Rolf Traeger : « Il faut aller au-delà de l’augmentation de la productivité agricole »
La réalisation des Objectifs de développement durable dépendra de l’éradication de la pauvreté dans les zones rurales des pays les moins avancés. Pour cela, il faudra aussi investir dans les activités rurales non-agricoles, indique un nouveau rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED).
Rolf Traeger, chef de la section des pays les moins avancés au service de la recherche et des analyses politiques de la CNUCED, dévoile les préconisations du rapport 2015 de la Commission sur les PMA.
Le nouveau rapport annuel de la CNUCED est consacré à la « transformation des économies rurales » dans les pays les moins avancés (PMA). Pourquoi ce choix ?
Il résulte du premier des 17 objectifs de développement durable (ODD) adoptés en septembre par les membres de l’ONU et qui vise à l’éradication de la pauvreté sur la planète d’ici à 2030.
Or, où la population est-elle la plus dense et la plus durement touchée par des formes de pauvreté extrême ? C’est bien sur les territoires des PMA, dont une majorité se trouve en Afrique, et plus précisément dans leurs zones rurales qui concentrent en moyenne deux tiers de la population de ces pays.
Dans les PMA, la proportion de personnes vivant en dessous du seuil national de pauvreté est environ deux fois plus élevée dans les zones rurales que dans les zones urbaines. L’écart moyen entre les revenus et le seuil de pauvreté est supérieur d’environ 20 % dans les zones rurales. Et il s’est creusé au cours des vingt à trente dernières années.
Éradiquer la pauvreté au niveau mondial commence donc d’abord et avant tout par l’éradication de la pauvreté dans les zones rurales des PMA. C’est ce que nous expliquons dans ce rapport.
Quelles solutions préconise la CNUCED ?
Plus de 60 % des populations dans les PMA travaillent dans l’agriculture. Sur la période 2011-2013, la productivité moyenne du travail agricole dans les PMA représentait 18,7 % de celle des autres pays en développement et seulement 1,8 % de celle des pays développés. L’écart de productivité était même plus important dans l’agriculture que dans les secteurs de l’industrie ou des services ! Il faudra donc augmenter de façon exponentielle la productivité des zones rurales des PMA.
Cela passe par une hausse des investissements dans la R&D agricole, par une amélioration de l’irrigation agricole – seules 4 % des terres agricoles subsahariennes sont irriguées -, une densification des infrastructures de transport et de stockage et un meilleur accès des agriculteurs au crédit ou à l’assurance.
Mais l’augmentation de la productivité agricole n’est pas tout, il faut aussi s’intéresser aux activités rurales-non-agricoles (distribution d’intrants, mécanisation, conseil) et à l’augmentation de la production de produits agricoles à plus forte valeur ajoutée (fruits, fleurs…).
De quelle façon ?
À travers la promotion et le financement de toutes les activités connexes à l’agriculture. D’abord le commerce des intrants et des engrais, les équipements, les machines et les outils. Puis la transformation des produits de l’agriculture, à commencer par la transformation des fruits en jus. Cela peut aller bien au-delà avec le développement d’une véritable industrie agroalimentaire, voire de services plus éloignés comme le tourisme.
Ces écosystèmes connexes à l’agriculture sont essentiels pour absorber les excédents de main-d’œuvre que l’amélioration de la productivité agricole génère nécessairement et pour laquelle la migration vers les villes n’est pas une solution. Ceci n’est pas un vœu pieux. La preuve, c’est de cette façon que la Chine, le Chili ou encore Maurice ont amorcé un développement qui est parti des zones rurales et de la création d’entreprises rurales non agricoles.
Il faut également travailler à une hausse des investissements dans les infrastructures, notamment le renforcement des liaisons de transport entre zones rurales et zones urbaines : la densité actuelle du réseau routier de l’Afrique subsaharienne (201 km/1 000 km2) représente moins d’un tiers de celle de l’Inde de 1950 (703 km/1 000 km2).
Comment financer ces investissements ?
Pour réaliser cette transformation et surtout pour atteindre les ODD, il faudrait que 0,30 % à 0,35 % de l’aide publique au développement (APD) totale (0,7 % du revenu national des donateurs) soient alloués aux PMA, ce qui équivaudrait au double environ de l’engagement actuel, compris entre 0,15 % et 0,20 %.
Si les principaux donateurs consacraient 0,35 % de leur revenu national à l’APD en faveur des PMA, les montants de l’aide apportée à ces pays augmenteraient de 300 % de 40 milliards de dollars en 2014 à 165 milliards de dollars, puis progresseraient ensuite de 50 % pour s’établir à 250 milliards de dollars en 2030.
Cela revient à demander aux États contributeurs de multiplier par six leurs budgets d’APD en quinze ans…
Nous avons parfaitement conscience des périodes d’austérité dans lesquelles sont plongées les économies de nombre d’États contributeurs. Mais le Royaume-Uni, qui a mis en œuvre de très fortes mesures d’austérité, a tout de même atteint l’objectif de 0,7 %.
Évidemment, sur le long terme, il faut privilégier l’autonomisation des économies en développement, dont celles des PMA. Ceci pose donc la question de la façon dont ces aides sont utilisées. Or, nous avons constaté en vingt ans une réorientation de l’APD des domaines proprement économiques, l’agriculture, industrie vers des finalités sociales telles que l’éducation et la santé.
D’un point de vue du développement social et économique de long terme, il serait important de remettre l’accent sur les priorités économiques, l’industrie et les infrastructures, notamment.
Deux pays africains ne doivent plus compter dans la liste des PMA à moyen terme, la Guinée équatoriale et l’Angola. Quand leur sortie de cette liste doit-elle intervenir et pour quelles raisons ?
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