Dossier télécoms : sur la voie de la Net-économie
Désormais efficacement reliés au réseau mondial via les câbles sous-marins, les pays côtiers francophones misent de plus en plus sur les nouvelles technologies pour doper leur croissance. Le but : suivre l’exemple sud-africain.
Télécoms : sur la voie de la Net-économie
Facebook, Twitter ? Non, Mxit ! Sur le continent, le réseau social le plus populaire est sud-africain. Créé en 2005 par Herman Heunis, acheté pour 50 millions d’euros en septembre par le fonds d’investissement World of Avatar, il totalise plus de 50 millions de membres, a réalisé environ 10 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2011 et compte tripler ses revenus cette année. C’est l’une des plus éclatantes réussites de la Net-économie africaine. Plus qu’ailleurs sur le continent, la démocratisation de l’accès au haut débit et la multiplication des appareils reliés au web créent en Afrique du Sud des opportunités pour une nouvelle génération de produits et de services.
Pour la première fois, une étude, intitulée « Internet Matters : The Silent Engine of the South African Economy » (« Le poids d’internet : le moteur silencieux de l’économie sud-africaine »), commandée par Google et publiée fin mai par le cabinet de conseil World Wide Worx, met en évidence l’apport du réseau mondial dans l’économie sud-africaine. Selon ses auteurs, l’an dernier, la Toile contribuait déjà à hauteur de 2 % au PIB du pays, soit 5,6 milliards d’euros, et pourrait atteindre 2,5 % du PIB avant 2016. Les opérateurs télécoms sont les premiers bénéficiaires de l’explosion des échanges de données, avec un revenu global de 2,3 milliards d’euros, tandis que les fournisseurs d’accès à internet empochent 400 millions d’euros.
En 2011, internet a contribué à hauteur de 2% au PIB de l’Afrique du Sud
Autre enseignement de ce rapport, la montée en puissance du e-commerce. En 2011, la vente de billets d’avion en ligne a représenté 850 millions d’euros, et les autres achats 250 millions. Mieux, être présent sur la Toile fait également toute la différence pour les petites et moyennes entreprises sud-africaines : « Une PME sur cinq estime qu’elle ne pourrait pas exister sans site internet », affirme Arthur Goldstuck, directeur général de World Wide Worx.
Comme l’Afrique du Sud, le Kenya ou le Nigeria, de plus en plus de pays africains francophones espèrent à leur tour faire des nouvelles technologies l’un des moteurs de leur croissance. Du Sénégal au Congo, en passant par le Gabon, le Bénin ou la Côte d’Ivoire, tous ambitionnent de devenir des plateformes numériques et, au-delà des infrastructures, de concentrer tout l’écosystème – société de services en ingénierie informatique (SSII), écoles d’ingénieurs… – nécessaire à l’émergence de la Net-économie. Mais en ont-ils les moyens ?
Inenvisageable il y a encore trois ans, cette idée prend corps à mesure que les côtes africaines sont reliées au réseau mondial grâce aux câbles sous-marins de fibre optique. S’appuyant sur le voisinage de six câbles internationaux, Djibouti a entrepris de valoriser sa position auprès des opérateurs d’infrastructures internationaux. D’ores et déjà, la fourniture de la bande passante au voisin éthiopien, multipliée par huit en quelques années, a permis au secteur des télécoms de devenir le deuxième contributeur au budget de l’État, derrière l’activité portuaire.
Corridors
Avec un temps de retard, l’Afrique de l’Ouest entre à son tour dans la danse grâce à des investissements colossaux. Plus de 1,5 milliard d’euros ont été débloqués ces cinq dernières années pour la construction de câbles sous-marins, entre autres par les opérateurs sud-africains Vodacom et MTN, le nigérian Globacom, France Télécom et la Banque mondiale. Des pays comme le Cameroun, le Togo, le Bénin et la Côte d’Ivoire espèrent devenir des corridors vers les pays de l’hinterland. « Pour développer l’économie numérique de ces États, il faut aussi prévoir des liaisons de secours si le câble venait à rompre », rappelle cependant Claude de Jacquelot, expert en télécoms auprès de la Banque africaine de développement (BAD).
Au-delà de la connectivité du continent, la gestion de l’accès aux câbles fait encore débat. Au Cameroun, au Bénin, au Congo, tenants du monopole d’État et partisans de la libéralisation s’affrontent. En jeu pour les pouvoirs publics, la mainmise sur une source de revenus conséquente, quitte à limiter la baisse du prix de la bande passante. C’est par exemple le cas au Bénin, où les tarifs sont quatre fois plus élevés qu’au Nigeria.
Avec l’arrivée du câble Wacs au Congo et au Bénin, opérateurs télécoms et fournisseurs d’accès à internet militent pour la création d’une structure réunissant pouvoirs publics et acteurs privés afin de commercialiser la bande passante en toute transparence. « Pour développer les nouvelles technologies, les gouvernements doivent davantage s’appuyer sur le secteur privé afin de bâtir les infrastructures mais aussi de former les ressources humaines appropriées », note Badii Kechiche, consultant au sein du cabinet Pyramid Research et coauteur d’un récent rapport sur cette question. Autre frein persistant à l’émergence d’une économie numérique, la faiblesse des réseaux filaires pour relier les territoires enclavés comme le Burkina Faso ou le Niger. Là encore, les monopoles conservés par certains opérateurs historiques limitent l’apport du secteur privé en empêchant par exemple, au Cameroun, la compagnie d’électricité AES-Sonel, qui dispose pour la gestion de son activité de 700 km de fibre, de vendre une partie de sa bande passante.
Malgré tout, la situation des nouvelles technologies s’améliore nettement en Afrique de l’Ouest. À preuve, la multiplication des points d’échange entre les réseaux des opérateurs au Cameroun ou au Bénin et, bien sûr, l’attribution ces derniers mois de licences 3G (haut débit mobile) en Côte d’Ivoire, au Bénin et au Congo, ce qui devrait doper la démocratisation d’internet (moins de 7 % de la population y avait accès fin 2011) en le rendant plus abordable à mesure que le prix des smartphones chute.
E-gouvernement
Ces derniers mois, la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Congo ont délivré des licences 3G.
En Côte d’Ivoire, l’adoption d’un nouveau code des télécommunications, début 2012, marque également un changement positif en consacrant la notion de licence universelle (donnant le droit d’utiliser toutes les technologies) et en facilitant la mise en place de partenariats public-privé. En parallèle, l’État ivoirien joue aussi la carte des nouvelles technologies, avec un vaste programme de e-gouvernement (administration), e-santé (télémédecine) et e-agriculture (Bourse d’échange des matières premières agricoles).
S’il se réjouit des mesures prises par les pouvoirs publics, Patrick Mbengue, président du Groupement des opérateurs du secteur des technologies de l’information et de la communication de Côte d’Ivoire (Gotic-CI), espère aussi que ces projets profiteront aux PME locales. « Il faut prendre des dispositions pour qu’elles ne soient pas exclues des appels d’offres publics, ce qui arrive souvent car elles n’ont pas de garanties financières suffisantes. Il n’y aura pas de Net-économie en Côte d’Ivoire sans une industrie locale forte », prévient-il.
Quelque 2 000 km plus au sud, le Congolais Vérone Mankou (Brazzaville), inventeur de la tablette tactile Way-C, plaide aussi pour un soutien accru de l’État. « Le système est complètement inadapté aux start-up. On nous demande de payer des taxes alors que nous ne gagnons pas encore d’argent. En plus, les banques ne veulent pas nous accorder de crédits alors que c’est nous, les jeunes, qui créons les entreprises de demain », confie-t-il.
Au Sénégal, une politique d’accompagnement fiscal a fait ses preuves. Outre les centres d’appels, qui, en une décennie, ont attiré plus de 30 millions d’euros d’investissements, « c’est tout un écosystème qui s’est constitué », note Omar Cissé, directeur général du CTIC, un incubateur de start-up cofinancé par des partenaires publics et privés. Avec des sociétés comme Sonatel (télécoms), People Input (services internet et mobile), 2SI (éditeur de logiciels) ou Neurotech (intégrateur de solutions Cisco), Dakar a montré la voie à suivre aux pays francophones.
Start-up cherchent technopôle
Créés avec succès en Égypte et au Maroc, les parcs dévolus à l’économie numérique peinent à s’imposer au sud du Sahara.
L’Égypte figure parmi les nations africaines les plus avancées en matière d’implication du secteur privé dans le développement des nouvelles technologies. Situé à une trentaine de kilomètres du Caire, le Smart Village est le moteur de l’économie numérique égyptienne et sans doute l’un des principaux facteurs de sa réussite. Créé en 2001 dans le cadre d’un partenariat public-privé, ce technopôle réunit 160 sociétés employant 40 000 personnes. À côté des sièges d’éditeurs internationaux de logiciels (Oracle, Microsoft…) et des centres d’appels géants cohabitent quantité d’entreprises locales sous-traitantes, des institutions financières, des centres de recherche et de formation…
Si le modèle a été adapté avec succès au Maroc avec l’ouverture de Casanearshore en 2007 (plus de 26 000 emplois créés), la réalisation de technopôles reste en revanche le maillon faible des stratégies des pays subsahariens. Au Sénégal, les professionnels du secteur semblent avoir abandonné tout espoir de voir émerger un parc spécialisé et reportent leurs attentes sur la zone franche de Diamniadio, à une trentaine de kilomètres de Dakar. Mais le projet n’est pas encore véritablement lancé, et seule une première tranche de 50 ha (sur 718) pourrait être aménagée dans un premier temps. Juste de quoi accueillir une trentaine d’entreprises.
Zone franche. Même incertitude en Côte d’Ivoire, où la zone franche de Grand-Bassam est bloquée au premier stade de son développement. Sur les 680 ha prévus, seuls 30 ont été exploités pour héberger une petite vingtaine d’entreprises. Mais l’arrivée prochaine sur le site d’une partie du groupe Orange et surtout la prise de fonctions au 1er juillet d’un nouveau directeur général devraient permettre au projet de redémarrer. Les start-up ivoiriennes aimeraient y croire. J.C.
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