Tunisie : Carthage Cement voit le bout du tunnel

Malgré ses performances sur la bourse tunisienne, Carthage Cement a frôlé la faillite. L’augmentation de capital qui doit être votée en assemblée générale le 21 juin pourra-t-elle faire passer les voyants au vert ?

Depuis le 14 janvier 2011, Carthage Cement a gagné 37,8% de sa valeur sur la bourse de Tunis. © Nicolas Fauqué/www.imagesdetunisie.com

Depuis le 14 janvier 2011, Carthage Cement a gagné 37,8% de sa valeur sur la bourse de Tunis. © Nicolas Fauqué/www.imagesdetunisie.com

Julien_Clemencot

Publié le 18 juin 2012 Lecture : 4 minutes.

Endetté, à court de trésorerie, Carthage Cement va jouer une partie de son avenir lors de son assemblée générale extraordinaire, le 21 juin. Si tout se passe comme prévu, son directeur général, Riadh Ben Khalifa, retrouvera un peu de sérénité quand les actionnaires auront approuvé l’augmentation de capital de 40 millions d’euros (80 millions de dinars). L’État (40 % du capital) devrait participer à cette injection de fonds propres pour garder le contrôle de la société en convertissant le compte courant associé qu’il détient depuis la confiscation des parts de Belhassen Trabelsi, beau-frère de l’ex-président Ben Ali.

Pour préparer au mieux cette échéance, la direction de l’entreprise a enfin décidé de sortir de sa réserve. Journalistes et investisseurs pourront visiter la cimenterie en cours de construction sur le site de Djebel Ressas, à environ 20 km au sud-est de Tunis. Grâce à un prêt de 20 millions d’euros obtenu auprès d’un pool bancaire tunisien, Riadh Ben Khalifa a prévu de régler les impayés – environ 7 millions d’euros – encore dus au turc Ekon, chargé du chantier.

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Miracle

« On a frôlé la catastrophe », admet un proche du dossier. Compte tenu de la capitalisation (environ 300 millions d’euros) et du montant des dettes (environ 220 millions d’euros), c’est tout le secteur financier tunisien, des intermédiaires en Bourse aux banques, qui aurait bu la tasse en cas de faillite… et qui pousse aujourd’hui un ouf de soulagement. Investisseurs et révolution faisant rarement bon ménage, l’affaire avait tout pour dégénérer. Il y avait, pour commencer, la présence parmi les actionnaires de Belhassen Trabelsi, en fuite depuis le 14 janvier 2011, ainsi que d’une mystérieuse société, Gulf Investment Overseas, lui appartenant vraisemblablement aussi. En outre, la société avait été admise au marché alternatif de la Bourse de Tunis alors même que la cimenterie n’existait pas.

Ajoutez à cela le Printemps arabe et une gestion hasardeuse : les retards s’accumulent après la révolution (blocage du port de Radès, d’où venaient les matériaux de construction, non-paiement du constructeur turc…) ; la direction d’alors (et notamment Lazhar Sta, actionnaire de la société) perd la confiance des banques ; le dinar se déprécie par rapport à l’euro, provoquant une perte de change de 30 millions d’euros sur certains contrats ; la production de béton prêt à l’emploi prend du retard, engendrant un manque à gagner de 7,4 millions d’euros… La survie de Carthage Cement, dont le manque de financement peut être estimé à 67 millions d’euros, tient du miracle.

Comment expliquer, alors, que le titre le plus échangé à Tunis en 2011 ait pu garder la confiance du marché ? D’abord par l’habileté de la société d’intermédiation MAC SA, qui a soutenu l’action dans le cadre d’un contrat de liquidité, appuyée en cela par Fathi Naifer et Slim Riahi, détenteurs respectivement de plus de 7 % et 5 % du capital et eux-mêmes clients de MAC SA. Mais rien n’aurait été possible sans l’aide des autres intermédiaires, dont beaucoup de clients ont eux-mêmes des actions de Carthage Cement. C’est donc toute une partie de la place financière, consciente des conséquences d’une faillite pour la Bourse de Tunis, qui s’est serré les coudes.

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La marge Ebitda des cimenteries tunisiennes ne dépasse pas 30%. Carthage Cement, lui, vise 53%. Trop ambitieux ?

Reste qu’à court terme « le retard pris par le projet, avec une entrée en production prévue au premier trimestre 2013 au lieu du premier semestre 2012, va décaler d’un an le versement de dividendes », estime Kais Kriaa, de la société d’analyse AlphaMena, pour qui le cours de l’action est très largement surévalué (3,85 dinars le 18 juin). Il émet en outre des doutes quant à la capacité de l’entreprise à atteindre à plus long terme un taux de marge Ebitda (proche de la marge brute d’exploitation) de 53 %, quand les autres cimenteries tunisiennes ne dépassent pas 30 %. Il faut dire qu’obligation lui est faite de servir en priorité le marché national, dont les prix sont 30 % inférieurs à ceux des exportations.

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Refus de réhabiliter

Selon Salma Zammit, analyste au sein de MAC SA, il ne faut pas sous-estimer le potentiel industriel du projet. La cimenterie utilisera en effet une technologie très innovante, économe en énergie, capable de fonctionner à la fois au gaz, au petcoke et à partir de déchets. Carthage Cement possède par ailleurs sa propre carrière lui permettant, grâce à la qualité des matières premières extraites, de fabriquer un très bon ciment à moindre coût. Surtout, pour rassurer les investisseurs, les promoteurs du projet mettent en avant le contrat d’exploitation signé pour cinq ans avec une filiale du concepteur de la cimenterie, le danois FLSmidth.

Enfin, pour augmenter les économies d’échelle, la capacité de production de l’usine – 2,5 millions de tonnes par an – pourra être doublée, d’après une source interne à la société, pour un investissement « raisonnable » de 25 millions d’euros. Subsiste une inconnue. Quel sera l’impact du refus de l’État de réhabiliter les 15 km de l’ancienne voie ferrée qui relie le site au réseau desservant les ports de Radès et de Sousse ? C’était un cadeau promis à Belhassen Trabelsi. Riadh Ben Khalifa, lui, devra négocier. 

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