Cécile Kyenge : « Nous ne devons pas répéter les erreurs de l’après 11-Septembre »

L’Europe saura-t-elle résister au populisme et à l’amalgame, après les attentats de Paris ? Faut-il craindre des lendemains douloureux pour les communautés musulmanes du Vieux continent ? Jeune Afrique a posé la question à Cécile Kyenge, députée européenne d’origine congolaise et ancienne ministre de l’Intégration italienne.

Cécile Kyenge. © AFP

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Publié le 19 novembre 2015 Lecture : 4 minutes.

Cécile Kyenge est l’une des députées européennes les plus actives sur les dossiers de l’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile. Alors que les attentats de Paris ont frappé la France et l’Europe, elle livre ses impressions à Jeune Afrique, espérant que l’Union européenne saura échapper à la tentation de l’amalgame.

Jeune Afrique : Au lendemain des attentats de Paris, comment éviter les amalgames entre citoyens de confession musulmane et terroristes ?

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Cécile Kyenge : Il faut avant tout éviter de tomber dans l’erreur des populistes et associer la religion aux actes qui ont été commis. Les réfugiés et les immigrés ne sont pas l’ennemi à combattre : ils sont également des victimes du terrorisme. Il est impératif que les pays européens renforcent les politiques d’intégration et mettent en place des mesures contre le racisme et la xénophobie. Une réponse politique populiste, qui favoriserait les amalgames, ne serait pas digne de l’Europe, un continent de 500 millions de personnes bâti avant tout sur la mixité sociale et culturelle.

Les attentats de Paris représentent-ils également l’échec des politiques d’intégration en Europe ?

Oui, il y a clairement un échec à ce niveau, en France, mais aussi au Royaume-Uni ou en Italie. Avec nos politiques de ghettoïsation, nous avons créé des zones à risques où des jeunes se sentent abandonnés et peuvent être recrutés d’autant plus facilement par des filières terroristes. Il faut stopper la mise en place de ces politiques de ghettos. Qu’ils soient de première, de deuxième ou de troisième génération, les jeunes d’origine étrangère doivent bénéficier d’une même politique d’intégration, notamment dans le secteur de l’emploi, afin d’avoir véritablement le sentiment d’appartenir à la communauté.

Avec nos politiques de ghettoïsation, nous avons créé des zones à risques.

Concrètement, que peut faire l’Union européenne dans la lutte contre le phénomène jihadiste ?

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Avant tout, elle doit s’attaquer aux lieux de radicalisation, notamment les prisons, où des personnes vulnérables sont abandonnées à elles-mêmes, et les réseaux sociaux. Ce sont par ces canaux que les terroristes recrutent. Mais il faut également être lucide sur le fait que nous avons été incapables de trouver une réponse commune efficace, notamment au niveau de la coopération et de l’échange des informations. Des systèmes existent, comme le « Passenger name record », qui stockent des données personnelles sur les voyageurs. Mais ceux-ci doivent être améliorés et c’est à l’Union européenne de se saisir de ce problème. Tant que les pays européens ne partageront pas complètement leurs informations, leurs services de renseignement européens resteront trop faibles.

La réponse peut-elle également être militaire ?

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Je crois que nous ne devons pas répéter les erreurs de l’après-11 septembre, en bombardant, plus ou moins en solitaire, comme cela a été fait en Libye et comme si seule la vengeance importait. Tous les États européens doivent être consultés et faire bloc autour d’un projet commun de pacification de la Syrie. Il est très important de combattre Daesh en incluant l’Arabie Saoudite, la Russie et Bachar al-Assad.

Vous êtes donc favorables à un accord, au moins temporaire, avec Bachar al-Assad ?

Oui, même s’il est également responsable de la situation actuelle et qu’il ne peut pas, à terme, se maintenir au pouvoir. Dans un premier temps, je crois qu’on ne peut pas exclure Bachar des discussions.

Dans un premier temps, je crois qu’on ne peut pas exclure Bachar des discussions.

L’infiltration des flux de réfugiés par les réseaux jihadistes est-elle selon vous un risque sérieux ?

C’est en tout cas un risque qui doit être pris au sérieux. Mais les réfugiés sont avant tout des victimes. Ils ne doivent pas devenir un danger dans l’esprit des gens. En dehors de la personne dont on aurait retrouvé le passeport au stade de France [et qui serait passée par la Grèce avec des réfugiés, NDLR], les autres auteurs des attentats de Paris étaient des gens vivant « normalement » dans les sociétés française ou belge. Il ne faut pas tomber dans le populisme et la distraction par intérêt politique. Les Européens ne doivent pas abandonner leurs valeurs et leur volonté de prendre en charge et d’accueillir les réfugiés. La priorité est de sauver des êtres humains et d’éviter les amalgames.

Craignez-vous que les attentats de Paris provoquent une nouvelle poussée de l’extrême-droite en Europe ?

Malheureusement, c’est un risque. Sur le court terme, je crois qu’il sera difficile d’empêcher les populistes d’engranger des voix, d’abord parce que le discours d’assimilation entre réfugiés et terroristes est simpliste mais porteur, surtout en période de crise économique. Mais, de notre côté, il faut que nous insistions sur la réalité : la contribution des immigrés à l’économie est très importante. Financièrement, ils donnent plus que ce qu’ils reçoivent. L’accueil des réfugiés peut certes être coûteux à court terme. Mais à long terme, la présence des migrants est bénéfique.

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