Jean-David Levitte : « La Françafrique a complètement disparu »

Ambassadeur de France dignitaire depuis 2006, Jean-David Levitte a été conseiller diplomatique et sherpa de deux présidents de la République Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Pour Jeune Afrique, il revient sur la politique africaine de la France.

Jean-David Levitte lorsqu’il était ambassadeur de France aux États-Unis en 2005. © BOB CHILD/AP/SIPA

Jean-David Levitte lorsqu’il était ambassadeur de France aux États-Unis en 2005. © BOB CHILD/AP/SIPA

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Publié le 13 novembre 2015 Lecture : 4 minutes.

Jeune Afrique : Aux MEdays, vous êtes venu parler des moyens d’assurer la sécurité en Afrique, la stabilité du continent, mais beaucoup de spectateurs vous ont vivement reproché l’intervention française en Libye, parlant même de fiasco ?

Jean-David Levitte : Je pense qu’on ne peut parler de fiasco à propos de la politique française en Libye. Nous étions face à une urgence humanitaire. Rappelez-vous les expressions employées par Kadhafi et ses fils : « Nous allons dératiser…  Il va y avoir des rivières de sang ». La répression alors en cours était d’une brutalité extrême, car elle utilisait les armes de l’État contre les populations.

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Grâce à cette intervention, nous avons sauvé beaucoup de vies humaines. Alors devait-on agir face à une telle situation ? Je pense que oui. De toutes façons le fait est que lorsque la France agit, on la critique, et lorsqu’elle n’agit pas, comme en Syrie, on la critique aussi. Rappelons que la France est intervenue en Libye avec l’accord de l’Union africaine, de la Ligue arabe et du Conseil de sécurité de l’ONU.

Sincèrement, à tout prendre, je pense qu’il vaut mieux être aujourd’hui citoyen libyen que citoyen syrien. Les opérations militaires en Libye on fait très peu de victimes et si aujourd’hui, la situation est en blocage politique, il n’y a pas de massacres massifs. Il y a certes des échauffourées, quelques attentats, mais rien à voir avec la guerre que vit la Syrie actuellement. La Syrie se trouve elle dans une impasse totale.

En Libye, nous aurions dû accompagner davantage le processus démocratique.

D’aucuns vous reprochent néanmoins d’avoir déstabilisé la région en anéantissant le régime de Kadhafi…

Effectivement, nous avons souvent été critiqué, non pour l’intervention militaire en soit, mais pour la suite des événements. Il faut avouer que cela ne s’est pas déroulé comme les nouveaux dirigeants libyens nous l’avaient annoncé. Les choses avaient pourtant bien commencé après la chute du régime, les élections s’étaient bien passées puis ça s’est dégradé.

Nous aurions dû accompagner davantage le processus démocratique. C’est une erreur que nous n’avons pas reproduite au Mali, où après l’opération militaire, il y a eu un accompagnement appuyé par l’Union africaine. Le Mali est un succès total. Cela dit, pour revenir à la Libye, je reste optimiste, Bernardino Leon, l’ex-représentant spécial des Nations unies en Libye, a fait un travail remarquable pour rassembler les uns et les autres. Nous ne sommes pas loin d’un accord entre les autorités de Tripoli et celles de Tobrouk. Le bilan n’est pas si négatif.

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Vous avez été le sherpa des présidents Chirac et Sarkozy et vous semblez encore plus positif sur la politique diplomatique actuel de la France en Afrique ?

Je pense qu’il n’y a pas de différence. Ce qui caractérise la France depuis De Gaulle, c’est la continuité de sa politique étrangère. Nous avons des principes et un mode d’action qui s’inscrivent dans une continuité presque absolue. Et je fais partie de ceux qui sont fiers de ce que la France accomplit aujourd’hui au Mali. La continuité de cette politique diplomatique est un gage de crédibilité fondamental au niveau international.

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Que pensez-vous justement de la politique de la France face à la crise migratoire qui préoccupe les Français, les Européens et les Africains ?

Je ne préfère pas m’exprimer sur un problème extrêmement difficile qui ne regarde pas que la France.

Pensez-vous que l’opération Barkhane est la bonne stratégie pour éradiquer le terrorisme au Sahel ?

Nous avons fait beaucoup de progrès sur le chemin de la lutte contre les réseaux terroristes. Car ce ne sont pas seulement des terroristes, ce sont aussi des réseaux de trafiquants de drogue, de chair humaine. Et c’est tout cela qu’il faut combattre ensemble. Je suis frappé de voir à quel point on a trouvé, sous l’égide de l’Union africaine, des structures sous-régionales qui œuvrent dans ce sens avec les partenaires étrangers dont la France.

Nous enregistrons de progrès décisifs pour empêcher ces groupuscules de traverser les frontières par exemple. Nous le constatons autour du lac Tchad, la lutte contre Boko Haram a pris le chemin de la coopération entre tous les pays de la sous-région. La France y participe aux côtés des Tchadiens, des Camerounais, des Nigériens, c’est une source de fierté, nous œuvrons à la stabilité de ces pays à travers la sécurisation de la zone.

En Côte d’Ivoire, certains reprochent l’intervention militaire française contre le palais présidentiel où s’était retranché l’ancien président Laurent Gbagbo…

Nous n’avons pas agit seuls, mais avec l’accord de l’Union Africaine et du Conseil de sécurité de l’ONU. Les troupes françaises à travers l’opération Licorne, étaient aux côtés des Casques bleus sur place. Tous ont joué un rôle décisif. Tout a été fait pour que Monsieur Gbagbo accepte sa défaite et se retire de manière apaisée. On a poussé le dialogue jusqu’au bout et malheureusement, face à l’entêtement de ce dernier, face aux massacres surtout dans certains quartiers d’Abidjan, nous avons été obligés d’employer la force. L’opération militaire n’a duré que quelques heures, elle a permis de régler une fois pour toute cette crise.

La Françafrique a complètement disparu et depuis longtemps.

Certains y ont vu la résurgence de la Françafrique, que leur répondez-vous ?

La Françafrique a complètement disparu et depuis longtemps. C’est une époque révolue. La France a la volonté de rester en Afrique mais aux côtés des Africains. On peut les aider mais ce sont eux qui prennent les décisions. Le vieux mythe qui voudrait que de mystérieux acteurs pourraient manipuler des réseaux secrètement est une aberration qui a la vie dure… Personnellement, je ne l’ai pas constaté durant mes années aux côtés du président Sarkozy. D’ailleurs, ça fait longtemps que la France n’est plus seule en Afrique. Le monde entier est là pour aider le continent à réussir et c’est tant mieux pour les Africains. Maintenant, à eux de choisir leurs partenaires…

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