Mustapha Kamel Nabli en sursis
Nommé en janvier 2011, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie est sur la sellette. Son tort : défendre bec et ongles l’indépendance de l’institution, au risque de se mettre le pouvoir à dos.
« En apparence, les relations de la BCT [Banque centrale de Tunisie, NDLR] avec le gouvernement sont sans problème. Il y a quelques semaines, le gouverneur a été entendu par les membres de l’Assemblée constituante à propos du rapatriement des avoirs étrangers du clan Ben Ali-Trabelsi, que nous supervisons. Tout s’est très bien passé. Mais en coulisses, la musique que l’on entend est très différente », confie un membre de l’équipe de Mustapha Kamel Nabli, nommé à la tête de l’institution en janvier 2011.
Depuis le mois de mars, la troïka au pouvoir, réunissant les partis Ennahdha, Ettakatol et le Congrès pour la République, multiplie les consultations pour trouver un successeur à l’ancien économiste en chef de la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord de la Banque mondiale. Plusieurs patrons – Radhi Meddeb (Comete Engineering), Habib Karaouli (Banque d’affaires de Tunisie) et Badreddine Barkia (Banque tuniso-libyenne) -, mais aussi Marouane Abassi, représentant de la Banque mondiale, et Abdelhay Chouikha, membre d’Ettakatol, auraient déjà été approchés. Sans succès. Pour démettre le gouverneur, le Premier ministre et le président de la République devront néanmoins obtenir l’accord de l’Assemblée constituante.
Depuis le mois de mars, la troïka au pouvoir multiplie les consultations pour lui trouver un successeur.
Sa disgrâce, Mustapha Kamel Nabli, 64 ans, la doit d’abord à son intransigeance concernant l’indépendance de la BCT. Pas question pour lui d’accepter la moindre ingérence du pouvoir exécutif dans ses prérogatives. Une première en Tunisie où, avant la révolution, aucun gouverneur n’avait jamais exercé sa fonction avec une réelle liberté.
Chaque fois que le gouvernement de Hamadi Jebali est intervenu pour suggérer l’adoption d’une politique monétaire expansionniste, le gouverneur est monté au créneau pour interpeller l’opinion publique et dénoncer des décisions à courte vue risquant d’induire une grave instabilité financière et, surtout, contraires à la loi car touchant aux strictes attributions de la BCT.
« L’indépendance de la Banque centrale figure parmi l’un des principaux piliers à même de garantir une meilleure efficience dans l’accomplissement de sa mission et de consacrer le principe de sa bonne gouvernance en tant qu’autorité publique de régulation du secteur bancaire », déclarait le gouverneur le 3 mai lors de la conférence annuelle des experts-comptables.
Une prise de position difficile à accepter pour la troïka. Tout comme le nouveau pouvoir supporte de plus en plus mal les analyses de la situation économique livrées par Mustapha Kamel Nabli, qu’il juge inutilement pessimistes et par conséquent contre-productives, au moment où le pays espère retrouver le chemin d’une croissance soutenue.
Mustapha Kamel Nabli ne renonce pas
Cette lutte de pouvoir est largement relayée sur internet, où Mustapha Kamel Nabli est attaqué pour son amitié supposée avec le néoconservateur américain Paul Wolfowitz ou pour sa parenté avec l’homme d’affaires Kamel Eltaïef, ancien conseiller de Ben Ali. D’autres lui reprochent l’inflation des prix des produits alimentaires, quand la hausse est avant tout la conséquence d’une pression de la demande extérieure, notamment en provenance de Libye.
Mais même en sursis, le patron de la BCT ne renonce pas. Il y a une dizaine de jours, il a établi son plan d’action jusqu’au mois de juillet. Au programme, le renforcement des capacités managériales des équipes de la Banque centrale ou encore la simplification des mesures concernant les transferts d’argent des Tunisiens de l’étranger. Avant sans doute d’envisager l’incontournable réforme du système bancaire tunisien, indispensable au renouveau de l’économie nationale.
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