Banques marocaines : comme on se retrouve…

En s’alliant avec l’ivoirien Banque Atlantique, BCP se renforce en Afrique de l’Ouest. Il y rejoint deux autres groupes chérifiens, Attijariwafa Bank et BMCE Bank, déjà bien implantés au sud du Sahara.

Bernard Koné Dossongui, président d’Atlantic Financial Group, et Mohamed Benchaaboun, PDG de Banque centrale populaire, le 7 juin. © Banque Atlantique

Bernard Koné Dossongui, président d’Atlantic Financial Group, et Mohamed Benchaaboun, PDG de Banque centrale populaire, le 7 juin. © Banque Atlantique

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 26 juin 2012 Lecture : 5 minutes.

C’était devenu une arlésienne ! Depuis 2006, Atlantic Financial Group (AFG, groupe Banque Atlantique) cherchait à ouvrir son capital à un partenaire stratégique. Des prétendants de renom, dont le nigérian Access Bank et Intangis Holding, se sont succédé. Plusieurs accords ont été près d’être signés, mais tous ont échoué. Puis le 7 juin, à la surprise générale, l’ivoirien s’est entendu avec Banque centrale populaire (BCP), le deuxième groupe bancaire marocain par le total de bilan.

Les deux parties ont annoncé la création d’un holding dénommé Atlantic Bank International (ABI) qu’elles détiennent à parité. Il chapeautera les sept filiales bancaires d’AFG réparties en Afrique de l’Ouest. La prise de participation de BCP dans ce holding se fera par une augmentation de capital de 58 milliards de F CFA (88,4 millions d’euros). Le marocain en assurera en outre la gestion stratégique, opérationnelle et financière, ainsi que celle de la banque d’affaires Atlantique Finance et de la société d’ingénierie informatique Atlantique Technologies.

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BCP-Banque-atlantique iconoEn attendant la validation de ce mariage par les régulateurs, BCP peut d’ores et déjà se frotter les mains. Il prend pied d’un seul coup dans sept des huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) – ce qui porte sa présence subsaharienne à dix pays, puisqu’il est déjà actif en Centrafrique, en Guinée et en Mauritanie. Plutôt tourné jusqu’ici vers l’Europe, où il compte sept filiales, BCP rattrape ainsi son retard sur ses compatriotes Attijariwafa Bank (le numéro un chérifien) et BMCE Bank (le troisième groupe bancaire du royaume). Le premier est implanté sur neuf marchés au sud du Sahara tandis que le second compte une quinzaine de filiales subsahariennes via Bank of Africa (BOA), qu’il détient à 59,4 %.

Cette arrivée de BCP étendra-t-elle à l’Afrique subsaharienne la concurrence à laquelle se livrent déjà les trois groupes sur le marché marocain ? « A priori non, répond Widad Ouardi, analyste spécialiste du secteur bancaire chez Integra Bourse, un intermédiaire basé à Casablanca. Attijariwafa Bank et BMCE Bank ont une bonne longueur d’avance sur BCP. Ils sont en phase de consolidation et de rentabilisation de leurs réseaux respectifs. »

Privatisations

Il n’empêche. Dans le sillage de l’opération de BCP, d’autres belles occasions pourraient apparaître sur les marchés ouest-africains et attirer les groupes marocains. La plupart des vingt-quatre banques ivoiriennes sont ainsi sorties fragilisées de la crise sociopolitique qu’a connue leur pays et sont confrontées à un sérieux problème de fonds propres. Certaines, notamment les établissements publics (Versus Bank, BHCI…), ont subi une décote, devenant des cibles intéressantes. Outre la Côte d’Ivoire, les banques marocaines suivent de près les privatisations lancées dans toute la sous-région. Au Togo par exemple, Attijariwafa et BMCE sont cités parmi les potentiels repreneurs de quatre banques publiques.

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Confrontées à un ralentissement sur leur marché domestique, qui souffre de la crise dans la zone euro, les banques marocaines cherchent des relais de croissance dans les économies en fort développement du reste du continent. En février, lors de la présentation des résultats de son groupe, Mohamed El Kettani, le patron d’Attijariwafa Bank, a clairement indiqué son intention de poursuivre son expansion en Afrique subsaharienne francophone. « Nous voulons couvrir toute la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest aussi bien que toute l’Afrique du Nord », a-t-il déclaré. D’après lui, ce développement est l’une des principales pistes pour maintenir le rythme de développement du groupe – qui a enregistré en 2011 un bénéfice net de 5,3 milliards de dirhams (475 millions d’euros, + 11,8 %).

L’expansion des réseaux sera au coeur de la bagarre entre les trois acteurs marocains. Mais « être présent sur un marché ne suffit pas, explique un analyste basé à Londres. Il faut compter parmi les leaders de ce marché pour rentabiliser son investissement. Il faut savoir choisir son terrain et y être le meilleur ». À ce jeu-là, BCP se dit prêt à consacrer 1 milliard d’euros (en comptant les 88,4 millions investis dans ABI) au développement de l’activité de Banque Atlantique et « jouera sans doute la carte de banque de proximité avec la multiplication des agences », estime Widad Ouardi. Ce que confirment les propos de Souleymane Diarrassouba, directeur général du groupe ivoirien. « Avec l’expertise que nous apporte BCP, nous comptons être des acteurs de premier plan dans la bancarisation de la sous-région, grâce à l’élargissement de notre offre de produits dans le financement des projets, des petites et moyennes entreprises, dans le leasing, ou encore l’immobilier », souligne-t-il.

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Face au ralentissement de leur marché domestique, les marocains cherchent des relais de croissance.

Et si les trois marocains adoptent le même positionnement commercial de banque généraliste, leur réussite résidera dans leur capacité à intégrer leurs partenaires subsahariens et, « selon les pays, à s’adapter aux spécificités des marchés sur lesquels ils opèrent », indique l’analyste londonien.

Dans leur manière d’aborder le marché, BMCE Bank et BCP se rejoignent. Tous deux ont racheté des réseaux régionaux existants et déjà bien implantés. « Cette démarche permet d’aller plus vite et de conserver la clientèle qui, de manière générale, a plus confiance en une marque locale qu’en une marque étrangère », explique un autre financier.

Cependant des différences existent. Si BCP vient d’investir dans un groupe relativement jeune et disposant d’une importante marge de progression (à condition d’assainir le bilan de Banque Atlantique et de redorer son image), BMCE Bank est entré en 2008 dans le capital du déjà mature BOA. « BMCE Bank était dans une démarche d’agrégation de chiffres. On l’a vu entre 2008 et 2009 lorsque ses résultats avaient été largement tirés par les performances de BOA », rappelle Widad Ouardi. Les dirigeants du groupe marocain maintiennent que cette contribution est toujours en hausse (environ 25 % en 2011, contre 17 % en 2010), mais de nombreux analystes sont sceptiques. Selon eux, les difficultés de certaines filiales (Côte d’Ivoire, Madagascar, Ghana et Djibouti) pèsent sur la rentabilité.

En outre, alors que BCP et son partenaire ivoirien indiquent qu’ils entendent se renforcer dans les huit pays de l’UEMOA avant d’attaquer le reste du continent, BMCE Bank n’affiche pas de stratégie africaine hormis sa participation dans BOA.

Identité

Attijariwafa Bank est dans une démarche différente. Le leader chérifien duplique son modèle domestique dans chacune de ses implantations subsahariennes, avec une volonté d’imposer son identité à ses filiales. « En matière de gestion et de maîtrise des risques, cette approche peut être payante, mais la limite est qu’elle se heurte aux différences culturelles », souligne l’analyste financier basé à Londres. De fait, le marocain a connu des débuts difficiles sur les marchés subsahariens, notamment au Sénégal. Mais il commence à bien s’en sortir : la Compagnie bancaire de l’Afrique occidentale (CBAO) est leader au Sénégal et l’Union gabonaise de banque (UGB) connaît une progression constante.

Mais si les banques marocaines se livrent une concurrence féroce sur leur marché domestique, des alliances de circonstance ne sont pas à exclure hors de leurs frontières pour tenir tête à leurs rivaux nigérians ou sud-africains. En 2010, BCP et Attijariwafa Bank se sont ainsi entendus pour reprendre ensemble l’activité de BNP Paribas en Mauritanie. L’avenir dira s’il s’agit d’une exception. 

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