Angola : Manuel Vicente ne croit pas à la corruption

Dans une rare interview, l’homme fort du pétrole angolais, pressenti à la succession de José Eduardo dos Santos, revient sur les accusations de corruption qui pèsent sur sa gestion des hydrocarbures angolais.

La plateforme pétrolière angolaise de Pazflor, opérée par le français Total. © Laurent Pascal

La plateforme pétrolière angolaise de Pazflor, opérée par le français Total. © Laurent Pascal

Publié le 15 juin 2012 Lecture : 6 minutes.

Loin au-dessus du trafic incessant de Luanda, la capitale angolaise, l’homme au centre de la ruée sur les ressources naturelles africaines revient de son jogging matinal. Manuel Vicente a passé la dernière décennie à la tête d’une industrie pétrolière qui compte désormais pour 2% de la production mondiale. Une période durant laquelle il a aussi développé les liens de l’Angola avec la Chine et constitué un solide portefeuille personnel. Pendant ses 12 ans comme directeur de Sonangol, il a transformé la compagnie d’État, moteur économique du régime militaire pendant trois décennies de guerre civile, en un groupe énergétique de premier plan sur le continent, doté d’actifs de l’Iraq à Cuba en passant par le Ghana et d’un chiffre d’affaires annuel de 34 milliards de dollars.

C’est en janvier dernier, quand il a été nommé ministre d’État pour la coordination économique, que Manuel Vicente est rentré dans le saint des saints de la politique angolaise, accréditant les rumeurs qui le plaçaient comme le successeur désigné de José Eduardo dos Santos, l’homme fort qui dirige le pays d’une main de fer depuis 1979. Il a échangé son bureau de la tour Sonangol, en centre-ville, pour une villa située dans le quartier présidentiel.

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Pour les critiques du gouvernement, Manuel Vicente représente ce que Ricardo Soares de Oliveira, expert de l’Angola à l’Université d’Oxford, appelle la « privatisation du pouvoir ». Ce modèle revient à une concentration du pouvoir entre les mains d’une élite dirigeante qui ne tolère guère la dissidence. Cette privatisation du pouvoir a même réussi à attirer l’attention des autorités américaines sur les affaires de l’élite angolaise. Une enquête pour corruption a mis en lumière le rôle des partenaires locaux, méconnus mais bien connectés à la classe politique, dans la conclusion de contrats de plusieurs milliards de dollars impliquant le pétrole angolais. L’attention s’est aussi tournée vers Manuel Vicente lui-même.

La loi ne changera pas

Dans une interview, Manuel Vicente a confirmé que la règle des partenaires locaux ne changerait pas. Il n’apporte guère de considération au fait que cette disposition pourrait placer les entreprises européennes et américaines en porte-à-faux vis-à-vis des lois anticorruption occidentales. « C’est leur problème, c’est à eux de le résoudre », a-t-il expliqué au Financial Times. Mais il ajoute : « Il n’y a pas de corruption dans ce système. C’est important que le monde le comprenne. L’idée consiste à favoriser les locaux et nous continuerons certainement à le faire, dans le cadre de la loi angolaise ».

Il n’y a pas de corruption dans ce système. C’est important que le monde le comprenne. L’idée consiste à favoriser les locaux et nous continuerons certainement à le faire.

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Brillant ingénieur formé à l’Imperial College à Londres, Manuel Vicente a gagné une réputation de compétence auprès des groupes énergétiques qui exploitent les 1,8 millions de bpj de pétrole angolais. Total, BP, Chevon, ExxonMobil et d’autres ont investi des dizaines de milliards de dollars pour doubler la production angolaise, une source clé de brut pour la Chine et les États-Unis.

Pourtant, depuis novembre, la Securities and Exchange Commission (SEC) et le Department of Justice américains ont mené une enquête officielle sur les activités angolaises de Cobalt International Energy, une société basée à Houston.

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En février, Cobalt, dont le plus important actionnaire est la banque d’affaires Goldman Sachs, a réalisé l’une des découvertes les plus prometteuses de ces dernières années au large des côtes angolaises. En avril, le Financial Times révélait que Manuel Vicente et deux hauts gradés détenaient auparavant des participations masquées dans Nazaki Oil and Gás, le partenaire local de Cobalt. À l’époque (la structure a été montée en 2010), Manuel Vicente dirigeait Sonangol, laquelle a accordé le permis à Cobalt. Les lois anti-corruption américaines considèrent comme criminel le fait de payer ou d’offrir quoi que ce soit de valeur à des représentants officiels étrangers pour emporter un contrat.

Agences d’investigation américaines

Manuel Vicente déclare n’être pas au courant que sa société d’investissement, Grupo Aquattro Internacional, possédait des parts dans Nazaki. Aquattro est sortie de Nazaki dès qu’il l’a appris, déclare-t-il. Nazaki, détenue par quatre autres actionnaires, n’a pas répondu aux questions concernant ses propriétaires. « Nous sommes des gens sérieux, se défend Manuel Vicente. Nous connaissons très bien notre métier et nos responsabilités. Et nous n’avons jamais travaillé contre la loi ». Le ministre concède néanmoins que, s’il avait eu connaissance du fait, sa participation dans Nazaki aurait constitué un conflit d’intérêt avec son poste chez Sonangol.

Michael Goldberg, avocat chez Baker Botts qui représente Cobalt, explique que la société a parlé avec Manuel Vicente depuis les révélations du Financial Times. « Les détails de cette conversation seront transmis aux agences d’investigation américaines, ajoute-t-il. D’après notre propre enquête,  en tenant compte de nos découvertes les plus récentes, nous sommes plus convaincus que jamais que Cobalt n’a violé aucune loi américaine ou angolaise ». La SEC a quant à elle refusé de commenter les progrès de son enquête.

Alors que les États-Unis et l’Union européenne préparent chacun de leur côté des règles destinées à obliger les entreprises à révéler les détails des impôts payés aux gouvernements, la culture du secret angolaise met les groupes étrangers face à un dilemme. « Nous n’empêchons personne de publier ces informations, explique Manuel Vicente. Ce que nous leur disons, c’est ‘faisons-le ensemble’ ».

Je suis chrétien. Pour moi, cela ne fonctionne pas si je vais bien et que les gens autour n’ont rien à manger. Vous ne vous sentez pas à l’aise.

Juste au moment où l’enquête américaine pose des questions délicates aux investisseurs, l’alliance que Manuel Vicente a formée avec des prétendants orientaux semble devenir toujours plus forte. Il est le maître architecte d’un réseau qui mélange intérêts privés et publics, angolais comme chinois, dans un mouvement que les analystes décrivent comme une force émergente dans la course pour les immenses réserves de pétrole, de métal et de minerais africains.

Les obscures affaires du 88 Queensway group

Jusqu’à récemment, Manuel Vicente dirigeait China Sonangol, un joint-venture, basé à Singapour, entre Sonangol et un groupe d’investisseurs privés hongkongais, connu sous le nom de 88 Queensway group. Le 88 Queensway group détient notamment China International Fund (CIF) qui est au premier plan dans le vaste programme d’infrastructures angolais. Les termes des contrats de CIF avec l’État angolais ne sont pas connus du public. En 2009, Manuel Vicente a joué un rôle dans l’expansion de CIF en l’aidant à obtenir un contrat de plusieurs milliards de dollars dans les minerais et les infrastructures auprès de la junte militaire au pouvoir en Guinée à l’époque. Manuel Vicente assure que CIF est « absolument séparé » du programme essence contre infrastructures de 10 milliards de dollars entre l’Angola et l’État chinois.

China Sonangol, en partenariat avec la compagnie publique pétrolière chinoise Sinopec, a amassé des participations dans le secteur des hydrocarbures angolais. Elle a récemment obtenu des participations minoritaires dans deux nouvelles zones d’exploration accordées à BP et à Cobalt. La situation à part de China Sonangol signifie qu’elle est soumise à un contrôle encore moins exigeant que Sonangol.

Malgré les marques d’intérêt nombreuses de compagnies étrangères désireuses d’exploiter le pétrole angolais, l’ONU estime que plus d’un quart des 18 millions d’habitants du pays vivent encore dans une pauvreté extrême, une décennie après que la guerre civile a pris fin. M. Vicente admet d’ailleurs ce que les observateurs considèrent comme le développement le plus troublant de l’Angola post-conflit : le fossé qui se creuse entre une élite ultra-riche et le reste de la population.

« Le gouvernement est vraiment sérieux dans son engagement contre la pauvreté », dit-il. « Je suis chrétien. Pour moi, cela ne fonctionne pas si je vais bien et que les gens autour n’ont rien à manger. Vous ne vous sentez pas à l’aise. »

© Financial Times et Jeune Afrique 2012. Tous droits réservés.

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