RDC : Célestin Kanyama, confessions d’un « Esprit de mort »
Chef de la police de Kinshasa, Célestin Kanyama a été surnommé « Esprit de mort » par ses compatriotes. Rencontre avec un homme dur et secret, à la fois craint et décrié pour ses méthodes jugées expéditives mais aussi admiré et loué pour son bilan sécuritaire dans la capitale congolaise.
Son nom rime à la fois avec « répression disproportionnée » et « maintien de l’ordre ». Avec Célestin Kanyama, 54 ans dont près de 20 dans la police congolaise, tout est une question de point de vue. Pour l’opposition et les ONG de défense des droits humains, le chef de la police de Kinshasa est un homme dangereux. Un ennemi des libertés. Mais pour la coalition au pouvoir, c’est un ange gardien. « Un bon flic de la République », résume sobrement un proche du président Joseph Kabila.
Depuis fin 2013, Kanyama occupe un poste stratégique dans une capitale acquise à l’opposition – le président Kabila n’y a recueilli que 30 % des suffrages exprimés lors de la présidentielle de 2011, contre 64 % pour son rival Étienne Tshisekedi. Une capitale qui risque de beaucoup s’agiter pendant la période précédant les prochaines (et incertaines) élections générales.
Comme ce jour de la mi-septembre, place Sainte-Thérèse, dans l’est de Kinshasa. Des centaines d’opposants étaient rassemblés pour protester contre un éventuel « glissement » du calendrier électoral lorsque des perturbateurs, « armés de gourdins et de bâtons en bois, (…) ont frappé les manifestants, répandant la peur et le chaos dans la foule », rapportait un mois plus tard Human Rights Watch, soupçonnant entre autres de « hauts responsables des forces de sécurité » d’être impliqués dans l’attaque.
Je ne suis pas ce que les ONG racontent sur moi, dit Kanyama
Parmi les instigateurs de cette agression, l’ONG internationale de défense des droits de l’homme désignait comme commanditaire le général Célestin Kanyama. À en croire les témoins qu’elle a interrogés, le chef de la police de Kinshasa aurait participé, avec « au moins trois [autres] haut responsables », au recrutement des « voyous » à qui « des instructions sur la façon de mener l’attaque » ont été données la nuit précédant la manifestation.
« Je continue à faire mon travail »
Des accusations que Célestin Kanyama balaie d’un revers de la main. « Je ne suis pas ce que les ONG racontent sur moi. Je continue à faire mon travail », lâche-t-il simplement, concentré à suivre un match de football entre ses hommes et une équipe adverse, sur un terrain sablonneux, à quelques pas de son bureau de l’avenue de la Libération.
L’officier connaît la musique. Il avait déjà été cité à plusieurs reprises dans les rapports sur les « graves atteintes aux droits de l’homme » commises pendant la répression des protestations contre un projet de réforme électorale, en janvier à Kinshasa. Idem lors des opérations policières « Likofi » et « Likofi + » (coup de poing, en lingala), destinées à éradiquer le « phénomène kuluna » (les gangs de Kinshasa) dans la capitale.
Le chef de la police est plus prolixe quand on l’interroge sur les opposants qui l’étiquettent « pro-Kabila ». « Ce sont des hypocrites, jure-t-il. Ils me malmènent le jour à travers les médias, mais la nuit, nous rigolons ensemble ». Le visage serré, il précise : « Ces opposants tentent souvent de me diaboliser. Pourtant, lorsque je les reçois dans mon bureau pour en discuter, ils ne tiennent pas le même discours ».
« En réalité, je sécurise tout le monde, assure Kanyama. C’est pourquoi vous les voyez tous rouler dans de belles voitures la nuit à Kinshasa. Parce qu’ils savent qu’il y a aujourd’hui la sécurité. Avant, ils ne pouvaient pas sortir à minuit ou à une heure du matin pour aller boire ne serait-ce qu’un coca. »
Ce n’est pas moi qui fais peur, c’est la loi !
À la mi-temps, le général se lève et va frapper au portail d’une résidence privée, pas loin du terrain de football. En voyant son hôte, reconnaissable même dans son survêtement de sport gris, la propriétaire, surprise, hésite à ouvrir. « Vous ne voulez pas nous accueillir chez vous ? », lance alors le général, toutes dents dehors. Une ou deux minutes plus tard, la porte s’ouvre. Et nous voilà installés sous une paillote en bois.
Est-ce son surnom d’« Esprit de mort » qui lui fait une mauvaise réputation ? Ce n’est pas son avis. « D’abord, on ne peut coller sur un individu le nom d’Esprit de mort, que les pasteurs chassent dans des églises ! » tonne le commissaire provincial de la police de Kinshasa. Il faut croire que l’officier ne trouve guère flatteur ce sobriquet que les Kinois lui ont donné, – « affectueusement », paraît-il – depuis qu’il a tenté de faire interdire la circulation des minibus Mercedes 207 (eux-mêmes rebaptisés esprits de mort en raison de leur dangerosité) au centre-ville de la capitale.
« Ensuite, ce n’est pas moi qui fais peur, c’est la loi. C’est pourquoi je soutiens l’idée d’avoir des institutions fortes », ajoute Kanyama. Pas besoin d’hommes forts en Afrique, donc ? lui demande-t-on en référence à la fameuse phrase de Barack Obama. « Je ne parle pas de politique », tranche-t-il aussitôt.
La RDC a encore besoin du président Joseph Kabila
Mais très vite, cet ancien gendarme se rend compte que son discours risque de susciter des malentendus. Il rebondit : « La RDC a encore besoin du président Joseph Kabila. Qu’on l’aime ou pas, il faut reconnaître qu’il a beaucoup fait pour construire une police républicaine. » Mais n’allez pas lui faire dire qu’il fait un plaidoyer pour le maintien de Kabila au-delà de son deuxième et dernier quinquennat, qui expire fin 2016. « Je refuse de vous suivre sur ce terrain-là : le débat sur le mandat présidentiel ne me concerne pas », martèle le général.
Retour des kuluna ?
Ce qui le concerne, en revanche, c’est la recrudescence du phénomène « kuluna », ces gangs urbains qui terrorisent la capitale congolaise. Après quelques mois d’accalmie, des Kinois se plaignent de plus en plus du retour des actes de banditisme dans la ville. Y a-t-il un rapport avec le processus électoral en cours, alors que les hommes politiques sont souvent soupçonnés d’instrumentaliser de jeunes délinquants à l’approche des élections ?
« Pas du tout », répond Célestin Kanyama. Pour le chef de la police à Kinshasa, « le retour des kuluna n’a rien à voir avec les échéances électorales ». Mais il promet de redoubler d’efforts, « avec [ses] collaborateurs » (il connaît par cœur les numéros de portables de chacun de commandants de police des districts de la capitale), pour « encore mieux sécuriser la population ».
Depuis son arrivée à la tête de la police dans la capitale, la plupart des Kinois lui reconnaissent l’efficacité dans la sécurisation des personnes et de leurs biens. Lorsque Célestin Kanyama se rend dans un coin de la ville pour tenir une « parade », les populations environnantes se massent et écoutent religieusement l’adresse du commandant à ses troupes. « On peut tout lui reprocher, mais Kanyama a quand même réussi à faire baisser la criminalité dans la capitale », témoigne un habitant de Selembao, dans le sud de Kinshasa.
« Ce n’est pas Kanyama, c’est l’effort de tous », nuance le général, qui ne surjoue pas la modestie. « Nous avons mis en place une police de proximité : policiers et population travaillent ensemble pour mettre hors d’état de nuire les criminels », explique-t-il.
Aujourd’hui, l’officier semble exclure une nouvelle opération « Likofi » pour réprimer les kuluna. « Pas besoin de multiplier les opérations pour sécuriser la population : nous faisons déjà notre travail », assure-t-il, serein. Une politique qui devrait lui permettre, aussi, d’éviter de se retrouver une nouvelle fois dans le collimateur des ONG.
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