Zohra Drif Bitat : « Le président Bouteflika est-il au courant de ce que vivent les Algériens ? »

Vendredi 6 novembre, 19 personnalités algériennes, dont d’anciens ministres, ont demandé audience à Abdelaziz Bouteflika pour lui faire part de leurs inquiétudes concernant de possibles atteintes à la souveraineté de l’État. L’isolement du président algérien – il ne reçoit que les étrangers – laisse planer des doutes sur ses capacités réelles à gérer le pays. Interview de la sénatrice Zohra Drif Bitat, une des signataires de la requête.

Abdelaziz Bouteflika à Alger, le 15 juin 2015, lors d’une rencontre avec son homologue français François Hollande. © AP / SIPA

Abdelaziz Bouteflika à Alger, le 15 juin 2015, lors d’une rencontre avec son homologue français François Hollande. © AP / SIPA

ProfilAuteur_NadiaLamlili

Publié le 10 novembre 2015 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Pourquoi avez-vous choisi de publier votre lettre dans la presse ?

Zohra Drif Bitat : Nous avons estimé qu’une démarche publique aurait plus de chances d’être efficace. Cette lettre a été signée par des personnes d’horizons différents qui partagent tous la même préoccupation. On se demande tous si notre président est au courant de ce que vivent les Algériens.

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Voulez-vous dire qu’on l’empêche d’être au courant ? Si oui, à qui faites-vous allusion ?

Je n’en sais rien. En médiatisant notre lettre, nous voulions être certains qu’il allait la lire. Elle a été également déposée chez son secrétaire particulier et chez son directeur de cabinet M. Ahmed Ouayahia.

Votre courrier laisse pourtant entendre que quelque chose se joue dans le dos de Bouteflika. Quel genre de décisions a-t-on pris à sa place ?

Je ne peux rien affirmer. Mais certaines décisions sont incompatibles avec l’homme que nous avons connu dans le passé et auprès de qui certains d’entre nous ont exercé. À titre d’exemple, nous avons été surpris de découvrir que dans le projet de loi de finances 2016, l’État renonce à son droit de préemption qui lui permet de récupérer les projets qu’un investisseur étranger désire transférer à une partie tierce. C’est une décision très grave. Le Bouteflika que je connais ne peut pas valider cela. Dans la même loi, le ministre des Finances s’est octroyé le droit de revoir à tout moment certaines dispositions. Cela est en totale contradiction avec la légalité républicaine.

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Peut-être que le président n’est plus l’homme que vous connaissez. Peut-être que ses positions ne sont plus les mêmes…

Justement, nous voulons le rencontrer et en avoir le cœur net. Nous voulons savoir si la politique suivie actuellement par l’Algérie a son agrément.

La sénatrice algérienne Zohra Drif Bitat à Alger, le 24 janvier 2007. © AP / SIPA

La sénatrice algérienne Zohra Drif Bitat à Alger, le 24 janvier 2007. © AP / SIPA

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Soupçonnez-vous que quelqu’un prenne les décisions à sa place ?

Non, je n’ai pas dit cela.

Le nom de Saïd Bouteflika est pourtant cité comme étant celui du véritable maître d’Al Mouradia…

Écoutez, c’est parce que nous ne savons pas qui prend les décisions réellement que nous avons sollicité une audience. Cette rencontre avec le président nous permettra de lui poser la question directement.

Les réactions de MM. Amar Saâdani, patron du Front de libération nationale (FLN) et de Ahmed Ouayahia, qui dirige le Rassemblement national des démocrates (RND), ne se sont pas fait attendre. Pour eux, M. Bouteflika n’est comptable que devant le peuple qui l’a élu et investi. Que leur répondez-vous ?

Mais nous sommes le peuple. Nous en faisons partie et nous exerçons notre droit de citoyens à travers cette lettre. Je ne vois pas pourquoi ces deux messieurs répondent à la place du président qui est le seul concerné. Sont-ils habilités à le faire ? Leur réponse, que je considère très grave, justifie notre démarche et les craintes que nous exprimons.

Saâdani est même allé jusqu’à dire que nous devrions demander au président François Hollande si Bouteflika décide ou pas.

Ils s’en prennent aussi à Louisa Hanoune, autre signataire de la lettre…

C’est indigne de leur part. Ils sous-entendent que Madame Hanoune a manipulé les anciens moudjahidines qui ont donné de leur vie pour l’Algérie. Cela vous donne une idée sur le sérieux de ces deux personnes ! M. Saâdani est même allé jusqu’à dire que nous devrions demander au président François Hollande si Bouteflika décide ou pas.

Que lui répondez-vous ?

Un patron d’un parti politique qui répond ainsi me conforte dans mes inquiétudes. Je me pose encore plus la question de savoir ce qu’on dit réellement au président et ce qu’on lui cache.

Peut-être que Bouteflika ne veut pas vous voir…

Nous ne l’avons pas compris ainsi. Bouteflika est un président qui exerce pleinement ses pouvoirs. Simplement, certaines de ses décisions ont semé le trouble dans nos esprits et nous voulons en discuter avec lui.

Y-a-t-il un lien entre votre démarche et ce que les partis d’opposition qualifient de « vacance du pouvoir » ?

En aucun lieu…

Le timing de la publication de votre lettre pose tout de même des questions. Vous demandez audience au président peu de temps après le limogeage brutal et inexpliqué officiellement de certains pontes des services sécuritaires

Pourquoi voulez-vous lier notre démarche à ce qui s’est passé dans l’armée ?

Est-ce Bouteflika qui a décidé de ces licenciements ?

Écoutez, je vous dis très clairement que je ne connais pas les rapports au sein de l’armée. Ce qui est sûr, c’est que tout ce qui relève de ce corps est du ressort de la présidence de la République depuis l’indépendance. Notre démarche est différente.

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