Coton : c’est l’avalanche
Depuis son plus haut historique en mars 2011, le prix du coton s’est effondré. La faute à une production importante et à une demande en berne…
Les années se suivent, mais ne se ressemblent pas pour le secteur cotonnier. Après avoir culminé à 2,15 dollars (1,55 euro) la livre en mars 2011 – un niveau inconnu depuis la guerre de Sécession américaine (1861-1865) -, l’or blanc a atteint début juin son prix le plus bas des deux dernières années, à moins de 0,7 dollar. « Nous assistons à un minikrach, avec des cours qui s’effondrent à une vitesse vertigineuse depuis quelques semaines », s’inquiète Georges Toby, directeur général de Copaco, l’oeil rivé sur des écrans de contrôle branchés sur la Bourse de New York. En direct, les chiffres s’affolent et les courbes obstinément orientées vers le bas n’indiquent rien de bon : « 66 cents pour juillet, 65 cents pour décembre. À ce rythme, les producteurs risquent de tomber sous la ligne de flottaison », redoute déjà le négociant de la filiale de Geocoton. Toby n’espère aucun retournement de tendance avant la prochaine campagne. Un pessimisme qui rejoint les prévisions émises fin mai par Goldman Sachs et JP Morgan, d’accord pour craindre « une nouvelle baisse des cours au deuxième semestre 2012 ».
La Guinée retrouve la fibre
Le 25 mai dernier, le coton guinéen a signé son grand retour sur la scène internationale, avec l’expédition de 400 t de fibre vers l’Europe depuis le terminal de Conakry. En 1997, le pays produisait encore 37000 t de coton graine. Une production tombée par la suite à quelques centaines de tonnes, puis plus rien, « jusqu’en février 2011, lorsque le président Alpha Condé a décidé de relancer la filière, en s’appuyant sur l’expertise de Geocoton », explique Yannick Morillon, directeur général de la filiale du groupe Advens. Actuellement de 4000 ha, la surface de production devrait quadrupler pour la campagne 2012-2013. Reste à remettre l’outil industriel en état et à mobiliser les cotonculteurs pour que la Guinée retrouve à l’horizon 2020 sa production d’antan. O.C.
Dans ce contexte marqué par « une hypervolatilité sans précédent », selon un trader de Glencore, rares sont les gagnants. Les maisons de négoce souffrent. « Elles se retrouvent avec du coton sur les bras qu’elles doivent tenter de vendre à des prix dont aucun filateur ne veut », explique Thierry Devilder, président du directoire de Devcot. Comme ses collègues, il « préfère attendre pour éviter de s’exposer davantage ».
Suspectés d’avoir spéculé à New York pour soutenir les cours au moment où ils étaient au plus haut, les négociants sont en outre dans le collimateur de la Commodity Futures Trading Commission, le régulateur américain des marchés à terme, qui a ouvert une enquête le 23 mai. Une procédure « injustifiée » pour Georges Toby, qui estime que toutes les conditions étaient réunies pour expliquer un pic aussi soudain qu’éphémère. « Alors que la production mondiale faiblissait et que les stocks étaient au plus bas, la demande restait très dynamique », confirme Thierry Devilder, qui ne peut que constater, un an plus tard, « le renversement total des fondamentaux ».
Selon le Comité consultatif international du coton (International Cotton Advisory Committee, Icac), la production mondiale a en effet progressé de 8 % en 2011-2012, à 27,1 millions de tonnes, pendant que la consommation se contractait de 6 %, à 23,2 millions de tonnes. D’où une explosion de 43 % des stocks, qui ont dépassé 13 millions de tonnes. Ils devraient même peser 14,5 millions de tonnes en 2012-2013, soit 61 % de la consommation mondiale ! C’est le plus fort ratio depuis la campagne 1998-1999.
« Le marché déborde », fulminent les négociants, qui redoutent déjà les effets de cette accumulation sur les rémunérations de la prochaine campagne. D’autant que la demande n’est toujours pas repartie. « La flambée de l’an dernier, couplée au contexte de crise internationale, a plombé la consommation, qui s’est reportée sur le polyester pour des raisons de coût », regrette Thierry Devilder, qui estime à « 500 000 t » la baisse du volume de coton utilisé par les filatures en 2011-2012. Si, d’après les analystes, le match que livre le coton contre les fibres synthétiques « dépend essentiellement de l’évolution des prix du pétrole », la part de marché de l’or blanc s’érode depuis une décennie, passant de 40 % à 32 %.
La faiblesse prolongée des cours devrait néanmoins améliorer sa compétitivité et changer une nouvelle fois la donne. L’Icac annonce une légère reprise de 4 % de la consommation des filatures l’an prochain. L’organisme s’attend dans le même temps à une contraction de 7 % de la production mondiale de coton, conséquence du désintérêt constaté chez de nombreux cultivateurs à travers le monde, qui s’orientent vers des cultures (céréalières, maraîchères) plus rémunératrices. Le phénomène est néanmoins insuffisant pour réduire les stocks et donc relancer les cours, alors que l’offre devrait rester supérieure de 50 % à la demande, selon les chiffres du Comité.
L’inconnue chinoise
Comme pour beaucoup d’autres matières premières, « la clé se trouve en Chine », estime Georges Toby. Après avoir importé massivement en 2011 (4,6 millions de tonnes, soit 52 % des échanges mondiaux) afin de reconstituer ses réserves stratégiques au prix fort pour maintenir les cours, et donc le prix d’achat à ses paysans, le premier producteur de la planète a mis un terme à ses achats fin mars. Depuis, « tout le monde se demande ce que le pays compte faire l’année prochaine », résume Devilder.
S’il est déjà établi que la Chine importera moins, rien ne dit qu’elle n’exportera pas sur un marché déjà excédentaire. « Avec une croissance au ralenti, elle pourrait être tentée de vendre une partie de ses réserves pour récupérer les devises qui lui permettront d’acheter les minerais dont son économie a besoin », redoute déjà Toby. À moins qu’elle n’ait regarni ses stocks dans le but de réduire ses propres superficies cotonnières au profit des cultures vivrières, comme le pensent de nombreux observateurs.
Sur ce marché mondialisé et volatile, la filière cotonnière africaine peine à garder le fil. Après avoir connu des cours très bas entre 2004 et 2010, l’Afrique de l’Ouest n’a pas vraiment profité de la hausse record de mars 2011. « Dès que les cours ont atteint, début 2011, les 800 F CFA [1,20 euro, NDLR], soit le coût de revient d’un kilo de fibre, tout le monde s’est dépêché de vendre », explique Bachir Diop, directeur général de la Société de développement et des fibres textiles (Sodefitex) sénégalaise. Cette année en revanche, persuadés que les cours ne pouvaient que remonter, les opérateurs ont préféré attendre ; un quart à peine des récoltes a changé de mains au premier trimestre, soit près de trois fois moins qu’à la même période en 2011.
Coup dur
Grâce aux prix garantis et qui, malgré la chute des cours, vont être maintenus en moyenne à 250 F CFA le kilo, les producteurs devraient pouvoir passer entre les gouttes, contrairement aux sociétés cotonnières qui, après avoir retrouvé des couleurs en 2011, « s’apprêtent à subir un nouveau coup dur », selon Bachir Diop. Dans certains cas, comme au Sénégal, les États devraient être mis à contribution, illustrant une nouvelle fois les limites des projets de libéralisation encouragés par la Banque mondiale et que la majorité des acteurs privés et publics de la filière s’accorde aujourd’hui à juger « suicidaires ». Les cours conservent encore un niveau suffisant pour permettre au coton africain d’éviter la catastrophe. À condition que l’euro ne vienne pas tout remettre en cause en se renforçant face au dollar, pénalisant les exportations de la zone franc CFA.
Le Burkina Faso lève le pied sur les OGM
Le pays restreint l’utilisation des semences génétiquement modifiées pour mieux encadrer les agriculteurs et améliorer les rendements.
Annoncé sur les ondes de RFI en mai dernier, l’abandon des organismes génétiquement modifiés (OGM) par les cotonculteurs burkinabè a surpris… les intéressés eux-mêmes. « Je ne sais pas d’où est sortie cette information », s’agace Jean-Paul Sawadogo, directeur général de la Société burkinabè des fibres textiles (Sofitex), qui a publié un démenti le jour même. Alors que démarre la prochaine campagne, le Burkina Faso entend bien rester le fer de lance du coton génétiquement modifié (CGM) en Afrique de l’Ouest. Les semences viennent d’être distribuées aux paysans et les germes transgéniques devraient couvrir plus de 220 000 ha, soit 43 % des surfaces emblavées.
Le pays réduit toutefois la voilure, puisque le CGM représentait 66 % des superficies en 2010-2011 et 53 % en 2011-2012. « Nous connaissons des problèmes de rendement », justifie Sawadogo. Les 30 % de volume supplémentaire attendus grâce aux CGM n’ont pas été atteints, « essentiellement à cause d’une mauvaise application des procédés technologiques chez les petits producteurs », explique le patron de la Sofitex. La société veut donc ramener à 5 000 le nombre de cultivateurs de CGM afin de mieux les encadrer.
Elle a également décidé, en concertation avec la filière et le semencier Monsanto, de mettre en oeuvre dès cette campagne un plan semencier visant à améliorer la qualité de la fibre OGM, plus courte que celle du coton conventionnel. « L’introduction de nouvelles technologies nécessite toujours un suivi important pour corriger et améliorer les pratiques », explique Sawadogo, qui préfère insister sur les avantages en matière de rendement mais aussi de traitements insecticides, « passés de six [avec du coton] conventionnel à deux avec le transgénique ». Une fois que la technologie sera maîtrisée, « il est tout à fait possible d’imaginer une production 100 % transgénique au Burkina », conclut Sawadogo. O.C.
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