Le Burundi, victime collatérale du jihadisme
Début novembre, la communauté internationale n’avait d’yeux que pour lui. Devant la crainte de voir la crise politique qui secoue le Burundi depuis avril dégénérer en massacres à grande échelle, le Conseil de sécurité s’était réuni, le 9, pour « prévenir une catastrophe imminente ».
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Mehdi Ba
Journaliste, correspondant à Dakar, il couvre l’actualité sénégalaise et ouest-africaine, et plus ponctuellement le Rwanda et le Burundi.
Publié le 9 décembre 2015 Lecture : 4 minutes.
Le 13, les Burundais découvraient le contenu de la résolution adoptée la veille au soir à New York. Face à l’obstruction de la Chine, de la Russie et des pays africains, la perspective de sanctions contre le pays en cas de dérapage avait finalement été écartée, mais le texte exhortait Pierre Nkurunziza et ses opposants au dialogue. Au passage, il dénonçait sans ambiguïté « les exécutions extrajudiciaires, les actes de torture, les arrestations arbitraires, les détentions illégales, les actes de harcèlement et d’intimidation commis contre des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes ». Autrement dit, un état de terreur largement entretenu par les autorités burundaises.
Le soir du même 13 novembre, des informations alarmantes en provenance de Paris embrasaient les médias internationaux et les réseaux sociaux. À 21 h 46, le conseiller en communication – et porte-parole officieux – du président Nkurunziza, Willy Nyamitwe, dégainait (en anglais) un tweet sarcastique : « Il faudrait présenter un projet de résolution devant le Conseil de sécurité de l’ONU », assorti des hashtags #Franceunderfire #StopTerrorism #Burundi. Trente minutes plus tard, Nyamitwe précisait sa pensée, en français cette fois : « La France et le Burundi sommes [sic] liés par une chose : des terroristes nous endeuillent. Inacceptable. » Jusque tard dans la nuit, le principal porte-voix du régime distillera cette rhétorique opportuniste, assimilant les attentats jihadistes commis en France aux actes insurrectionnels (visant essentiellement des policiers, fer de lance de la répression) imputables aux « insurgés » opposés au troisième mandat et autres « groupes d’auto-défense » apparus ces dernières semaines dans la capitale.
Les Sindumuja (surnom donné aux opposants) sont comparables aux kamikazes de l’État islamique qui ont endeuillé Paris
Dès le lendemain, les faucons de Bujumbura s’engouffrent dans la brèche. Le porte-parole du président, le deuxième vice-président de l’Assemblée nationale ou le directeur général de la Radio-Télévision nationale (RTNB) diffusent à leur tour, via Twitter, le nouveau mot d’ordre : les Sindumuja (surnom donné aux opposants) sont comparables aux kamikazes de l’État islamique qui ont endeuillé Paris. Contraindre Pierre Nkurunziza à dialoguer avec eux reviendrait à imposer à François Hollande de négocier avec les émirs de Daesh.
Pour le régime, les attentats parisiens sont une aubaine. D’abord parce que la communauté internationale a détourné le regard au moment même où elle semblait déterminée à imposer aux autorités une voie de sortie de crise. Ensuite parce que, dans un contexte où l’état d’urgence antiterroriste s’est banalisé, de Paris à Tunis, les autorités burundaises se sont senties légitimées à accentuer la répression face à une société civile désormais assimilée, sans nuances, à une nébuleuse terroriste. C’est ainsi que, le 23 novembre, l’activité des principales ONG burundaises a été suspendue.
Deux jours plus tôt, la Maison Blanche avait adopté des sanctions – restriction des déplacements et gel des avoirs – contre quatre hauts responsables -burundais. Une mesure en apparence énergique, qui peine pourtant à dissimuler les atermoiements de la communauté internationale face à la crise burundaise. En visant le ministre de la Sécurité publique, Alain-Guillaume Bunyoni, considéré comme le numéro deux du régime, et le directeur général adjoint de la police nationale, Godefroid Bizimana, l’administration Obama ne fait qu’accélérer la fuite en avant d’un régime convaincu de son bon droit, engagé dans une spirale répressive contre tout ce qui ressemble à un détracteur.
Les Burundais s’interrogent sur l’opportunité de geler les avoirs et de restreindre les déplacements d’un homme emprisonné
On peut également s’étonner de l’équilibrisme très diplomatique de ces sanctions, qui visent aussi deux personnalités impliquées dans le putsch avorté du 13 mai, dont le but avoué était d’empêcher Pierre Nkurunziza de briguer coûte que coûte un troisième mandat, au risque d’embraser le pays. L’un, le général Godefroid Niyombare, principal instigateur du coup d’État, s’est volatilisé depuis lors, sans que nul ne sache où il se trouve ni quel rôle il joue désormais. Plus étonnant, les sanctions visent également l’ancien ministre de la Défense Cyrille Ndayirukiye, lui aussi impliqué dans le coup d’État manqué. Or ce dernier est incarcéré au Burundi depuis plus de six mois. Outre qu’il n’a pu jouer aucun rôle dans les actes insurrectionnels récents, les Burundais s’interrogent sur l’opportunité de geler les avoirs et de restreindre les déplacements d’un homme emprisonné.
En octobre, l’Union européenne avait adopté des sanctions individuelles du même type. Mais elle avait visé trois dignitaires du régime et un officier putschiste en exil qui avait revendiqué, depuis Nairobi, des attaques à la grenade contre des bureaux de vote. Surtout, l’UE a invoqué concomitamment l’article 96 de l’accord de Cotonou, qui prévoit des consultations en cas de manquements démocratiques ou à l’État de droit dans un pays signataire. Un moyen de pression probablement plus efficace, de la part du principal bailleur du pays, que l’interdiction de se rendre aux États-Unis faite à un prisonnier burundais. Une manière, aussi, de rappeler au régime Nkurunziza que c’est lui qu’elle tient pour principal responsable des dérives nées de la crise électorale, et non les « terroristes » de la société civile.
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