Hasni Abidi : « La France doit imposer une solution politique en Syrie »

Le politologue algérien Hasni Abidi dirige le Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM) à Genève. Participant aux MEDays 2015 à Tanger, du 11 au 14 novembre, il réagit aux attentats de Paris, estimant que la France a commis l’erreur de renoncer à sa politique arabe pour s’aligner sur celle des Américains.

Le président syrien Bachar al-Assad à Paris le 9 décembre 2010. © Remy de la Mauviniere / AP / SIPA

Le président syrien Bachar al-Assad à Paris le 9 décembre 2010. © Remy de la Mauviniere / AP / SIPA

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Publié le 17 novembre 2015 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Selon vous, pourquoi la France est-elle aujourd’hui l’une des cibles privilégiées des jihadistes ?

Hasni Abidi : La France était autrefois le premier pays au monde à avoir fait un diagnostic sérieux et franc sur la faillite de la guerre. On se souvient de sa position sur la guerre en Irak, où elle avait été prudente, en disant « attention ; cette guerre va engendrer des conséquences terribles. » Je pense qu’autrefois la France avait une approche très pragmatique concernant la carte jihadiste ou la lutte contre le terrorisme, mais malheureusement, elle a basculé depuis peu dans l’approche américaine. Finalement, la pression de ces jihadistes, notamment après les derniers attentats et ceux de Charlie Hebdo ont eu raison de l’approche sereine de la France.

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Pour vous, il ne fallait agir ni en Libye, ni au Mali, ni, actuellement, en Syrie ?

Les trois cas sont différents, j’étais parmi ceux qui ont soutenu l’opération au Mali parce que les conditions n’étaient pas les mêmes. C’était une opération pour éviter que les jihadistes s’installent durablement dans la région. C’était une opération d’anticipation. On a raté le coche en Syrie parce que les Français n’étaient pas directement concernés à côté des Américains. Quant à la Libye, ce n’est pas l’intervention elle-même qui était mauvaise mais les suites qu’on lui a données. Ce n’est pas l’opération militaire aérienne qui a changé la donne, c’est l’humiliation faite à Kadhafi et à travers cela, à une partie importante des Libyens qui soutenaient Kadhafi. C’est cela qui a créé un vide, une vacance du pouvoir puis une radicalisation des positions. Cela a finalement entraîné la militarisation des factions et évidemment profité à l’État islamique.

Quand la France insiste pour que Bachar al-Assad ne fasse pas partie de la transition, elle a raison

Alors que doit faire la France aujourd’hui ?

Je pense qu’elle doit revenir sur son approche du début, plus prudente, qui était d’ailleurs soutenue par plusieurs pays arabes. En gros, il ne faut pas seulement se concentrer sur les conséquences du terrorisme, mais aussi essayer de comprendre en profondeur ce qui se passe. Il faut trouver une solution politique avant tout, comme Paris le préconisait au début. Car Daesh se nourrit de la politique d’Assad. Quand la France insiste pour que Bachar al-Assad ne fasse pas partie de la transition, elle a raison. La France a une grande expérience au Proche Orient, en matière de politique arabe, elle ne doit pas suivre les Américains. D’ailleurs, beaucoup d’internautes musulmans, notamment d’Arabie Saoudite disent : « Pourquoi s’attaquer à la France alors que c’est elle qui soutient la légalité en Syrie, c’est elle qui soutient la nécessité d’obtenir une solution politique ». La France doit imposer une solution politique, et elle sera suivie par les pays arabes.

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Ça veut dire sans les États-Unis mais surtout sans la Russie qui soutient le régime de Bachar al-Assad ?

Je n’exclus pas la Russie car vous savez, le soutien de Poutine à Assad n’est pas dogmatique. La Russie soutient Damas pour des intérêts économiques et stratégiques. Il faut surtout ne pas négliger la Russie, la France doit travailler avec elle dans un objectif et un calendrier précis. Il faut maintenir les institutions de la Syrie afin que l’État ne s’effondre pas, comme ce fut le cas en Libye. Il faudra sans doute garder certains éléments de Bachar al-Assad pour cela. Il faut des négociations urgentes entre le régime de Damas et l’opposition avec toutes ses composantes.

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Vous voulez dire clairement qu’il faudra négocier demain avec le groupe État islamique ?

Non pas avec l’État islamique. Mais il va faloir soutenir et négocier avec tous les mouvements, y compris avec le front Al Nosra d’Al Qaïda pour justement affaiblir et chasser l’État islamique. Il y a aujourd’hui un consensus pour lutter contre l’État islamique. Mais le départ de Bachar al-Assad doit être négocié avec ses représentants.

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