Climat : faut-il compter sur les forêts africaines ?

Près de 20% des émissions de gaz à effet de serre pourrait être évités à travers la réduction de la déforestation et la conservation des forêts.

Les forêts du bassin du Congo représentent 90 % des forêts tropicales en Afrique et environ 80 % de la biodiversité africaine. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Les forêts du bassin du Congo représentent 90 % des forêts tropicales en Afrique et environ 80 % de la biodiversité africaine. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

assogoma
  • Symphorien Ongolo

    Symphorien Ongolo est un politologue camerounais, docteur de l’École polytechnique fédérale de Zurich et diplômé en Sciences de l’environnement de l’institut AgroParisTech et de Montpellier SupAgro.

Publié le 3 novembre 2015 Lecture : 3 minutes.

Croire que l’Afrique pourra réduire ou éviter sa déforestation en réponse au changement climatique est une vision utopique, voire naïve. Au contraire, la conversion des terres forestières à d’autres usages (agro-industriels, miniers, infrastructures, exploitation du bois, etc.) devrait s’accélérer en Afrique dans les prochaines années pour plusieurs raisons, qu’il s’agisse des chantiers agro-industriels, de l’agriculture de subsistance ou de la collecte du bois d’énergie dont plus de 70% des ménages du continent dépendent pour leur survie.

Les forêts africaines : une affaire de « bien public mondial » ou de souveraineté nationale ?

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Le clivage majeur qui sous-tend les relations Nord-Sud autour de la gouvernance des forêts tropicales est celui de la définition de leur fonction prioritaire de fourniture de services que ces écosystèmes rendent à la planète d’une part, ou de réservoir de ressources naturelles à disposition des pays qui en disposent et aspirent à les exploiter en toute souveraineté, d’autre part.

Dans le premier cas, les forêts sont considérées comme un atout planétaire destiné à contribuer prioritairement à la régulation du climat, à l’amélioration de la qualité de l’air et à la préservation de la biodiversité. À ce titre, les forêts du bassin du Congo – deuxième plus grand massif forestier du monde après l’Amazonie – sont au centre de toutes les attentions dans les arènes de la gouvernance climatique. Ces forêts d’une superficie estimée à 200 millions d’hectares, représentent 90% des forêts tropicales en Afrique et environ 80% de la biodiversité africaine. Dans les arènes de la gouvernance climatique, les forêts du bassin du Congo sont perçues comme un « bien public mondial » de par les services éco-systémiques rendus à la planète.

L’Afrique est (re)devenue le terrain de jeu de divers intérêts agro-industriels en quête de nouvelles terres, comme opportunités de spéculations agricoles ou de garantie de souveraineté alimentaire des pays investisseurs

La notion de bien public mondial fait référence à la catégorie des biens non tangibles dont la jouissance par un acteur ne peut être entravée (non exclusion) ou ne peut nuire (non rivalité) à la jouissance d’un autre acteur. Le Congo ne peut par exemple pas empêcher les citoyens australiens de profiter de l’apport des forêts congolaises dans la régulation du climat global, tout comme les bénéfices environnementaux tirés par l’Australie ne compromettent pas ceux des citoyens congolais.

Dans le second cas, l’exploitation des ressources naturelles des forêts constitue la priorité des gouvernements africains pour qui les ambitions de prospérité économique de leurs pays prévalent sur les considérations environnementales planétaires. Environ 80% des nouvelles conversions de terres à d’autres usages à l’échelle globale se font au détriment des espaces forestiers. À ce titre, l’Afrique est (re)devenue le terrain de jeu de divers intérêts agro-industriels en quête de nouvelles terres, comme opportunités de spéculations agricoles ou de garantie de souveraineté alimentaire des pays investisseurs.

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Le potentiel du sol et du sous-sol des forêts africaines (bois, terres arables, minerais) est au centre de revendications plurielles pour une gestion coutumière (par les populations) ou souveraine (par les gouvernements) qui disposent de ces espaces. Dans les pays sahéliens par exemple, le bois – malgré sa rareté – demeure une ressource majeure pour la cuisine des ménages tant en milieu rural qu’urbain. En Afrique centrale, c’est environ 60 million de personnes qui dépendent directement des forêts pour leur survie au quotidien. À l’échelle nationale, d’importants revenus fiscaux (mais aussi personnels) des bureaucraties d’État proviennent des activités plus ou moins formelles d’exploitation du bois, des mines, et des transactions foncières.

Quelles conditions pour une contribution durable des forêts africaines au climat ?

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En Afrique, la mise en œuvre de politiques de réformes forestières favorables à l’atténuation du changement climatique doit faire face à de nombreux défis dont nous en soulignons ici quatre parmi les plus importants :

  • sortir de la surenchère internationale de promesses de financements, pour adopter des mesures incitatives concrètes et suffisamment attractives par rapport aux options de conversion des terres forestières à d’autres usage
  • privilégier des choix de développement réalistes et endogènes pouvant garantir un usage durable des terres et des ressources naturelles. À titre d’exemple, l’amélioration et l’autonomisation des modèles d’agriculture paysanne basés sur des synergies arbres/cultures (agro-foresterie) est davantage susceptible de concilier développement local et préservation de la biodiversité, ce que ne peuvent pas garantir les modèles de production agro-industriels à grande échelle
  • anticiper les défis de la croissance démographique et les pressions foncières sur les espaces boisés qui en résultent
  • enfin, la question de la formation ou de la consolidation d’un État de droit soucieux de gérer terres et ressources naturelles comme patrimoine de la nation et – non comme un privilège de quelques dirigeants – demeure un défi permanent en Afrique.

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