Arnold Ekpe : « l’Afrique est notre stratégie »

Le patron emblématique du groupe panafricain passera la main à la fin de l’année. À quelques mois du terme de son mandat, il détaille un certain nombre de pistes pour l’avenir de la société et nous livre son regard sur le développement du secteur financier du continent.

Pour Arnold Ekpe, à l’instar de l’Afrique anglophone, les pays francophones finiront eux aussi par disposer d’entreprises majeures. © Mark Chilvers pour J.A.

Pour Arnold Ekpe, à l’instar de l’Afrique anglophone, les pays francophones finiront eux aussi par disposer d’entreprises majeures. © Mark Chilvers pour J.A.

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Publié le 30 mai 2012 Lecture : 8 minutes.

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Finance : bientôt dans la cour des grands

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«Ça y est, maintenant, je m’habitue à recevoir des ordres. » Malgré le ciel pluvieux qui plombe Londres, Arnold Ekpe a le mot pour rire. La boutade, adressée au photographe qui lui dit où se placer, est celle d’un patron qui s’apprête à passer la main. Dans quelques mois, le Nigérian accueillera l’Ivoirien Thierry Tanoh à ses côtés avant de lui céder sa place de directeur général d’Ecobank Transnational Incorporated (ETI) en fin d’année. Douze ans à la tête de la principale banque subsaharienne en termes d’implantations : de quoi se forger une vision précise de la finance africaine et de la réalité du capitalisme sur le continent.

Jeune Afrique : Depuis 1996, et à l’exception de la courte période durant laquelle vous avez dirigé le nigérian United Bank for Africa, vous êtes le numéro un d’Ecobank. Alors que vous vous apprêtez à passer la main, de quoi êtes-vous le plus fier ?

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Arnold Ekpe : Avec les membres de cette institution, nous sommes fiers d’avoir bâti la première vraie banque panafricaine. Nous avons rassemblé des Africains de différentes nationalités pour construire un groupe qui couvre l’ouest, le centre, l’est et le sud du continent.

Existe-t-il un véritable capitalisme africain ?

Le capitalisme africain doit être analysé dans son contexte. L’Afrique est un continent relativement jeune si on se limite à la période postcoloniale. Certains marchés ont montré plus d’entrain à développer l’esprit d’entreprise, mais il faut aussi souligner le problème de l’insuffisance de capitaux – exception faite de certains pays comme l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Maroc ou l’Égypte. L’enjeu est de mobiliser ces capitaux.

L’Afrique subsaharienne francophone est-elle en train de prendre du retard par rapport à la partie anglophone ?

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Il y a plus d’hommes d’affaires de premier plan en Afrique anglophone, et les gouvernements y favorisent davantage l’entrepreneuriat. Mais tout cela est simpliste. Je crois que l’Afrique francophone finira par développer des entreprises majeures. Elle doit prendre exemple sur le Nigeria ou le Kenya.

Le paysage bancaire, lui aussi, a beaucoup changé depuis 1996. Quelles sont les évolutions qui vous ont le plus marqué ?

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Il y a eu l’émergence de banques régionales et la consolidation entre les banques. La concurrence s’est également accrue, et la régulation est devenue plus stricte. Le développement du secteur a été positif.

Pourtant, le taux de bancarisation reste souvent bas. Comment l’expliquez-vous ?

Je ne pense pas qu’il n’y ait qu’une seule explication. Le taux de bancarisation dépend d’autres facteurs comme, par exemple, les infrastructures. Vous ne pouvez pas atteindre certaines populations avec des agences classiques. À ce titre, le mobile banking, les cartes, l’internet nous permettent d’atteindre une population plus large. Avec le mobile banking proposé par des entreprises comme MTN ou Airtel, vous verrez le taux de pénétration augmenter. Regardez le Kenya, la bancarisation y atteint 60 %, en grande partie grâce au succès de M-Pesa.

En Afrique, comme partout dans le monde, on reproche aux banques de ne pas suffisamment financer l’économie, notamment les petites et moyennes entreprises (PME). Diriez-vous que c’est un mauvais reproche ?

Être banquier n’est pas un métier populaire. Si nous ne demandons pas de garanties et que nous ne sommes pas payés, on nous dira que nous sommes de mauvais banquiers. Si nous demandons des garanties et que nous protégeons ainsi la banque, on nous dira que nous ne prêtons pas assez. Les banquiers doivent faire davantage, mais les gouvernements doivent aussi leur fournir de véritables garanties. Si quelqu’un ne nous paie pas, nous devrions pouvoir mener rapidement des actions et ne pas avoir à attendre cinq ou six mois. Il manque un travail entre les banques et les gouvernements pour favoriser les prêts aux PME en partageant les risques. Certains pays le font, comme le Nigeria ou le Ghana.

Avec le mobile banking poposé par MTN ou Airtel, vous verrez le taux de bancarisation augmenter.

Comment voyez-vous l’avenir d’Ecobank ?

Je ne serai pas là, et mon successeur définira la stratégie de la banque. Mais j’espère que la philosophie qui a mené à la création d’un groupe concentré sur l’Afrique, qui a une belle histoire de croissance et tente de tirer parti du futur du continent, subsistera. Certaines banques, notamment internationales, affirment qu’elles ont une stratégie africaine, mais quand elles ont un problème dans un pays elles se retirent. Nous n’avons pas de stratégie africaine ; l’Afrique est notre stratégie. Peu importe qu’un pays connaisse des problèmes, nous ne nous retirons pas.

Au sein du groupe, qui est le garant de cette philosophie ?

Les réalisations d’Ecobank sont le fruit d’un travail d’équipe. En 2006, nous avions 200 agences et un total de bilan de 3,5 milliards de dollars [2,7 milliards d’euros d’alors, NDLR]. Aujourd’hui, nous avons un total de bilan de près de 18 milliards de dollars [13,4 milliards d’euros] et 1 700 agences. La philosophie d’Ecobank est portée par tous ceux qui ont participé à cette aventure.

Et les actionnaires ?

Ils représentent l’esprit d’Ecobank. Les fondateurs voulaient construire une banque panafricaine. Nous disons aux actionnaires : en achetant Ecobank, vous misez sur l’avenir de l’Afrique. Si vous ne voulez pas de cela, achetez des actions d’une autre banque.

Le Nigeria, votre principal marché, a beaucoup pesé ces dernières années sur votre rentabilité. Quelle analyse faites-vous de la crise bancaire qu’a connue ce pays ?

Il y a quatre ans, nous gagnions 40 % de notre argent au Nigeria. Le pays a traversé une crise systémique, mais je crois que nous arrivons à son terme. Le Nigeria en sortira avec une industrie bancaire plus solide. Il restera un marché important pour nous, mais pas un marché dominant. D’autres, comme l’Angola, prendront une place importante.

Sur les causes de cette crise, il faut rappeler que l’activité bancaire est cyclique. Lorsque les cycles sont mauvais, selon ce qu’il se passe, les conséquences peuvent être plus ou moins lourdes. Regardez la crise des subprimes : au Nigeria, les banques se sont retrouvées avec beaucoup de fonds propres, qu’elles ont dû investir. Malheureusement, cela a été fait dans le marché boursier qui s’est ensuite effondré de 90 %, ou dans le secteur pétrole et gaz à un moment où le baril était à 140 dollars.

La communauté financière considère Ecobank comme une banque saine et bien gérée. Mais sa rentabilité est inférieure à celle de ses concurrentes. Pourquoi ?

Nous avons dû financer la croissance du groupe. Lorsque vous vous développez dans des dizaines de pays, vous ne pouvez pas être aussi rentable que ceux qui ne bougent pas. Mais attendez les cinq prochaines années et vous verrez.Ecobank : un bilan en bourse décevant, mais un avenir prometteur

Où se trouvent, selon vous, les principaux réservoirs de rentabilité pour votre groupe, tant en termes de régions que de métiers ?

La banque est une activité à la fois simple et compliquée. La notion d’échelle est fondamentale, et nous avons voulu bâtir un groupe de taille importante. Nous sommes aujourd’hui le numéro deux en zone Middle Africa [Afrique subsaharienne hors Afrique du Sud] derrière First Bank of Nigeria, mais celle-ci n’est présente qu’au Nigeria, à Londres et en RD Congo. Nous avons désormais le plus grand réseau d’agences, mais la plupart d’entre elles sont encore récentes : 40 % ont moins de trois ans. Nous en tirerons beaucoup d’argent dans quelques années. Pour les entreprises, nous pouvons être une fenêtre vers l’Afrique. Nous disons aux multinationales : pourquoi avoir des relations avec une trentaine de banques alors qu’Ecobank est présent dans trente pays ?

Il manque quelques pays importants sur la carte des implantations d’Ecobank : l’Éthiopie, le Soudan du Sud ou l’Angola.Sont-ils dans votre viseur ?

En Angola, nous avons un bureau de représentation et nous avons fait la demande pour obtenir une licence bancaire. Nous ouvrons ce trimestre en Guinée équatoriale. Au Mozambique, nous sommes en attente, car nous préférons y acheter une banque plutôt que de commencer de zéro. Nous regardons Madagascar, qui n’est pas une priorité. L’Éthiopie n’accepte pas les institutions étrangères. Et nous devrions obtenir notre licence au Soudan du Sud cette année.

Il faut amener davantage d’acteurs africains dans le capital-investissement.

Vous êtes un ardent défenseur de l’indépendance capitalistique d’Ecobank. Pourquoi ?

Je crois honnêtement qu’Ecobank est une institution qui peut amener des changements en Afrique, ce qu’elle ne pourra pas faire si elle n’est pas indépendante de tout groupe d’actionnaires, de tout gouvernement ou de tout intérêt particulier. Nous sommes basés au Togo, mais nous ne sommes pas une banque togolaise.

Vous êtes lié avec Nedbank, qui pourra acquérir environ 20 % de votre capital. Pourquoi un groupe sud-africain, et pourquoi celui-là ?

Nous avons une alliance avec Nedbank depuis plus de trois ans. Les investisseurs les plus importants en Afrique, hors secteur pétrolier, sont sud-africains. D’où la nécessité de cette alliance commerciale et géographique. Nous avons désormais une alliance en termes de détention croisée. Nedbank pourra avoir 20 % de notre capital et Ecobank aura la possibilité d’acquérir également une part de son capital.

À quelle hauteur ?

Le pourcentage n’est pas fixé. Cela dépendra de nos moyens.

Cela pourrait-il amener à une fusion ?

Une fusion ? Non. Pourquoi ? C’est un partenariat. Nous ne savons pas gérer une banque sud-africaine. Ils ne savent pas gérer une banque en zone Middle Africa. Notre partenariat capitalistique croisé nous permet de renforcer notre alliance. Comme dans un mariage.

Peu importe qu’un pays connaisse des problèmes, nous ne nous retirons pas.

Vous accueillerez dans quelques mois Thierry Tanoh à vos côtés pour un passage de témoin. Pourquoi partir aujourd’hui ?

J’aurai 59 ans cette année et j’ai l’impression qu’il est temps pour moi de partir et de faire des choses que je n’ai pas eu le temps de faire. Il n’y a jamais de bon moment pour s’en aller. Si je reste encore un an, il y aura une raison de rester encore un an de plus.

Votre départ n’est donc pas une décision du conseil d’administration ?

Non, au contraire, le conseil d’administration souhaitait que je reste en raison de tous les changements qui ont lieu dans la vie du groupe.

Pourquoi avoir recruté un dirigeant en dehors du groupe ?

Nous avons organisé un processus très transparent, avec une société internationale de recrutement. Nous avons eu environ trente candidats, internes comme externes. La préférence va traditionnellement à un profil interne, mais il faut utiliser des critères de compétence afin de faire le meilleur choix.

L’alternance entre francophones et anglophones a-t-elle joué ?

Non, la diversité compte au niveau des membres non exécutifs du conseil d’administration, qui regroupe neuf nationalités. Pour le directeur général, seul compte le mérite.

À titre personnel, où serez-vous en 2013 ?

Je ne cherche pas un nouveau poste de dirigeant : je pars à la retraite, je ne démissionne pas. Je voyagerai plus, passerai plus de temps avec ma famille. Je ne veux rien créer de plus. Ce que j’avais à créer, je l’ai fait avec Ecobank et je m’estime comblé professionnellement. Je regarderai d’autres choses : par exemple, réfléchir à l’industrie des services financiers, à son rôle dans le développement. Il y a des activités financières à regarder de près, comme le capital-investissement. Aujourd’hui, il faut amener davantage d’acteurs africains dans le capital-investissement africain.

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