Dossier Cameroun : sur la ligne de départ
La locomotive de la Cemac se remet enfin en marche et mise, très visiblement, sur le développement à l’export. Au-delà des marchés voisins, leurs premières cibles, les entreprises publiques et privées prennent position en Afrique de l’Ouest et au Maghreb. Et certaines prospectent déjà plus loin.
Le Cameroun sort de ses frontières
Le Cameroun a le dos large, et les critiques ne l’ont jamais épargné. Elles blâment ce géant régional de plus de 20 millions d’habitants en désespérant de le voir un jour faire décoller l’économie de l’Afrique centrale. Elles fustigent le catalogue de promesses non tenues d’un pays où les chantiers sont restés trop longtemps inachevés. Elles regrettent le train des réformes enterrées de ce leader débonnaire de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), s’agacent de voir cette locomotive à la puissance entrepreneuriale prometteuse se complaire dans les douceurs molles de l’inertie. Son orgueil national à fleur de peau, sa diplomatie discrète, voire hésitante, et ses mauvaises moeurs clientélistes ne lui valent pas non plus l’admiration de ses voisins. Cependant, dans le concert des détracteurs les plus virulents, la voix des Camerounais, souvent sévères à l’égard de leur propre pays, porte souvent plus loin que celles des autres Africains.
Diagnostic
Mais voilà, en dépit de cette ritournelle, le pays bouge. Pour que cela se sache, encore faudrait-il que les dirigeants, qui sont pourtant les principales cibles des critiques accablant leur pays, se donnent la peine de communiquer. Car il y a de quoi rassurer les plus sceptiques. À commencer par les experts de la mission du Fonds monétaire international (FMI) dirigée par Mario de Zamaróczy, qui, du 2 au 16 mai, sont venus prendre le pouls du champion au réveil et tester sa capacité à quitter le banc de touche pour se lancer, enfin, dans la course au développement en entraînant ses voisins dans son sillage.
Une fois n’est pas coutume, même si la croissance reste très en deçà de son potentiel et que certains indicateurs inquiètent encore, le diagnostic est plutôt bon. Il relève notamment que depuis 2009 la croissance de l’économie camerounaise, habituée aux soubresauts, se fait régulière. Le FMI revoit même ses prévisions à la hausse, avec un taux de croissance attendu à 4,7 % en 2012 (au lieu de 4,1 %) grâce à un rebond de la production et des exportations pétrolières, mais aussi « à une augmentation des investissements publics dans les grands projets d’infrastructures ». Pour « libérer véritablement le potentiel de croissance du Cameroun, il est vital de réduire les obstacles […] en continuant de corriger les contraintes en matière d’infrastructures, en augmentant la qualité et l’efficience des dépenses publiques et en améliorant la gouvernance et le climat des affaires », sans oublier « d’accélérer l’intégration régionale », conclut le premier rapport publié à l’issue de la mission.
Intégration
En l’occurrence, les projets structurants sont sortis des cartons. Ils devraient montrer à quel point le pays s’est tourné vers ses voisins. Si l’intégration régionale (qui passe par la facilitation de la libre circulation des personnes et des biens) est en panne au sein de la Cemac, depuis quelques mois, le Cameroun et ses partenaires sous-régionaux font avancer les projets d’infrastructures, notamment en matière de transports.
C’est le cas de la réhabilitation de la route Maroua-Mora-Kousseri-N’Djamena. Très dégradé, cet axe est névralgique pour le Tchad, enclavé : il constitue un tronçon du corridor reliant sa capitale au port de Douala. Le président Idriss Déby Itno est venu en discuter à Yaoundé avec son homologue camerounais, Paul Biya, en décembre 2011. Il suit par ailleurs avec intérêt le projet annoncé mi-mai par le groupe français Bolloré, actionnaire de référence de Cameroon Railways (Camrail), de prolonger la voie de chemin de fer du célèbre Transcamerounais de Ngaoundéré (Nord) jusqu’à N’Djamena.
Le Tchad a des ressources pétrolières et minières, le Cameroun lui ouvre ses débouchés portuaires et ses voies de communication pour les exporter. L’exemple du pipeline reliant les deux pays, exploité par l’américain ExxonMobil, inspire d’autres projets. Le Cameroun exporte aussi vers son voisin des produits agroalimentaires, propose le raccordement de leurs réseaux électriques et offre ses compétences techniques. AES-Sonel et la Société nationale d’électricité (SNE) du Tchad ont ainsi signé en décembre une convention de formation et d’échanges permettant à des techniciens tchadiens d’être accueillis sur plusieurs installations d’AES-Sonel.
Autre exemple d’intégration, le 16 mars dernier, Idriss Déby Itno a inauguré à N’Djamena le réseau national tchadien de fibre optique. Belle opportunité pour Camtel, qui gère le réseau au Cameroun : l’opérateur à capitaux publics a signé, fin décembre 2011, avec la Société d’infrastructures de transmission des communications électroniques par câble à fibre optique du Tchad (Sitcom) une convention commerciale et technique d’interconnexion des réseaux terrestres de transmission à fibre optique, dont Camtel devient l’opérateur technique.
Le Cameroun s’ouvre également un peu plus vers son voisin congolais. Le bitumage des 650 km de la route Sangmelima-Ouesso (dont 340 km au Congo et 310 km au Cameroun), en cours, devrait faciliter la liaison entre le sud du Cameroun et le nord du Congo. Ce dernier devrait également bénéficier de la création d’une ligne de chemin de fer reliant la mine de fer de Mbalam (est du Cameroun) au complexe industrialo-portuaire de Kribi (sud du pays). D’ici à 2014, le port en eau profonde pourra accueillir des bâtiments d’un tirant d’eau de 15 à 16 m et d’une capacité allant jusqu’à 100 000 tonnes.
Enfin, parmi les autres grands projets d’intégration régionale, Yaoundé milite pour la réalisation d’un corridor de transport et de développement entre Kribi (Cameroun), Bangui (Centrafrique) et Kisangani (RD Congo), qui prévoit des bretelles vers la Guinée équatoriale, le Gabon et le Congo.
Offensive
S’il part au service et à la conquête du marché africain, le Cameroun s’ouvre aussi un peu plus aux entreprises étrangères. Cela se vérifie dans tous les secteurs, de l’énergie aux matériaux et au BTP, en passant par l’agroalimentaire et les services. Ainsi de l’offensive des banques africaines, de plus en plus nombreuses à s’installer. Le groupe gabonais BGFI Bank a obtenu en 2010 l’agrément de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac) pour s’implanter à Douala et a lancé son activité en mars 2011, dans un marché où d’autres acteurs continentaux comme Attijariwafa Bank, Banque Atlantique, Ecobank ou United Bank for Africa (UBA) collectent déjà l’épargne publique. Les frontières s’ouvrent et les pays voient grand. Le Cameroun ne fera plus exception.
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