France : Pierre Moscovici, entre austérité et croissance

Brillant énarque, le nouveau ministre de l’Économie a la lourde tâche d’extirper la France de la crise de la dette. De sa réussite dépend en partie la bonne santé des économies africaines.

Lors de la convention sur le projet du Parti socialiste, le 28 mai 2011, à Paris. © Bruno Levy/Fedephoto

Lors de la convention sur le projet du Parti socialiste, le 28 mai 2011, à Paris. © Bruno Levy/Fedephoto

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 6 juin 2012 Lecture : 5 minutes.

S’il est un ministre français dont la politique sera scrutée à la loupe par les gouvernements africains, c’est bien Pierre Moscovici, ministre de l’Économie, des Finances et du Commerce extérieur du tout jeune gouvernement Ayrault. En ces temps d’incertitudes où la crise de la dette européenne menace de faire caler l’économie mondiale, réussira-t-il le pari du nouvel occupant de l’Élysée, François Hollande, de mener de front austérité et relance de la croissance ?
En effet, sans regain économique, pas de reprise des achats de Renault, qui fait travailler nombre de sous-traitants au Maroc ou en Tunisie, et une moindre appétence de l’Hexagone pour le charbon sud-africain ou le manganèse gabonais. De quoi ralentir la belle croissance africaine tirée depuis dix ans par les exportations de ses matières premières.

Chemin de crête
Pierre Moscovici, 54 ans, sait que sa feuille de route emprunte le difficile chemin de crête tracé par François Hollande. Il répète donc que « la dette publique est un ennemi » pour la France. D’où la nécessité de réduire les déficits, comme promis, à 3 % en 2013, et d’atteindre l’équilibre en 2017. Il dit aussi qu’un « pays qui s’endette est un pays qui s’appauvrit ». Pas d’autre solution qu’un contrôle strict des dépenses pour éviter qu’un nouveau gonflement de la dette (1 800 milliards d’euros aujourd’hui) ne fasse peur aux marchés et que les agences de notation ne dégradent une fois de plus le crédit du pays.
Dans le même temps, il faut renouer avec la croissance, qui seule permettra d’alléger durablement le fardeau de la dette et de tenir les promesses de justice sociale du président français. Avec une croissance nulle au premier trimestre, l’objectif de 0,5 % pour 2012 n’est pas dans la poche ! Donc, n’en déplaise à Angela Merkel, la chancelière allemande, pas de ratification du traité de discipline budgétaire européen et de sa fameuse « règle d’or », qui interdit la persistance des déficits, s’ils ne comportent pas un volet de relance. Et le G8 de Camp David du 19 mai semble avoir donné raison à la France, car Barack Obama, le président des États-Unis, a très peur que la rigueur à l’allemande ne contamine l’économie américaine au moment de l’élection présidentielle de novembre.
MISSIONS ET MANDATS

1984 Rejoint le « groupe des experts » du Parti socialiste

1988 Chargé de mission au cabinet du ministre de l’Éducation nationale Lionel Jospin

1990 Chargé de mission au Commissariat au Plan

1994 et 2004 Député européen

1997 Ministre chargé des Affaires européennes

1997 et 2007 Élu député du Doubs (est de la France)

2012 Ministre de l’Économie, des Finances et du Commerce extérieur

Reste à trouver les moyens de cette relance sans dégrader les comptes ! Le relèvement du salaire minimum n’y suffira pas et pourrait encore affaiblir la compétitivité française. Les grands travaux financés par l’Union européenne mettront du temps à produire leurs effets bénéfiques, tout comme les 2 milliards ou 3 milliards d’euros annoncés pour soutenir les PME.
Pierre Moscovici est de taille à relever le défi. Il est né en 1957 à Paris dans une famille juive d’intellectuels de gauche d’origine roumaine. Ses études sont brillantes et le conduisent de Sciences-Po à l’École nationale d’administration (ENA), avec deux passions : la politique et l’économie. Ses idées le portent d’abord à l’extrême gauche, vers la Ligue communiste révolutionnaire. Repéré par l’un de ses professeurs à l’ENA, un certain Dominique Strauss-Kahn (DSK), il se rapproche du Parti socialiste (PS), qu’il avait d’abord boudé et dont il gravira les échelons avec brio, jusqu’à l’inculpation pour agression sexuelle de son mentor à New York en mai 2011. Il soutient alors la candidature de François Hollande et devient son directeur de campagne.
Dandy
En économie, c’est un social-démocrate bon teint. Il est le représentant d’une gauche gestionnaire, à l’aise dans les négociations de Bruxelles son anglais et son allemand ont fait merveille. C’est un dandy, toujours habillé avec recherche et qui a beaucoup fréquenté le Café de Flore, l’un des temples de l’intelligentsia parisienne. De façon étonnante, il a su s’implanter politiquement à Montbéliard (département du Doubs, est de la France), terre ouvrière et fief de Peugeot, lui qui n’a pas son permis de conduire… Cinéphile, cultivé, célibataire sans enfant, il est, selon l’écrivain Marc Lambron, « intelligent, ambitieux, ténébreux, plaisant aux filles ».
Après sa vaine tentative en 2008 de disputer à Martine Aubry la place de premier secrétaire du PS, on le disait hors course. Ce à quoi il répondait par une boutade de Mark Twain : « L’annonce de ma mort est tout à fait prématurée. » Le voici qui rebondit de belle manière, après avoir refusé de devenir le secrétaire général de l’Élysée de François Hollande : il voulait Matignon, le Quai d’Orsay ou Bercy. Ce sera Bercy, avec sa cohorte de dossiers explosifs.
Le premier s’appelle la Grèce, que François Hollande ne veut pas voir quitter la zone euro et qu’il faut aider. Mais « on ne peut rien faire seul », souligne « Mosco ». Le second sera la banque Dexia, au bord de la faillite et pour laquelle les États belge et français ont apporté leur garantie pour… 45 milliards d’euros. Le troisième sera le prix des carburants, dont il va devoir réviser le mode de taxation pour éviter aux consommateurs de supporter de fortes hausses.
Après l’inculpation de son mentor DSK, il soutient la candidature de François Hollande.
Anti-Gbagbo
Et l’Afrique dans tout ça ? Elle se rappellera à lui au moment de la discussion sur l’utilisation de la taxe sur les transactions financières, qui entrera en vigueur le 1er août et rapportera 1,1 milliard d’euros en année pleine. Cette manne servira-t-elle à renforcer l’aide flageolante aux pays en développement ou à boucher les trous budgétaires de la France ? On sait aussi que Pierre Moscovici faisait partie, avec François Hollande, des socialistes qui jugeaient Laurent Gbagbo « infréquentable » bien des années avant la chute du président ivoirien. D’autre part, à l’ONG CCFD-Terre solidaire, qui interrogeait le candidat Hollande sur l’évasion fiscale et l’impunité des sociétés multinationales qui privent de recettes fiscales de nombreux pays du Sud, « Mosco » répondait en mars qu’il conviendrait de procéder par étapes, c’est-à-dire « pousser pour la transparence, puis la régulation et enfin les sanctions ». Pas de révolution à craindre ou à espérer du ministre de l’Économie, mais un réformisme « normal ». Comme celui de son président. 

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