Aylin Nazliaka, députée turque : « Erdogan stigmatise tous ceux qui ne pensent pas comme lui »

La députée turque Aylin Nazliaka réagit à la victoire de l’AKP, le parti de Recep Tayyip Erdogan, lors des législatives du 1er novembre.

Un supporteur d’Erdogan, lors d’un meeting le 3 novembre 2015. © Hussein Malla/AP/SIPA

Un supporteur d’Erdogan, lors d’un meeting le 3 novembre 2015. © Hussein Malla/AP/SIPA

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Publié le 11 novembre 2015 Lecture : 3 minutes.

Après avoir subi un camouflet lors des législatives de juin, l’AKP a retrouvé sa majorité absolue en triomphant lors du scrutin du 1er novembre (49,3%). Une victoire que le parti islamo-conservateur, au pouvoir depuis treize ans, doit à la stratégie de son champion, le président Recep Tayyip Erdogan. Mode d’emploi ? Souder ses partisans en radicalisant son discours à l’égard de ceux qui ne votent pas pour lui. Soit la moitié de la population. Une politique de polarisation contre laquelle s’insurge Aylin Nazliaka, députée d’Ankara et figure de proue du parti CHP (centre-gauche, kémaliste) au Parlement où elle défend, notamment, la cause des femmes. Entretien.

Jeune Afrique : Entre les partisans de l’AKP et ses farouches adversaires, la Turquie est coupée en deux. Comment expliquez-vous que le président Erdogan soit autant adoré de ses supporteurs ?

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Aylin Nazliaka : Lui et ses partisans sont une association de malfaiteurs. Aujourd’hui, les mots les plus souvent utilisés à leur endroit sont « affairisme » et « malversations ». L’AKP a instauré un véritable népotisme dans les hautes sphères de l’État, et c’est grâce à ce système qu’il est encore soutenu. Et puis, une grande partie de la population a été effrayée par le climat de terreur [qu’il a suscité pendant la campagne des législatives], la mort et la pauvreté.

Pourquoi est-il autant détesté de ses opposants ?

Quand il n’y a ni liberté ni démocratie, il ne peut y avoir de fraternité. Le président utilise un langage méprisant à l’égard des millions de personnes qui ne sont pas de son avis. Il galvanise ses partisans en stigmatisant avec virulence ceux qui ne votent pas pour lui, sans respecter l’égalité homme-femme, les différences entre les langues et les religions. En 2006 à Mersin, à un paysan qui l’interpelait en lui disant « Je meurs de faim et je ne peux soigner ma mère », il a lancé : « Prends ta mère et va-t-en ! ». En 2012 [se moquant du culte des Alévis, qui chantent et dansent], il a comparé leurs maisons de prières, les cem-evi, à des cümbüs-evi – des lieux où on fait la nouba. Comment voulez-vous que le peuple puisse aimer un homme qui parle ainsi ?

Quelles sont les catégories de personnes qui le détestent le plus, selon vous ?

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Tout citoyen qui porte dans son cœur les valeurs de démocratie, de liberté et de modernité. On peut notamment inclure dans ce cercle les femmes, les ouvriers saisonniers, les écologistes, la jeunesse de Gezi, les retraités et les minorités sexuelles LGBT. Tous les gens qui ne lui ressemblent pas et que le président méprise.

Votre parti, le CHP, kémaliste et laïque, n’a-t-il pas eu tort de délaisser, voire de mépriser pendant si longtemps les populations rurales et pieuses d’Anatolie, désormais acquises à l’AKP ?

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Il est fort possible que le CHP ait pu suivre une politique erronée. Notre parti a fait son mea culpa et présenté ses excuses. Mais n’oublions pas que le kémalisme embrasse cette classe anatolienne et que le CHP est un fondateur de la République. Dans le ciment de l’Anatolie éclairée, il y a le ciment du CHP. « Le paysan est le seigneur du peuple », disait Mustafa Kemal Atatürk. Or le gouvernement a fait tout ce qui était en son pouvoir pour faire croire, pendant les campagnes des législatives, que le CHP ne prenait pas en compte les intérêts de la paysannerie.

Après des mois de turbulences, pensez-vous que Recep Tayyip Erdogan, victorieux dans les urnes, va apaiser la situation ?

Des jours très difficiles attendent la Turquie. On peut le prédire en se fondant sur les treize années de pouvoir AKP. Nous allons être entraînés dans une période de très haute tension et de mouvements de foule. Juste après les législatives du 1er novembre, les deux principaux responsables de la revue Nokta ont été arrêtés et inculpés suite à la demande d’Erdogan. Voilà concrètement ce que nous vivons. Le gouvernement et le président ne peuvent tolérer les autres sons de cloche, ils n’acceptent pas la moindre critique. Ils font perdre à la Turquie ses différentes couleurs et ses différentes voix.

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