Madagascar : difficile sortie de crise
Le potentiel minier, touristique et agricole de la Grande Île n’est plus à démontrer. Mais en l’absence d’un calendrier électoral, la reprise de l’économie peine à se concrétiser.
Depuis la chute du président-entrepreneur Marc Ravalomanana en mars 2009 et l’arrivée au pouvoir d’Andry Rajoelina, président de la Haute Autorité de la transition, Madagascar navigue à vue. Le calendrier électoral, qui doit permettre la sortie de crise avec l’avènement d’un Parlement et d’un président élus au suffrage universel, n’a toujours pas été annoncé, tandis que le pays a connu cinq Premiers ministres en trois ans. Sur le plan économique, cette transition à durée indéterminée a eu des conséquences dramatiques. En 2009, le PIB a chuté de 4,1 %. Puis la Grande Île a connu deux années de croissance à 0,5 %. Insuffisant quand la croissance démographique est de 3 % par an.
Évoquant la mauvaise gouvernance du pays et le retrait de près de 800 millions d’euros des bailleurs de fonds internationaux, le magazine américain Forbes a qualifié Madagascar de « pire économie du monde » en 2011. Et même si la Banque mondiale et le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) amorcent un timide retour, la situation sociale reste tendue. « Entre 2009 et 2011, la proportion de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté est passée de 68,5 % à 76,5 %. Près de 336 000 emplois ont été détruits depuis 2009, annonce Fatma Samoura, coordinatrice du Pnud dans le pays. Avec l’exclusion de Madagascar de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), qui accordait des facilités douanières aux produits malgaches sur le marché américain, le textile a perdu à lui seul 126 000 emplois. » Or le secteur représentait 70 % des exportations jusqu’en 2008.
Le tableau n’est pas totalement sombre. Mieux : les dernières prévisions du FMI sont même encourageantes.
Aujourd’hui encore, les entreprises tournées vers le marché intérieur souffrent de la baisse du pouvoir d’achat : « Le taux de pénétration du téléphone mobile n’est que de 30 % », regrette Patrick Pisal-Hamida, directeur général de l’opérateur mobile Telma (100 millions d’euros de chiffre d’affaires). Même morosité pour Jean-Claude Ratsimivony, PDG du laboratoire Homéopharma, dont le chiffre d’affaires local a baissé de 10 % depuis 2009 sur ses produits cosmétiques et thérapeutiques.
La dégradation des infrastructures inquiète aussi. « Si les grands axes ont été préservés, comme la RN2 qui relie Antananarivo au port de Toamasina [Est, NDLR], ailleurs, l’état des routes freine le développement. Dans la région de Mananara [Nord-Est], productrice de vanille et de clous de girofle, il faut tout acheminer par pirogue », se plaint un cadre d’une société agricole. L’approvisionnement énergétique aussi est critiqué par les entreprises. « Les variations accidentelles de tension et les coupures se sont multipliées ces derniers mois », indique Patrick Pisal-Hamida. L’explication ? « Avec un budget de l’État de 50 % inférieur à celui de 2007, les programmes d’investissement et de maintenance ont été sacrifiés », déplore l’économiste Aimé Herinjatovo Ramiarison.
Rebond
Le tableau de l’économie malgache n’est pas totalement sombre. En ce début de juin 2012, les rues embouteillées d’Antananarivo fourmillent d’activité. De nombreux provinciaux, profitant de la récolte du riz, sont venus faire leurs achats et font tourner les boutiques de Tana. Crise politique ou pas, les hommes d’affaires se pressent dans la capitale. Du 31 mai au 3 juin, la Foire internationale de Madagascar, dévolue à la promotion du secteur privé, a attiré 50 000 visiteurs. Au même moment se déroulait le Salon international du tourisme, secteur crucial qui représente 13 % du PIB.
Les Malgaches, mais aussi certains investisseurs étrangers – notamment asiatiques, mauriciens et français -, veulent croire à un rebond de l’économie. « Ces derniers mois, nous avons assisté à l’arrivée de deux nouveaux acteurs bancaires, le gabonais BGFI et le mauricien Bank One, signe que les investisseurs financiers croient malgré tout au potentiel de Madagascar », remarque Maminiaina Ravatomanga, patron du groupe Sodiat, très présent dans l’import-export avec plus de 2 500 salariés.
Les dernières prévisions du Fonds monétaire international (FMI) laissent entrevoir une croissance de 2,9 % en 2012 et de 5,1 % en 2013. Encourageant, même si avant la crise politique l’économie progressait de 7 % par an. « Il ne faut pas se fier au classement de Forbes : à en croire les Américains, Madagascar ressemblerait à l’Afghanistan. La réalité est tout autre ! » affirme Augustin Andriamananoro, conseiller spécial d’Andry Rajoelina et président de la Société nationale de participations de Madagascar (Sonapar), présente dans 70 entreprises. « L’ariary [la monnaie malgache], qui a connu une forte dépréciation sous les régimes précédents, reste stable, se félicite-t-il. Et l’inflation, jadis explosive, a été contenue. » De 18,5 % en 2005, elle se maintient autour de 9 % depuis 2008. « L’État a su gérer les déficits et n’a pas fait fonctionner la planche à billets », admet Fatma Samoura, du Pnud.
Rodage
Dans cet environnement, les entreprises tournées vers l’international se portent mieux. Le tourisme a repris. « Entre 2008 et 2009, le taux de remplissage des hôtels d’Antananarivo est passé de 80 % à 46 %… Mais au second semestre 2011, les tour-opérateurs annoncent une hausse de 25 % à 30 % de leurs activités », se réjouit Éric Koller, président de l’Office national du tourisme de Madagascar. Une tendance qui, au regard de la crise en Europe, reste à confirmer.
L’externalisation informatique et des centres d’appels se développe aussi, grâce aux infrastructures de communication déployées depuis 2000. « Nous sommes passés de 50 à 250 salariés en cinq ans, se félicite Rindra Rakotomalala, directeur des opérations d’Extedim (saisies comptables, facturations pour le compte de sociétés françaises). Ici, nous bénéficions d’une connectivité optimale avec une main-d’oeuvre moins coûteuse qu’à l’île Maurice. »
Quant au secteur minier, il est l’objet de projets prometteurs. L’extraction d’ilménite sur le gisement de Fort-Dauphin (près de Tolagnaro, Sud), propriété à 80 % de l’australien Rio Tinto et à 20 % de l’État, est pour le moment le seul grand projet en cours d’exploitation. Il a nécessité près de 900 millions d’euros d’investissement. La mine et l’usine d’Ambatovy (près de Toamasina), propriété à 40 % du canadien Sherritt, sont quant à elles en phase de rodage. Ces installations d’une valeur de 4,4 milliards d’euros doivent démarrer d’ici à la fin de cette année, avec un recrutement en cours de 7 000 personnes.
Opacité
Toutefois, dans l’attente de la vérification des modalités d’obtention, les contrats signés après 2009 – ceux du chinois Wisco dans le fer à Soalala (Nord-Ouest), de son compatriote Mainland Mining à Anjahambe (Est) et de l’australien Madagascar Resources à Toliara (Sud-Ouest), tous deux dans l’ilménite – ont été suspendus par le ministère des Mines le 1er juin. « Dans ces conditions opaques, les grands du secteur minier ne se réintéresseront pas à Madagascar avant la fin de la transition », analyse Alain D’Hoore, économiste de la Banque mondiale chargé du pays.
Enfin, il demeure un secteur où tout reste à faire : celui de l’agriculture, dans un pays où 80 % de la population est rurale. « C’est vrai, la révolution verte que nous voulons lancer n’a pas encore démarré, en dépit du potentiel agricole incroyablement varié du pays », admet le conseiller spécial du président, Augustin Andriamananoro. « Avec sa main-d’oeuvre et ses richesses agricoles, minières et touristiques, Madagascar dispose d’un potentiel de redémarrage exceptionnel. Mais pour que la croissance puisse être libérée et profitable au plus grand nombre, tout reste lié à la question politique, prévient Alain D’Hoore. Sans élection, il n’y aura pas de croissance suffisante ni d’amélioration du pouvoir d’achat. »
Lire aussi : Les frontières poreuses de Madagascar
La fin de l’empire Ravalomanana
Avec la saisie du patrimoine des laiteries Tiko par la justice le 24 mai, le démantèlement du groupe de l’ex-président est pratiquement achevé.
Le nom de Tiko hante encore ceux qui ont évincé du pouvoir l’ancien président Marc Ravalomanana. « Jusqu’en 2009, les consommateurs malgaches étaient entre les mains de ce groupe agroalimentaire. Beurre, lait, huile, sucre, vous n’aviez pas le choix, pour vous approvisionner, il fallait passer par ce quasi-monopole », dénonce Augustin Andriamananoro, conseiller spécial du président de la Haute Autorité de la transition, Andry Rajoelina.
Une version que conteste Me Hanitra Razafimanantsoa, qui défend les intérêts du président déchu : « Le groupe Tiko, au sens où on l’entend, n’existait pas : il n’y avait pas de holding regroupant l’ensemble des entreprises du président Ravalomanana avec une stratégie de domination, mais un ensemble de sociétés n’ayant pas de liens capitalistiques entre elles », affirme-t-elle.
La galaxie économique de Ravalomanana se composait avant 2009 de sept grandes sociétés : les laiteries Tiko, les supermarchés Magro, les produits laitiers Ti, les huiles alimentaires Top, la minoterie Mana, la société de bitumage Alma et la société rizicole Fanampy Rice Mill. « L’ensemble comptait entre 2 500 et 3 000 salariés, et générait entre 30 000 et 40 000 emplois indirects », estime Me Razafimanantsoa, qui précise que l’ex-président avait abandonné toute fonction managériale après son élection, le 6 mai 2002.
Attaques
Après la chute de « Ravalo » en 2009, le patrimoine de ses différentes sociétés a été la cible de toutes les attaques : « Tous les supermarchés Magro ont brûlé en 2009, et les entrepôts de Mana ont été pillés », regrette l’avocate, qui a dû faire face à de multiples procédures fiscales. « Il ne nous restait plus rien, mais les autorités se sont mises à nous réclamer les impôts au titre de l’année précédente », dénonce-t-elle, déplorant une justice aux ordres. Avec la confirmation par la cour d’appel, le 24 mai, de la saisie du patrimoine des laiteries Tiko au profit de la Direction générale des impôts, on pourrait assister à la dissolution définitive de l’empire de Marc Ravalomanana, même si ses partisans n’ont pas abandonné les recours en justice. « C’étaient les dernières installations de valeur du groupe Tiko », affirme Me Razafimanantsoa.
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