État islamique : mauvaise direction

À cette même place, la semaine dernière, j’ai fait le constat suivant : « Aucun pays n’a osé engager de troupes au sol contre « l’État islamique » et aucun ne veut courir le risque de le faire.

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 27 novembre 2015 Lecture : 8 minutes.

Aucun résultat n’a donc été obtenu et l’on ne nous en annonce pas. » Or « on ne peut pas détruire « l’État islamique » sans reconquérir le territoire dont il s’est emparé ».

Et j’en avais tiré une conclusion qui me paraissait raisonnable : « Prendre son parti de l’existence de ce proto-État, le contenir à l’intérieur du territoire dont il s’est emparé, le laisser évoluer et s’assagir… »

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Raisonnable ou non, cette perspective n’est plus d’actualité et n’est même plus concevable depuis le vendredi 13 novembre.

*

Ce jour-là, « l’État islamique » a fait subir à la France l’équivalent de ce qu’Al-Qaïda avait infligé aux États-Unis le 11 septembre 2001 : une agression spectaculaire qui a pris la forme d’actes de terrorisme indiscriminé exécutés par un commando frappant des civils innocents et faisant dans la capitale française 130 morts et plus de 300 blessés.

La France a réagi en 2015 comme l’ont fait les États-Unis en 2001 et, à l’instar de George W. Bush, le président français, François Hollande, a engagé son pays dans une guerre illimitée et sans merci contre le terrorisme de « l’État islamique », qu’il a préféré appeler Daesh.

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Sur sa lancée, il a décidé d’adapter la Constitution de la France, sa législation, son économie et ses alliances aux impératifs de sa sécurité. Rien de moins !

Cette réaction et les mesures qui en ont découlé ont suscité d’innombrables réactions où, pour le moment, l’approbation domine. La France a pu mesurer, une fois de plus, aux très nombreuses manifestations de solidarité qu’elle a reçues, l’étendue de son prestige.

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L’observateur attentif que je crois être est beaucoup plus réservé : je ne pense pas que la réaction du président français soit la plus appropriée.

Je vous expose les principales raisons pour lesquelles j’estime que la France et son gouvernement ont pris une mauvaise direction.

*

1) Daesh ou « État islamique » ?

Dans cette affaire, tout est biaisé, à commencer par le nom de l’ennemi avec lequel la France est désormais en guerre. François Hollande et d’autres avec lui tiennent à utiliser l’acronyme arabe – Daesh – qu’il s’est donné, que personne en France ne comprend et dont la traduction est « État islamique en Irak et au Levant ».

En adoptant le mot Daesh et en le proposant à leurs alliés, les pays arabes eux-mêmes ont laissé à cette entité le titre d’État dont elle se réclame. N’est-il donc pas plus simple, ne serait-il pas plus intelligible d’employer (avec les guillemets qui s’imposent) l’expression d’« État islamique » ?

C’est ce que j’ai choisi de faire.

2) Qui a commencé la guerre ?

Dans L’Obs, son fondateur, Jean Daniel, peu suspect de complaisance avec les terroristes, pose avec d’infinies précautions une série de questions.

« La France a été conduite à concentrer la puissance de feu de son aviation sur Daesh. Si bien qu’en se considérant comme une puissance agressée, comme un État dont on prétendrait détruire l’armée, les jihadistes actuels ne se seraient livrés qu’à une riposte, à une attitude d’autodéfense. L’agression de la terreur répondrait ainsi à celle des bombardements.

Si l’on suit ce raisonnement développé par les communiqués des terroristes, alors tous les discours sur la défense de nos valeurs seraient condamnés à être absurdes et surtout hypocrites.

Pourquoi la France, qui n’était pas attaquée, provoque ce qu’elle appelle une « guerre » ? Le choc que nous éprouvons depuis cette nuit historique ne doit pas nous conduire à des réponses trop expéditives.

La question est de savoir ce que nous sommes allés faire en Syrie. »

3) Mais est-ce une guerre ?

Le président George W. Bush et son vice-président Dick Cheney avaient réagi à l’attentat terroriste du 11 septembre 2001 (qui a fait 3 000 morts à New York et à Washington) en engageant les États-Unis et le monde dans l’aventure de ce qu’ils ont appelé « la guerre (mondiale) contre le terrorisme ».

Ce « concept » qu’ils ont inventé s’est révélé inopérant, biaisé et maléfique : les États-Unis ont envahi deux pays et renversé leurs régimes, semant la désolation et disloquant l’Irak.

« L’État islamique » est né du chaos ainsi créé, et la toute-puissante Amérique s’est épuisée dans cette « guerre » qui n’en est pas une, ne serait-ce que parce qu’elle n’a pas de fin : « Personne, dans ma génération, n’en verra le bout », a prévenu l’écrivain Amin Maalouf, qui sait de quoi il parle.

Le successeur de George W. Bush s’emploie, depuis sept ans, à sortir son pays de ce guêpier sans y parvenir. Il explique pourquoi il se refuse à faire la guerre au terrorisme :

« La victoire sur les terroristes, dit Barack Obama, requiert un rejet par la population locale de leur idéologie, sinon il faut être prêt à une occupation permanente.

Ce n’est pas seulement mon avis, mais aussi celui de mes conseillers militaires et civils, que ce serait une erreur, non pas parce que nos militaires ne seraient pas capables de marcher sur Raqqa ou Ramadi et nettoyer temporairement l’EI, mais parce que ce serait une répétition de ce que nous avons fait dans le passé, sans succès. »

*

On pouvait penser que la France se garderait de mettre un pied dans le piège de « la guerre contre le terrorisme » et l’on regrette de la voir s’y enfoncer.

Est-il trop tard pour ses dirigeants de prendre en compte l’analyse du même Amin Maalouf selon laquelle « les actes de terrorisme ont leur origine dans la désintégration politique et morale de plusieurs pays arabes et musulmans… La tragédie est si ample et si profonde qu’il faudra plusieurs décennies pour la surmonter. »

Jean Daniel conclut dans le même sens : « Pour le moment, les assassins ne sont que des assassins, et tout ce à quoi ils parviennent en France, c’est à nuire à l’islam, qu’ils prétendent promouvoir. »

4) Terrorisme et tourisme

La France avait été une première fois frappée par le terrorisme au début de cette année. Pas plus que la Tunisie, qui avait d’abord été attaquée au Musée du Bardo et, quelques mois plus tard, dans un hôtel de Sousse, sans se montrer mieux préparée à faire face, la France n’a donné l’impression, en novembre, de réaliser qu’elle est devenue la cible des terroristes.

Si le renseignement y a été pris en défaut, les services de sécurité ont remarquablement bien fonctionné, en janvier comme en novembre, puisqu’ils ont tôt fait de retrouver les auteurs des actes terroristes et de les « neutraliser ».

Mais, à l’exemple de la Tunisie et de l’Égypte, le pays de François Hollande et de Laurent Fabius, qui tire des 80 millions de touristes qui le visitent chaque année près de 10 % de ses revenus, dépend grandement de son tourisme.

Et, lui aussi, a vu ses hôtels, ses restaurants et ses magasins se vider de leurs clients étrangers au lendemain du 13 novembre.

5) L’exemple des autres pays

La France n’est que le dernier grand pays en date frappé par un acte terroriste important. La Russie l’a été le 31 octobre (224 morts dans l’explosion en plein vol d’un avion de la Metrojet) et la Turquie quelques semaines auparavant, le 10 octobre (102 morts et 500 blessés).

Mais ces deux pays ne sont pas encore des démocraties tandis que l’Espagne et le Royaume-Uni sont, en Europe occidentale, comme la France, d’authentiques démocraties.

La première a été frappée le 11 mars 2004 dans sa capitale, Madrid (191 morts, 2 000 blessés), et le second l’a été le 7 juillet 2005 (52 tués et 700 blessés).

Avez-vous entendu leurs dirigeants claironner qu’ils étaient en guerre et qu’ils allaient changer leur Constitution, leurs lois et consacrer plus de ressources à la sécurité ?

Rien de ce que le président français a entrepris résolument de faire et qui empêchera son pays de mener les réformes qui ont été amorcées.

« Le pacte de sécurité, a-t-il dit, prime désormais sur le pacte de stabilité. » La France se remet donc à recruter plus de fonctionnaires, renonce à réduire son déficit budgétaire et son endettement.

Tout se passe comme si le gouvernement de MM. Hollande et Valls attendait l’occasion de pouvoir justifier un retour au laxisme sociopolitique pratiqué par leurs prédécesseurs depuis plus de trente ans.

6) Pessimisme

François Hollande dit, d’une part, que « la France est en guerre contre Daesh », qu’elle va tout faire pour gagner cette guerre. Et, d’autre part, il met en route une modification de la Constitution et une politique de recrutements massifs, accepte pour l’État des dépenses nouvelles de sécurité au détriment du pacte de stabilité.

Ces mesures ne se réaliseront que progressivement et ne produiront donc leur plein effet que dans deux ou trois ans. Cela signifie-t-il que la guerre contre Daesh sera longue, et que la victoire annoncée ne sera acquise que dans plusieurs années ?

On surestime Daesh et on lui fait trop d’honneur : il est condamné à disparaître rapidement

Voici donc un petit « État islamique » enclavé, avec peu de ressources, cerné par des pays hostiles et qui a contre lui, outre la France, les plus grandes puissances du Moyen-Orient et du monde, parti pour leur opposer une résistance plus grande que celle de l’Allemagne hitlérienne et du Japon réunis !

Je n’en crois rien ! On surestime Daesh et on lui fait trop d’honneur : il est condamné à disparaître rapidement.

7) Méconnaissance

Il se confirme que François Hollande a tout faux sur le Maghreb et le Moyen-Orient.

En Tunisie, il a soutenu les islamistes d’Ennahdha et encouragé un Moncef Marzouki et un Mustapha Ben Jaafar à se faire leurs supplétifs. Résultat : l’avènement au pouvoir de « la Troïka » qui a mis la Tunisie dans la situation difficile où elle se trouve et dont elle peine à sortir.

Et pour qui Hollande a-t-il « voté » à l’élection présidentielle tunisienne en 2014 ? Pour Moncef Marzouki et contre Béji Caïd Essebsi.

La politique étrangère du président Hollande est à l’image de sa politique intérieure : zigzagante, dominée par le pragmatisme et l’opportunisme

Ses oscillations entre l’Algérie et le Maroc, l’appui intéressé qu’il apporte à l’Arabie saoudite et au Qatar, qui le lui rendent sous forme d’achats d’armes et de contrats divers sont des manifestations de sa « diplomatie économique ».

Et n’a-t-il pas beaucoup fait pour tenter d’empêcher l’accord sur le nucléaire iranien avant de virer de bord ?

Son brusque et tout récent changement d’attitude envers la Russie de Poutine et le régime de Bachar al-Assad ne donne pas à sa politique au Moyen-Orient plus de cohérence. Il montre seulement que la politique étrangère du président Hollande est à l’image de sa politique intérieure : zigzagante, dominée par le pragmatisme et l’opportunisme.

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