Nouveaux lieux de culte en Afrique : qui fait bien son travail, prie au moins 100 fois
« Qui chante prie deux fois ». « Remettons tout entre les mains du seigneur ». Ainsi aiment à le rappeler bon nombre de leaders (pasteurs, prophètes) autoproclamés qui dirigent les nouveaux lieux de culte en Afrique.
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Harding Djakou Chati
Ingénieur, entrepreneur et africanophile. Il est passionné par le rôle des médias dans le développement des pays africains.
Publié le 12 novembre 2015 Lecture : 5 minutes.
De telles assertions sont très motivantes pour les fidèles de ces lieux qui redoublent alors d’énergie pour entonner avec enthousiasme les nombreuses chansons et autres cantiques religieux mais aussi d’imagination pour « tout mettre » entre les mains de leur seigneur. Dans le but de conjurer les nombreuses difficultés qui émaillent leur quotidien. Suffit-il de beaucoup chanter et de rester les bras croisés en remettant tout à Dieu pour résoudre les problèmes du quotidien ou pour développer son pays ?
Une manipulation des consciences au bénéfice des colons
De tout temps, la contribution sociale des Églises a toujours été salutaire dans de nombreux pays dans la mesure où elles viennent en aide aux personnes défavorisées.
Par contre, l’apport des lieux de culte au niveau du développement des pays africains est de mon point de vue discutable. Déjà lors de la colonisation, les religions ont joué un rôle déterminant dans la manipulation des populations africaines afin de les rendre dociles pour les travaux (dans les plantations par exemples) et annihiler leur résistance à travers les sermons prodigués dans les églises. Ces sermons recommandaient par exemple aux populations autochtones de ne pas s’allier aux nationalistes qui luttaient pour les indépendances. Nationalistes qui étaient traités de simples brigands.
Ce n’est par conséquent pas un hasard si la grande majorité des acteurs indépendantistes de l’époque, bien conscients de ce qui se tramait parfois dans les églises – une certaine manipulation des consciences au bénéfice des colons – avait entrepris de remettre, voire de détruire, leur carte de baptême.
Dans la dernière décennie, de nombreux lieux de culte ont poussé, tel des champignons, en Afrique. Les leaders de ces églises ont vite compris le filon que pouvait représenter pour eux les « évangiles ». Et aussi, le cadre de manipulation des consciences qu’un lieu de culte pouvait leur offrir. En effet, s’autoproclamer «élu de Dieu», « prophète » et créer une (ou sa) communauté « chrétienne» est devenu un moyen de gagner sa vie.
Dans ces nouveaux lieux de culte, le pasteur (le plus souvent peu ou pas instruit) promet à ses fidèles d’apporter les solutions à leurs problèmes. Ainsi, les difficultés des fidèles se retrouvent souvent caractériser par un «démon» qui serait source de tous les maux.
Pour cela, les croyances au surnaturel dans la survenue des événements bien ancrées dans les sociétés africaines sont exploitées, voire amplifiées. Comme solution, le « prophète » propose souvent de coûteuses séances de « délivrance » dont le résultat est aussi peu « vérifiable » que le diagnostic initial.
Une partie de la population se retrouve ainsi asservie et vivant dans la croyance d’un avenir meilleur où guérison, succès et réussite seront en « abondance». En attendant, la dîme et autres activés commerciales au sein de ces « églises » sont pratiquées. Vu que la possibilité de voir ses problèmes résolus dépend souvent du montant des sommes données, certains fidèles se retrouvent ainsi pris au piège du cycle de donation. Si en fin de compte, certaines aspirations des fidèles ne se réalisent pas, le « pasteur » leur fait comprendre que c’est en fait leur faute car ils ne payent pas assez ou ne prient pas assez.
Un frein au développement ?
De nos jours, concernant l’apport des religions dans les pays africains, on pourrait prétendre qu’un bon nombre de lieux de culte contribuent, au mieux, à aliéner une partie des populations réceptives aux « lendemains de victoire » souvent autoproclamés pendant les cultes et au pire, à freiner le développement du continent. Comment ? En distillant dans de nombreux esprits l’idée que :
- la réussite, la guérison, le développement peuvent être autoproclamées par des sermons ;
- la source des problèmes est un « démon » venant soit d’un collègue ou même d’un frère.
Ceci faisant, les églises érigent et entretiennent la peur de leur fidèle envers leurs proches, leur environnement en les soustrayant du champ de la création des idées et de l’action nécessaire pour le développement de la société et ils se servent de cette peur comme d’un véritable outil de manipulation des consciences.
Ceci étant, la tragédie de ce phénomène est la quantité de têtes brillantes qui sont aliénées et enlevées du « marché ». Le travail n’est pas assez valorisé. Le lien de causalité entre les différentes tares de la société et leurs sources réelles n’est pas du tout souligné. Et au lieu de cela, la majorité des fidèles baignent le plus clair du temps dans une bulle construite par leur leader religieux qui leur recommandent de prier « sans cesse ». Le souci en soit n’étant pas la prière elle-même, mais le temps d’inactivité qui suit souvent la prière. Ce temps « gâché » aurait pu être mis à contribution par le fidèle pour réfléchir et apporter des réponses concrètes aux maux de la société.
Qui fait bien son travail, qui contribue au développement de son pays, qui résout un (ou plusieurs problèmes) de la société prie au moins 100 fois
Cela dit, un simple regard sur les sociétés africaines d’aujourd’hui permet à l’observateur averti de se rendre compte que les promesses d’ « abondance » des nombreux « élus » autoproclamés ne sont que du vent. La majorité des fidèles de ces lieux de culte vivent dans la pauvreté et parfois la misère.
Et même s’il est vrai que la réussite par le travail prend souvent beaucoup du temps à se matérialiser, c’est principalement le travail (bien fait), l’éducation, la recherche, mais aussi l’implémentation de l’intérêt général à toutes les échelles de la société qui ont réussi à améliorer de manière palpable le quotidien du plus grand nombre.
Cependant, est-il déjà trop tard pour encourager ces nouveaux lieux de culte à se recentrer sur leur véritable activité qui se devrait de mon point de vue avant tout d’être sociale ? Que gagneraient ces nouveaux « élus » à mettre fin à un fonds de commerce aussi lucratif ? À ce niveau, les gouvernements africains doivent assumer leur responsabilité en encadrant mieux ces églises et en offrant des perspectives (par exemple économiques) aux fidèles de ces lieux.
En attendant, osons espérer que les plus illuminés d’entre ces « élus » encourageront leurs fidèles à coté de leurs prédications habituelles à se poser les bonnes questions sur les vices qui minent leur société. Et à tenter d’y apporter des solutions concrètes, à dénoncer et lutter contre la corruption qui minent souvent leur société, la mauvaise gouvernance, etc. Pour cela, ils pourraient, par exemple, ajouter lors de leur culte régulier un autre adage qui dira lui : qui fait bien son travail, qui contribue au développement de son pays, qui résout un (ou plusieurs problèmes) de la société prie au moins 100 fois.
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