Luc Magloire Mbarga Atangana : « Nous avons une très belle carte à jouer aux États-Unis »

Tout en confortant ses exportations sur un marché régional de 250 millions de consommateurs, le pays met le cap sur l’Afrique du Sud et le Maghreb. Le ministre du Commerce explique comment il peut et doit, aussi, prendre des positions en Amérique du Nord.

À 58 ans, ce promoteur du « made in Cameroun » occupe ses fonctions depuis près de huit ans. © Baudouin Mouanda pour JA

À 58 ans, ce promoteur du « made in Cameroun » occupe ses fonctions depuis près de huit ans. © Baudouin Mouanda pour JA

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Publié le 25 juin 2012 Lecture : 6 minutes.

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Le Cameroun sort de ses frontières

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Le juste prix… Depuis près de huit ans qu’il occupe les fonctions de ministre du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana, 58 ans, a fait de la stabilisation des prix son principal cheval de bataille. Parfois bien seul dans son combat, ce négociateur habile et rompu à l’exercice par une longue pratique au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – où il prend part aux discussions agricoles en tant que porte-parole des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) – multiplie les concertations avec les opérateurs économiques pour améliorer la compétitivité des produits locaux. Promoteur du « made in Cameroon », l’ancien secrétaire exécutif de l’Association bananière du Cameroun (Assobacam) souhaite voir son pays limiter ses importations alimentaires, tout en augmentant la valeur de ses exportations vers la sous-région afin de rééquilibrer la balance commerciale du pays.

Jeune Afrique : Malgré la bonne tenue de ses exportations, le Cameroun affiche une balance commerciale globale déficitaire depuis 2006. Faut-il s’en inquiéter ?

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Luc Magloire Mbarga Atangana : On peut le déplorer, mais ce déficit confirme aussi un regain certain de l’activité économique dans le pays, qu’il faut replacer dans la perspective du Document de stratégie pour la croissance et l’emploi [DSCE, pour la période 2010-2020, NDLR], visant à faire du Cameroun un pays émergent à l’horizon 2035. Nous importons essentiellement des carburants, du ciment, des machines-outils ou encore des équipements électriques, et électroniques car ce sont des produits nécessaires au développement de l’appareil industriel du pays.

Nous plaidons auprès de Washington pour la création d’un hub commercial à Douala.

Le déficit se creuse un peu plus chaque année. Comment inverser la tendance ?

Pour rééquilibrer notre balance commerciale, nous devons exporter encore davantage. L’arrivée de nouvelles unités de production dans l’industrie lourde, notamment, va contribuer à doper nos exportations. Nous devons également nous limiter à l’essentiel, en veillant à répondre surtout aux besoins de notre outil de production. Environ 16 % de nos importations sont encore liées aux produits alimentaires. Dans ce domaine, il faut que le pays atteigne un niveau d’autosuffisance. Cela a été le cas sur la filière avicole : en cinq ans, le Cameroun a arrêté d’importer de la volaille. Cela peut donc être fait sur d’autres produits, comme le riz ou les céréales.

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Quels marchés le pays vise-t-il pour augmenter ses volumes d’exportation ?

Il faut tout d’abord renforcer notre intégration régionale. C’est l’un des axes prioritaires définis par le chef de l’État, notamment en direction du marché de la Cemac [Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale], élargi aux pays de la Ceeac [Communauté économique des États de l’Afrique centrale], dont le potentiel est estimé à près de 110 millions de consommateurs. Le Cameroun a également la chance d’avoir à l’Ouest un voisin puissant, le Nigeria, qui compte 150 millions d’habitants. Nous sommes donc au coeur d’un marché régional de 250 millions de consommateurs, proche par la taille de celui des États-Unis et sur lequel les produits camerounais trouvent déjà leur place. Nous portons aussi notre attention vers les pays émergents : la Chine, avec laquelle nous échangeons déjà beaucoup, et les autres Brics [acronyme désignant les pays émergents les plus avancés : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud], comme le Brésil et l’Inde. Une véritable stratégie de diversification de nos marchés à l’export a été mise en place, illustrée par la tenue des Journées économiques et commerciales du Cameroun, dont les éditions 2012 auront lieu au Maroc, aux États-Unis, au Brésil et au Nigeria.

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info-cameroun <span class=exportations" src="https://www.jeuneafrique.com/images/stories/regions/ASS/Cameroun/info-cameroun_exportations.jpg" height="191" width="300" />Rien n’est prévu avec l’Union européenne, qui représente un tiers des échanges dans les deux sens et reste le premier partenaire commercial du Cameroun ?

Nous voulons bien sûr renforcer nos relations traditionnelles avec l’Europe. Les négociations ont été ouvertes pour la création d’un véritable partenariat économique à l’échelle de la Cemac, qui, à terme, devrait également soutenir nos exportations. En attendant qu’un tel accord se concrétise, nous regardons également vers l’Amérique du Nord, et plus spécialement les États-Unis. Le processus de l’Agoa [African Growth and Opportunity Act] ouvre le pays aux partenaires éligibles, dont le Cameroun, qui sont alors exonérés de droits de douane. Nous avons dans ce cadre une très belle carte à jouer, notamment sur le secteur des produits alimentaires. Les possibilités existent et nous voudrions désormais bénéficier de l’assistance technique nécessaire pour nous installer sur le marché américain, très complexe et exigeant en matière de normes. Nous plaidons d’ailleurs en ce sens pour la création d’un hub commercial sur Douala, afin de ne plus dépendre d’Accra, comme c’est le cas actuellement.

Comment doper vos montants à l’export et quels sont les secteurs à dynamiser ?

Pour commencer, nous devons veiller à apporter de la valeur ajoutée à nos produits. L’objectif pour ces prochaines années est donc de développer la transformation locale, en amont des exportations. Sur le bois, il faut poursuivre nos efforts pour transformer sur place les essences rares et nobles. Nous ne transformons que 4 % des 200 000 tonnes de coton que nous produisons chaque année ; la marge est, là aussi, importante. Il faut également améliorer la productivité de nos filières classiques, comme le cacao et le café, qui, selon moi, ont un bel avenir : nous exportons 250 000 t de fèves de cacao par an, alors que nous pourrions en exporter trois fois plus ; même constat pour nos 50 000 t de café. Le gouvernement est par ailleurs très attentif à l’évolution de la filière fruits et légumes, à commencer par la banane [dont le Cameroun est le premier exportateur des pays ACP] : nous en expédions 270 000 t/an, quand le seuil de rentabilité nous imposerait d’en sortir le double.

info-cameroun produits-exportSur quelles autres filières pensez-vous qu’il faut miser ?

Le Cameroun a la chance de disposer d’un tissu économique très diversifié. Nous devons en profiter, en nous appuyant sur le cadre stratégique que nous donne le DSCE. Les produits agricoles ont un vrai potentiel. Je pense notamment à l’ananas, à l’avocat et, surtout, à la mangue, déjà très appréciée en Allemagne et dans de nombreux pays d’Asie. La fleur dispose aussi d’un potentiel non négligeable, même si c’est une niche très concurrentielle. Enfin, le poivre de Penja peut également très bien voyager. Ses volumes restent encore confidentiels, avec une trentaine de tonnes exportées par an, mais je suis persuadé que nous pouvons multiplier ce chiffre par dix ou par vingt. En outre, l’intérêt de ces filières est de pouvoir créer et fixer des emplois en milieu rural. Je peux également vous parler des matières énergétiques et industrielles. Nos barrages vont avant tout alimenter en électricité le marché domestique, mais aussi celui de nos voisins, comme le Nigeria ou le Tchad.

La réalisation d’infrastructures majeures à l’échelle sous-régionale va-t-elle faciliter la conquête de nouveaux marchés ?

Sans infrastructures, aucun échange n’est possible. Avec l’aide de ses partenaires internationaux, le Cameroun est relié à l’ensemble des capitales de la région, et cette toile devrait s’étendre, notamment en direction du Nigeria. La construction du port en eau profonde de Kribi va également renforcer notre compétitivité. Il nous permettra de densifier nos échanges et de faire des économies d’échelle importantes, ce qui est essentiel dans le contexte concurrentiel actuel.

Quels sont les dispositifs créés pour soutenir les exportateurs et pour attirer les investissements directs étrangers, chroniquement faibles au Cameroun ?

Nous mettons en place des politiques incitatives en direction de nos interlocuteurs privés dans le cadre de la Charte des investissements au Cameroun, qui a justement pour but de protéger les investisseurs. Par ailleurs, l’un des grands chantiers du gouvernement est d’élaborer les codes sectoriels destinés à encadrer [les filières] et à rassurer les investisseurs nationaux et étrangers. Nous bénéficions d’une stabilité politique exemplaire dans la région, que nous allons renforcer avec une meilleure gouvernance économique en luttant contre le phénomène de corruption. C’est un signal fort que nous voulons envoyer aux investisseurs. Enfin, j’ajoute que le Cameroun a ratifié l’ensemble des conventions internationales d’arbitrage, ce qui constitue une autre mesure incitative importante.

Le port en eau profonde de Kribi nous permettra de densifier nos échanges.

Que pensez-vous de l’annonce faite lors de la conférence de l’Union africaine, en janvier dernier, de la création d’une zone de libre-échange sur l’ensemble du continent dès 2017 ?

Le Cameroun y adhère pleinement. À nous de nous tenir prêts quand il le faudra, afin d’assurer la promotion de nos produits avant les autres. Les discussions sont très politiques, mais vont dans le bon sens. Il est en effet important de se rassembler au niveau régional et continental avant de partir à la conquête du marché mondial… La mondialisation est un processus par étapes, qui démarre forcément par la régionalisation.

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