Sécurité au Mali : à Bamako, on veut plus que des « effets d’annonce »

Une semaine après l’attaque terroriste de l’hôtel Radisson Blu, la vie reprend progressivement son cours à Bamako. Mais rien ne sera plus vraiment comme avant. La capitale est une cible, et l’État doit désormais faire face à ses manquements en termes de sécurité. Reportage.

Des badauds maliens contenus par la police lors de l’attaque du Radisson Blu de Bamako, le 20 novembre. © Harouna Traore / AP / SIPA

Des badauds maliens contenus par la police lors de l’attaque du Radisson Blu de Bamako, le 20 novembre. © Harouna Traore / AP / SIPA

Publié le 27 novembre 2015 Lecture : 4 minutes.

Une semaine après le vendredi noir qu’a connu la capitale malienne, la ville a pleuré et enterré ses morts. Vingt-deux personnes, dont les deux assaillants, ont été tuées dans l’attaque terroriste qui a visé l’hôtel Radisson Blu, le vendredi 20 novembre. La semaine suivante a été marquée par des cérémonies, au cours desquelles les habitants ont salué leurs héros. Parmi eux, ces deux gardiens de sécurité, Moussa Konaté et Abdoulaye Magassa, armés de simples pétoires – et payés moins de 100 000 F CFA par mois – qui sont tombés sous les balles des fusils d’assaut AK-47 des deux assaillants dès leur entrée dans le hall de l’hôtel. Tout comme Moussa Sangaré, gendarme âgé de 22 ans, victime des jihadistes durant l’assaut des forces de l’ordre.

La réouverture de l’établissement se fera le plus rapidement possible, « pour montrer à ceux qui sont à l’origine de cette tragédie que nous allons rester forts », a martelé Cessé Komé, le propriétaire de l’hôtel, devant la presse. Si la semaine a été rythmée par les cérémonies funéraires et les hommages, Bamako a très vite repris ses habitudes. La ville fourmille toujours, les commerces sont ouverts, les vendeurs ambulants se faufilent dans les gaz d’échappement, profitant des embouteillages aux carrefours pour vendre leurs produits.

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Mais cette attaque meurtrière confirme ce que chacun savait : Bamako est devenu une cible des groupes jihadistes sahéliens en perte de vitesse. Après l’attaque du bar La Terrasse, en mars, puis celle de Sévaré, en août, l’état d’urgence a été proclamé une nouvelle fois et devrait ainsi affecter la vie des Bamakois. « Pourvu que cette fois, cela ne soit pas un nouvel effet d’annonce, soupire un enquêteur malien. Et que cette mesure soit l’occasion d’une réelle remise à plat de nos méthodes. »

Prévu initialement pour dix jours, l’état d’urgence devrait être étendu au moins jusqu’à la fin de l’année. Les rassemblements sont proscrits et des gendarmes et policiers en civil sont déployés partout dans la ville. Les mesures prises touchent essentiellement les lieux publics, à forte concentration d’expatriés. Une liste de lieux jugés « fréquentables » a été établie après l’attaque. Devant l’hôtel Salam, qui accueille expatriés et forums, ce sont désormais les bérets rouges qui montent la garde, pendant que la Minusma accompagne la police malienne lors de ses patrouilles nocturnes.

Des soldats de la Garde présidentielle patrouillant à l'hôtel Radisson Blu de Bamako, le 21 novembre 2015. (Photo d'illustration) © Jerome Delay / AP / SIPA

Des soldats de la Garde présidentielle patrouillant à l'hôtel Radisson Blu de Bamako, le 21 novembre 2015. (Photo d'illustration) © Jerome Delay / AP / SIPA

En faire davantage

Les forces de sécurité réclament cependant davantage de moyens. « Si on avait disposé ne serait-ce que de grenades assourdissantes lors de l’assaut, notre tâche aurait été plus facile, raconte un gendarme qui a participé à l’opération. Pendant tout l’assaut, je n’ai cessé de me demander : « est-ce que j’aurai assez de munitions pour tenir dans la durée ? » Aujourd’hui la colère gronde après la perte d’un camarade : si les ministères de la Sécurité et de la Défense les avaient écoutés, s’ils les avaient dotés de davantage de matériel de protection et de reconnaissance, est-ce qu’ils auraient perdu leur frère d’arme ?

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En discussion, jeudi 26 novembre, à l’Assemblée nationale, le sujet a fait l’objet d’un consensus : il faut en faire davantage en matière de sécurité. Dans un premier temps, accentuer les contrôles, chasser les vendeurs ambulants qui empêchent les voitures de circuler – une grenade serait vite lancée. Sur le long terme, les forces de sécurité et de renseignement vont devoir apprendre à mieux travailler ensemble et à centraliser davantage leurs informations.

Autre défi de défi de taille : convaincre la population, plutôt défiante à l’égard des forces de sécurité, de collaborer davantage

Reste un autre défi de défi de taille : convaincre la population, plutôt défiante à l’égard des forces de sécurité, de collaborer davantage. Depuis dimanche, la télévision nationale diffuse un appel à témoins avec les portraits des deux assaillants du Radisson. Du côté des entreprises de sécurité privée, nombreuses à assurer la surveillance des banques, hôtels et restaurants de la ville, toutes sont d’accord sur un point : la loi sur le port d’armes pour les agents de sécurité, qui date de 1991, doit évoluer.

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« Seuls les transporteurs de fonds sont autorisés à porter des armes, explique Mohamed Moghrabi, directeur d’Escort – qui bénéficie d’une autorisation exceptionnelle obtenue lors du gouvernement de transition post-ATT. Pas un site ouvert au public ne dispose d’un dispositif antiterroriste. On en est encore à mener des fouilles manuelles, à utiliser des miroirs de détection pour chercher des explosifs sous les voitures… Mais la menace a évolué, et on n’a pas voulu le voir. » Un ancien militaire français comprend cependant la réticence du gouvernement à faire évoluer la loi : « Dans un contexte parfois explosif, dans un pays qui a connu de nombreux coups d’État, donner des armes à des civils, c’est risquer de promouvoir l’émergence de milices. »

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