Nigeria : l’essence du scandale

En mettant au jour un vaste système de corruption au sein du programme de subventions des carburants au Nigeria, un rapport parlementaire piloté par l’opposition a fait l’effet d’une bombe. La population gronde.

En janvier 2012, l’abolition des aides sur le prix des carburants avait provoqué des manifestations sans précédent. © Sunday Alamba/SIPA

En janvier 2012, l’abolition des aides sur le prix des carburants avait provoqué des manifestations sans précédent. © Sunday Alamba/SIPA

Patrick Smith est le rédacteur en chef de The Africa Report, un magazine mensuel qui se concentre sur la politique et l’économie en Afrique. © DR

Publié le 8 juin 2012 Lecture : 4 minutes.

Un rapport publié le 23 avril, rédigé par une commission de la Chambre des représentants pilotée par le député d’opposition Farouk Lawan, est à l’origine du scandale. Ce document de 209 pages révèle que 5,1 milliards d’euros se sont évaporés du programme de subventions des carburants entre 2009 et 2010. En cause : les détournements et la mauvaise gestion. Le rapport affirme que c’est bien la corruption de l’État, et non pas la demande croissante en combustible, qui a fait exploser ces subventions à 12,2 milliards d’euros en 2011. Soit près de dix fois plus qu’en 2006.

Le document met en cause des personnalités de haut rang, presque toutes membres du Parti démocratique populaire (PDP, au pouvoir). Parmi elles, Diezani Alison-Madueke, ministre du Pétrole, Austen Oniwon, directeur général de Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), Ibrahim Dankwanbo, trésorier général du Nigeria, et Ahmadu Ali, président de l’Agence de régulation des prix des produits pétroliers. Tous clament leur innocence.

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Trouble deal en eaux profondes

Un contrat de 740 millions d’euros signé en avril 2011, impliquant l’anglo-néerlandais Shell et l’italien ENI, jette un discrédit sur la volonté de transparence du Nigeria dans ce secteur. La somme payée par les deux multinationales au gouvernement pour prendre le contrôle du bloc OPL 245, une concession en eaux profondes qui recèlerait 9 milliards de barils de pétrole, s’est retrouvée en totalité sur le compte de Malabu Oil & Gas. Cette société, qui affirme être propriétaire de la concession, appartient à Dan Etete, un ancien ministre du Pétrole de Sani Abacha condamné pour blanchiment d’argent en France en 2007. Selon le Financial Times du 21 mai, un tribunal d’arbitrage de New York, saisi pour trancher la question de la propriété de la concession, a conclu que le gouvernement nigérian était « l’homme de paille de Malabu ». Jean-Michel Meyer

Mais le rapport Lawan a mis en lumière que sous l’autorité de Dankwanbo les services de la comptabilité publique ont approuvé le paiement le même jour, en 2009, de 128 subventions, pour un montant de 4,5 millions d’euros. Or à cette époque seules 36 entreprises de distribution de carburant étaient enregistrées auprès de NNPC. Le rapport affirme que, en tant que présidente du conseil d’administration de la compagnie publique, Diezani Alison-Madueke était au courant et aurait dû mettre un terme aux pratiques de NNPC dans la fraude aux subventions.

Révélations explosives

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Et ce n’est pas tout. La contestation pourrait monter d’un cran avec un autre rapport commandé par le gouvernement sur la corruption dans le secteur des exportations de pétrole, attendu dans les semaines à venir. Coordonné par Nuhu Ribadu, ex-responsable de la commission gouvernementale chargée de contrer la corruption et la fraude, il contiendrait des révélations encore plus explosives.

Pour l’instant, le PDP, qui a mobilisé ses avocats pour défendre les personnalités incriminées, doute de l’ampleur de la manifestation annoncée. Il est convaincu qu’en maintenant la moitié des subventions le gouvernement a calmé les manifestants. Rien n’est moins sûr. « Nous avons trois principales revendications, explique Osita Okechukwu, secrétaire national de la Conférence des partis politiques nigérians (opposition). Tous les responsables de la fraude aux subventions doivent être d’une part licenciés, d’autre part poursuivis, et les sommes détournées doivent être restituées au Trésor public. »

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L’opposition fait par ailleurs pression sur le gouvernement pour qu’il adopte enfin le Petroleum Industry Bill, une loi sur l’industrie pétrolière censée apporter plus de transparence, notamment avec la publication des revenus des compagnies. « Il faudra très certainement cinq ans pour faire appliquer cette loi, assure Lai Yahaya, directeur de la Plateforme pour le développement de la transparence. Car il ne faut pas oublier que la réforme du secteur de l’énergie a débuté en 2001 pour être adoptée en 2005… et que le gouvernement est toujours en train de la mettre en place. »

Des membres du parti au pouvoir, dont la ministre du Pétrole, sont impliqués.

Déstabilisé

Si la coalition entre la société civile, les organisations syndicales et les partis politiques réussit son pari en juin, le gouvernement de Goodluck Jonathan pourrait être déstabilisé. Si la pression devenait trop forte, les autorités pourraient engager des poursuites contre les responsables et les actionnaires des grandes compagnies incriminées dans le rapport Lawan et procéder à un remaniement ministériel majeur. Diezani Alison-Madueke pourrait alors être remerciée et remplacée par le militant anticorruption Nuhu Ribadu.

« Il n’y a jamais eu autant d’informations publiques sur le marché pétrolier et sur ce que le pays peut en attendre, constate Lai Yahaya. La question est de savoir comment le gouvernement utilisera ces données. Veut-il s’en servir pour établir un agenda et réaliser de vraies réformes, ou est-ce que seules des personnalités de second rang se retrouveront à rendre des comptes à la justice ? » Réponse en juin. 

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