspens. « Que s’est-il réellement passé entre 13h00, l’heure de leur enlèvement, et 14h25, celle de la découverte des corps par les soldats français, soit plus d’une heure après, à 13 kilomètres seulement de la ville ?, s’interroge Me Christophe Deltombe, l’un des avocats des parties civiles. Pourquoi les soldats français ont-ils laissé s’échapper un homme qu’ils ont vu fuir au loin ? Qui a donné l’information sur ce crime avant même qu’on ne retrouve les corps… Des complices, des commanditaires ? Le décollage au même moment d’un hélicoptère de la Minusma a-t-il créé la panique ? Nous demandons juste la levée du secret-défense. Il n’est pas exclu que l’armée française dispose d’informations… »
De fait, les familles des victimes exigent depuis plusieurs mois la déclassification des documents militaires, mais la procédure en cours est plus lente que prévue. « On déplore le fait que cette demande faite par le juge Trévidic il y a 5 mois ait été laissée lettre morte jusqu’à maintenant. Le président de la République nous avait pourtant assuré qu’à partir du moment où elle était adressée officiellement au ministère de la Défense, elle devait être immédiate. Or, on ne comprend pas pourquoi ça traîne. Évidemment, ça provoque des suspicions. Ce qui est sûr, c’est que cet enlèvement a eu lieu dans un moment assez trouble, où la libération des otages français d’Arlit venait de se réaliser. Peut-être que leur présence dérangeait tout le monde ». Les quatre Français Thierry Dol, Daniel Larribe, Pierre Legrand et Marc Féret ont été libérés au Niger le 28 octobre 2013, après avoir été enlevés par Al Qaida en 2010. Les négociations pour leur libération s’était déroulées au nord du Mali.
Omerta de l’armée française
Pour sa part, Christine Muratet, journaliste au service Afrique de RFI, coordonnait la mission de ses deux confrères depuis Bamako. Elle considère qu’ils avaient pris leurs précautions avant d’aller dans le Nord. « Ghislaine et Claude avait déjà couvert l’élection présidentielle en juillet 2013 à Kidal. Ils connaissaient la région. Cette fois, ils s’y étaient rendus grâce à la Minusma (Mission des Nations unies au Mali) alors que l’armée française avait refusé de les emmener « pour des raisons de logistique ». Elle ne les avait pas dissuadé de monter pour des raisons de sécurité. L’ambiance était d’ailleurs « assez » sereine. Moi, je n’accuse pas l’armée française mais je note une omerta complète autant de son côté qu’au sein des communautés sur place à Kidal qui forcément savent ce qu’il s’est passé » estime celle qui suit l’affaire depuis le début.
Si les coïncidences dans le dossier sont nombreuses et troublantes, les hypothèses ne manquent pas à RFI. « Ils ont peut-être été assassinés par des intermédiaires qui n’auraient pas reçu leur récompense en échange de leur collaboration avec l’armée française », s’interroge un journaliste qui préfère garder l’anonymat… De son côté, le ministère de la Défense calme le jeu. Face à l’impatience des proches des victimes, il assure que la procédure est en cours. « Il n’y a pas de retard particulier », a précisé dans un communiqué le porte-parole du ministère, Pierre Bayle. Mais compte-tenu de la complexité et du volume du dossier, « il s’agit d’identifier l’ensemble des documents. (…) Il n’y a pas de difficulté de fond sur ce dossier, on y arrivera, le président s’y est engagé, le ministre aussi », a-t-il ajouté sur RFI.
Dans le bureau des reporters, la place de Ghislaine Dupont est restée longtemps vide, jusqu’à ce que la direction décide de réorganiser l’espace
« Difficile de faire son deuil sans savoir », dit-on. Une chose est sûre, le drame a marqué durablement les esprits à RFI. Christine Muratet a préféré prendre un peu de recul. Depuis la rentrée, elle a quitté le service reportage Afrique pour coordonner la rédaction des journaux du soir. Des photos, des caricatures, ici et là, ornent de manière discrète les différents services de la rédaction. Dans le bureau des reporters, la place de Ghislaine Dupont est restée longtemps vide, jusqu’à ce que la direction décide de réorganiser l’espace. Hasard ou pas, le service Afrique a été beaucoup renouvelé ces derniers temps et de jeunes journalistes ont été recrutés. « Il y a longtemps eu un traumatisme au sein du service Afrique. On se sentait tous un peu responsables, confie un journaliste. Avons-nous été assez prudents ? Pourquoi ne leur ai-je pas donné tel ou tel conseil. Malheureusement, cette culpabilité ne les a fait pas fait revivre pour autant. Alors, la seule chose « positive » dans tout ça, c’est que la direction a renforcé la sécurité des journalistes dans les zones sensibles ».
Deux jeunes Malgaches primés
En effet, le matériel a été en bonne partie renouvelé ou complété de nouveaux gilets pare-balles et de casques. Il y a désormais un « Monsieur Sécurité » à RFI, qui évalue les risques des missions, donne ou pas son accord. Et les stages de formation, préparations aux zones de conflit, sont désormais obligatoires pour tout reporter maison.
Enfin, RFI a lancé l’an dernier à Bamako la bourse Ghislaine Dupont et Claude Verlon pour rendre hommage à ses deux reporters assassinés. Cette bourse offre un mois de formation à Paris à un jeune technicien et à un jeune journaliste. Cette année, le prix a été décerné à deux jeunes Malgaches : Ando Rakotovoahangy, journaliste, et Hanitriniony Jhons Marry Ralainarivo, technicien de reportage. « RFI veut ainsi transmettre à une jeune génération de professionnels les valeurs du journalisme que Ghislaine et Claude défendaient l’un comme l’autre au quotidien, sur le terrain », peut-on lire sur le site de la « radio du monde ». « Ce qui caractérisait Ghislaine, dit-un journaliste, c’était sa quête de la vérité ».
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