Dossier Finance : bientôt dans la cour des grands
Profitant de la croissance soutenue de la zone subsaharienne, les établissements bancaires africains continuent à afficher de bons résultats. Reste à améliorer leur gestion du risque pour se hisser définitivement au niveau de leurs concurrents internationaux.
Finance : bientôt dans la cour des grands
Cette tendance à la hausse des résultats des établissements africains, qui a en réalité démarré en 2010, s’accélère et s’étend au fil des ans à l’ensemble du secteur. Afriland First Bank, deuxième groupe financier d’Afrique centrale, est ainsi devenu le leader sur son marché domestique, le Cameroun, où il a vu son PNB progresser de 36 % en 2011, à 54 millions d’euros. Orabank (ex-Financial Bank) devrait annoncer prochainement des chiffres en hausse.
« Il faut toutefois relativiser ces bonnes performances, tempère Cyrille Nkontchou, le président de Liquid Africa, une plateforme financière et boursière qui opère depuis Londres et Johannesburg. La performance des banques n’est rien d’autre que le reflet de la santé des économies dans lesquelles elles évoluent. Quand on considère des marchés qui ont traversé de graves crises en 2011, comme la Côte d’Ivoire, il n’est pas certain que les établissements bancaires de ces pays aient enregistré de bons résultats l’an dernier. »
Le crédit immobilier, qui en est encore à ses débuts, constitue un véritable relais de croissance.
CYRILLE NKONTCHOU, président de Liquid Africa
Offre élargie
La première explication de la belle année 2011 des banques du continent est donc d’ordre macroéconomique. Alors que les économies occidentales peinent à sortir de la crise, celles d’Afrique subsaharienne, maintenant le rythme de ces dernières années, ont enregistré une croissance de 5,5 % en moyenne en 2011. Par ailleurs, des progrès ont été réalisés dans la gouvernance et l’amélioration du climat des affaires dans la plupart des pays de la zone. « Conséquence : le secteur privé de la région a vu ses activités progresser et les entreprises ont de plus en plus eu recours aux banques », explique Paul-Harry Aithnard, le directeur de la recherche du groupe Ecobank.
À ces éléments, il faut ajouter le développement d’une classe moyenne en Afrique subsaharienne qui se bancarise et permet aux établissements d’élargir leur offre de produits : « Le crédit immobilier, qui en est encore à ses débuts, constitue un véritable relais de croissance pour les banques », indique Cyrille Nkontchou. Selon les statistiques d’Ecobank, les crédits et dépôts ont de manière générale progressé de 20 % à 30 % en moyenne l’année dernière.
D’ailleurs, si au Maroc, où le marché bancaire est plus développé et où les effets de la crise européenne se font durement sentir, Attijariwafa Bank et son compatriote BMCE Bank ont affiché des résultats honorables en 2011, c’est en partie grâce à leurs filiales sur le continent. Présent dans sept pays subsahariens, le premier a ainsi annoncé un bénéfice net en hausse de près de 9 % sur un an, à 400 millions d’euros, tandis que le second, qui détient 55 % de Bank of Africa (présent dans 13 pays), a vu son bénéfice net croître de 4 %, à 76,25 millions d’euros, dont 36 % proviennent du sud du Sahara.
Outre le contexte macroéconomique favorable, d’autres facteurs, propres au secteur, contribuent aux belles performances des banques africaines. Il s’agit d’abord des réformes initiées dans plusieurs pays et qui ont permis à nombre d’établissements de repartir sur de bonnes bases. À ce titre, le Nigeria, où le secteur redevient rentable après avoir été débarrassé de près de 1,5 milliard d’euros d’actifs non productifs, est un bon exemple. United Bank for Africa (UBA), l’un des ténors de ce marché, qui s’est délesté d’environ 610 millions d’euros de créances douteuses l’année dernière, annonce ainsi pour le premier trimestre 2012 une hausse vertigineuse de 233 % de son bénéfice net avant impôt, qui s’établit à 76 millions d’euros.
Ensuite, il faut ajouter que les principales banques subsahariennes commencent à récolter les fruits de leur stratégie d’expansion géographique. Présent dans six pays, Orabank voit ainsi ses performances dopées par ses filiales gabonaise et togolaise, dont le total de bilan a progressé respectivement de 109 % (181,4 millions d’euros) et de 130 % (plus de 137 millions d’euros) en 2011.
Chez BGFI Bank, « la mise en place d’une maison mère [BGFI Holding Corporation, NDLR] a permis aux dirigeants d’être plus présents et d’accompagner les filiales qui étaient en souffrance », explique Henri-Claude Oyima, le patron du groupe gabonais, désormais présent dans 13 pays. Quant à Ecobank, qui détient la palme du nombre d’implantations en Afrique subsaharienne (avec une présence dans 30 pays), le nombre de ses jeunes filiales rentables augmente d’année en année. Le groupe a par exemple réalisé en 2011 ses premiers bénéfices (environ 750 000 euros) au Gabon, où il a démarré ses activités en 2009.
Créances douteuses
Si la conjoncture économique favorable conjuguée aux diverses réformes engagées permet aux banques africaines de franchir un nouveau cap dans leur développement, peuvent-elles pour autant rivaliser avec les groupes internationaux dont l’intérêt pour le continent ne cesse de croître (lire encadré) ? « Clairement oui, parce qu’elles ont une meilleure connaissance du marché et une meilleure perception du risque », estime Cyrille Nkontchou. D’après cet analyste, le repli des étrangers traditionnellement implantés sur les marchés subsahariens devrait se poursuivre avec la montée en puissance des groupes du continent. « Aujourd’hui, le nombre de banques africaines capables de financer des opérations de plus de 100 millions de dollars [77 millions d’euros] est plus important », ajoute Paul-Harry Aithnard, d’Ecobank.
Les acteurs sont souvent trop nombreux pour des marchés à fort potentiel mais assez étroits.
Reste toutefois que les établissements subsahariens doivent innover pour élargir leur clientèle. « La plupart d’entre eux se positionnent sur le financement du commerce et des grandes entreprises. Ils doivent développer de nouvelles niches de services aux PME-PMI et aux populations non bancarisées », explique un analyste du fonds d’investissement américain Intangis.
Par ailleurs, comparées à leurs consoeurs internationales, les banques africaines sont encore de taille modeste. Et souvent trop nombreuses pour des marchés, certes à fort potentiel (taux de bancarisation inférieurs à 20 %), mais qui demeurent assez restreints. Alors qu’on dénombre 21 établissements pour quelque 160 millions d’habitants au Nigeria, le Ghana en compte le même nombre pour une population de 25 millions d’habitants. L’augmentation du capital social minimum des banques, décidée par les autorités de régulation en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale pour provoquer une concentration et favoriser la naissance des groupes de taille plus importante et plus solides financièrement, n’a pour l’heure donné que des résultats mitigés. Ainsi, dans l’Union économique et montétaire ouest-africaine (UEMOA), le nombre de banques reste supérieur à la centaine, soit autant qu’avant la réforme.
Autre faiblesse des banques subsahariennes, le taux de créances douteuses dans leurs actifs. S’il a reculé en 2011 pour se situer entre 5 % et 10 %, cette proportion est encore nettement supérieure à la moyenne mondiale, qui tourne autour de 3 %. Pour se hisser au niveau des groupes internationaux et être capables de financer convenablement le développement de leurs économies, les établissements africains n’auront d’autre choix que de se conformer aux normes internationales.
Les groupes anglo-saxons en embuscade
Le continent est incontestablement devenu l’une des cibles privilégiées des établissements bancaires européens et américains, confrontés sur leurs marchés domestiques à la crise de la dette. Du britannique Standard Chartered, qui étend son réseau pour doubler ses revenus africains à 1,9 milliard d’euros dans les quatre à cinq prochaines années, à l’américain JP Morgan, qui négocie l’ouverture de bureaux de représentation au Kenya et au Ghana, les initiatives se multiplient pour prendre pied en zone subsaharienne. Selon les analystes, l’arrivée de ces groupes internationaux peut permettre aux banques africaines d’accéder à des financements supplémentaires pour participer aux opérations jusque-là hors de leur portée. Elles courent toutefois le risque de se faire doubler sur leur propre marché, si, au cours de la prochaine décennie, elles n’améliorent pas leur gestion du risque et n’innovent pas pour dominer l’activité banque de détail. S.B.
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