Cevital : ses plans au sud du Sahara

La croissance de cevital en Algérie est compromise par des relations houleuses avec les autorités. Le premier groupe privé du pays s’apprête donc à investir gros en Côte d’Ivoire pour en faire sa tête de pont en Afrique de l’Ouest.

Le port de San Pedro est au coeur de la stratégie du troisième groupe agro-industriel africain. © Issouf Sanogo/AFP

Le port de San Pedro est au coeur de la stratégie du troisième groupe agro-industriel africain. © Issouf Sanogo/AFP

Publié le 12 juin 2012 Lecture : 5 minutes.

Avec un programme d’investissement de plus de 800 millions d’euros, l’Algérien Issad Rebrab voit grand pour sa première incursion industrielle hors de ses frontières en tant qu’investisseur. Après des missions de prospection de ses équipes au premier trimestre, le patron de Cevital, premier groupe privé d’Algérie et troisième groupe agro-industriel africain, s’est rendu 4 au 7 juin à Abidjan pour finaliser son projet. Sur son agenda figurait un entretien avec le chef du gouvernement ivoirien, Jeannot Ahoussou Kouadio, et plusieurs ministres influents, pour leur présenter ses investissements dans le détail et obtenir le feu vert des autorités.

Ce projet d’implantation ivoirienne a germé au début du second semestre 2011 et s’élabore avec l’entrepreneur ivoiro-libanais Hamed Koffi Zarour, administrateur-directeur général de la Compagnie internationale pour le commerce et l’agro-industrie (Cica), une société spécialisée dans le négoce de produits agroalimentaires. Soutien local d’Issad Rebrab, l’homme d’affaires sera aussi son représentant pour toute l’Afrique de l’Ouest.

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S’ouvrir pour mieux survivre

Le groupe revoit sa gouvernance. Un Canadien a été nommé directeur général, tandis que le conseil d’administration accueille désormais des personnalités qui siègent à parité avec la famille Rebrab.

Depuis le 22 janvier, un Canadien de 70 ans, Louis Roquet, assure la gestion opérationnelle de Cevital en tant que directeur général. Jusqu’alors simple membre du conseil d’administration, ce haut fonctionnaire québécois a été directeur général de la Ville de Montréal de 2009 à 2011 (il a démissionné) et a présidé Desjardins Capital de risque, un gestionnaire de fonds canadien. Sur sa feuille de route figurent la réorganisation du groupe, qui compte 21 filiales et onze métiers, et la recherche de nouvelles compétences.

De son côté, Issad Rebrab, le fondateur, assure la présidence du conseil d’administration. Et son fils Malik, présenté jusque-là comme son successeur (ses cinq enfants travaillent dans le groupe), est chargé du pôle industriel. Autre changement de taille : fin 2011, le conseil d’administration s’est ouvert à six « personnalités indépendantes » qui siègent à parité avec les membres de la famille Rebrab.

Pérennité

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« Pour soutenir la croissance et assurer sa pérennité, le groupe Cevital a tout intérêt, comme beaucoup d’entreprises algériennes, à adopter un nouveau mode de bonne gouvernance, à s’ouvrir sur l’extérieur et à ne plus rester à un stade familial », s’est justifié Issad Rebrab, qui s’appuie sur des statistiques affirmant que 70 % des entreprises familiales ne réussissent pas le passage à la deuxième génération… et disparaissent. J.-M.M.

À l’étroit

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La raison de cette sortie d’Algérie ? À l’étroit dans son pays, Issad Rebrab doit internationaliser son groupe pour en conserver la dynamique, en assurer la pérennité et maintenir la croissance à deux chiffres qu’il connaît depuis 1999. Cevital a réalisé un chiffre d’affaires de 1,4 milliard d’euros en 2009, puis de 1,7 milliard en 2010 (+ 21,5 %), et nourrit l’objectif d’atteindre les 4 milliards d’ici à 2015. Trouver des relais de croissance hors d’Algérie s’avère donc vital.

Depuis des années, les relations d’Issad Rebrab avec les autorités algériennes sont sinusoïdales, et plusieurs de ses projets – dont la construction d’une ambitieuse unité de trituration de graines oléagineuses (tournesol, colza, soja) à Béjaïa – sont paralysés. « C’est incroyable combien d’activités de création de richesses et d’emplois sont bloquées par ignorance ou par idéologie », assure le patron dans la biographie que lui a consacrée Taïeb Hafsi, Issad Rebrab : voir grand, commencer petit et aller vite, publiée aux éditions Casbah en début d’année.

De fait, l’introduction à la Bourse d’Alger du premier groupe privé du pays, envisagée à de multiples reprises, n’est plus d’actualité. « Quel intérêt de solliciter l’argent des marchés quand on ne peut l’investir ? » s’interrogeait publiquement Issad Rebrab, le 15 mars, lors d’un colloque organisé par le Forum des chefs d’entreprises, le patronat algérien. « Cevital est aujourd’hui en surliquidité. On a de l’argent qu’on veut investir, mais on ne nous autorise pas à le faire », ajoutait-il. Un constat qui l’a conduit à prendre la direction de l’Afrique subsaharienne, de la Côte d’Ivoire en particulier.

Si le conglomérat familial est présent dans le béton, le ciment, le verre plat, la grande distribution, l’importation d’automobiles et l’électronique grand public, c’est sur l’agroalimentaire – son point fort avec plus de 60 % du chiffre d’affaires -, mais aussi les mines et l’énergie, qu’il compte s’appuyer pour aborder le marché ivoirien, avant de lancer aussi rapidement un projet similaire en Éthiopie, au Kenya ou au Soudan.

En Côte d’Ivoire, le plan d’attaque se concentre sur le port de San Pedro, le deuxième du pays. Cevital y projette la création d’un gigantesque pôle agro-industriel, calqué sur le modèle bâti depuis 1997 par le groupe autour du port de Béjaïa, qui réunit des sites de raffinage et de production de sucre (1,8 million de tonnes par an), d’huile végétale (570 000 t/an) et de margarine (180 000 t/an), et emploie 5 000 personnes.

Le port de San Pedro servira aussi de base logistique pour la conquête des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), un marché de plus de 300 millions de consommateurs. Les autorités portuaires ont déjà donné leur accord de principe. Dans le détail, le pôle agro-industriel sera composé de sites dévolus à la tomate et au riz, et d’une raffinerie de sucre (3 millions de tonnes par an) qui sera alors l’une des plus importantes au monde. Consacrée exclusivement à l’exportation dans la sous-région, elle comblera une partie des 7 millions de tonnes de sucre qu’importe chaque année la Cedeao.JA2682p064 <span class=icono_cevital" src="https://www.jeuneafrique.com/images/stories/agroindustrie/JA2682p064_icono_cevital.jpg" height="200" width="350" />

Face à lui, Cevital aura deux acteurs influents en Côte d’Ivoire, Sucrivoire (filiale de Sifca) et Sucaf-CI (Somdiaa), qui dominent la filière, avec une production cumulée de 187 000 t en 2011 pour des besoins nationaux estimés à plus de 200 000 t de sucre. « Ce qui se passe est grave, lance un concurrent local. Il faut protéger les industriels nationaux, nous ne resterons pas les bras croisés face à l’arrivée de Cevital. » De son côté, Sifca avait déjà pris la décision d’investir 56 millions d’euros sur ses sites de Zuénoula (Centre) et de Borotou-Koro (Nord-Ouest) pour hisser sa production de 87 000 t à environ 115 000 t d’ici à 2015.

Intégration

Les ambitions de Cevital ne s’arrêtent pas là. Outre la réalisation d’une centrale électrique basée sur l’énergie renouvelable (200 MW), le groupe algérien compte construire un terminal minéralier et pétrolier à San Pedro, par où transitera le fer de la mine de Monogaga, à une cinquantaine de kilomètres à l’est, et des gisements de l’ouest du pays. Un secteur qu’Issad Rebrab connaît bien, puisqu’il possède une usine sidérurgique dans son pays (Metal Sider). Industriel dans l’âme, le patron algérien ne jure que par l’intégration. « Il est important de contrôler toutes les étapes. Il faut tenir soit la marque puis la distribution, soit la production et la distribution. Sinon tu ne détiens rien… », confiait-il dans l’ouvrage qui lui est consacré. 

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