Financement : ces PME qu’il faut soutenir

Les petites et moyennes entreprises constituent l’essentiel du tissu économique africain. Pourtant, leurs difficultés pour se développer subsistent. Autopsie d’une situation qui s’améliore timidement, notamment grâce au capital-investissement.

Les Moulins du Sahel, au Mali, ont été lancés en mars 2011 grâce à l’appui de banques sous-régionales. © Emmanuel Daou Bakary/J.A.

Les Moulins du Sahel, au Mali, ont été lancés en mars 2011 grâce à l’appui de banques sous-régionales. © Emmanuel Daou Bakary/J.A.

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 29 mai 2012 Lecture : 6 minutes.

Définition d'une PME.En d’autres termes, l’Afrique va maintenir le rythme de croissance qui lui a permis de devenir, aux yeux des investisseurs, une nouvelle terre d’opportunités. Toutefois, selon les économistes, cette embellie reste fragile et encore mal répartie, car portée essentiellement par les exportations de matières premières. Parent pauvre de cette croissance : les petites et moyennes entreprises (PME).

Celles-ci représentent pourtant 90 % du secteur privé et près des trois quarts des emplois créés sur le continent. Néanmoins, seul un quart du PIB africain provient de 65 millions de PME, note Mthuli Ncube, économiste en chef et vice-président de la BAD. Dans un environnement des affaires souvent hostile, les obstacles à l’émergence des PME africaines sont nombreux. Le financement bancaire, leur principal besoin, demeure quasi inaccessible.

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« La montée de la concurrence pousse aujourd’hui les banques à s’intéresser aux PME africaines, mais le problème se pose toujours avec plus d’acuité qu’ailleurs », explique Jean-Sébastien Bergasse, responsable du pôle PME à Proparco, filiale de l’Agence française de développement (AFD) pour le secteur privé. Les chiffres d’une récente étude de la BAD lui donnent raison : seulement 20 % des PME subsahariennes parviennent à obtenir une ligne de crédit d’une institution financière. En Amérique latine et aux Caraïbes, ce taux est de 44 %. Et à peine 9 % de leurs investissements sont financés par les banques, contre 23 % en Europe de l’Est et en Asie centrale.

Incompréhension

Une situation que confirme Serigne Barro, directeur général de People Input, une web agency sénégalaise présente dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest et qui propose aux entreprises un service d’accompagnement sur internet et des applications mobiles. « People Input n’a jamais pu bénéficier de financement bancaire, confie-t-il. Les banques ne comprennent pas notre métier. Elles nous demandent des garanties [par exemple une hypothèque immobilière, NDLR] dont une PME ne dispose pas. Même l’obtention d’un simple découvert bancaire est difficile… »

Certes, les initiatives se multiplient et le sujet semble enfin pris à bras-le-corps. La BAD est sur le point de lancer un fonds de garantie, African Guarantee Fund, pour tenter de faciliter l’accès des PME aux crédits bancaires. L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a pour sa part annoncé, le 15 mai à Dakar, vouloir consacrer 10,4 millions d’euros au sujet, à travers notamment la mise en place d’une base de données industrielles et d’un observatoire d’entreprises, et le renforcement des capacités des PME.

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Mais la solution, dans l’immédiat, viendra peut-être du capital-investissement, qui consiste à apporter aux entreprises à fort potentiel des fonds propres (via une prise de participation), une méthode de gestion et une stratégie de développement. Ce secteur en plein essor sur le continent s’intéresse encore principalement aux pays les plus avancés comme le Nigeria, le Ghana ou l’Afrique du Sud, mais les lignes commencent à bouger.

« Nombre d’entreprises subsahariennes sont bien structurées, bien gérées et dirigées par des entrepreneurs compétents. Elles sont en grande majorité peu matures et offrent aux investisseurs des positions intéressantes à prendre », affirme David Munnich, chargé d’investissement chez Investisseur & Partenaire pour le développement (I&P Dev).

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Présent en Afrique subsaharienne depuis 2002 et dirigé depuis l’an dernier par Jean-Michel Sévérino, l’ex-patron de l’AFD, I&P Dev compte dans son portefeuille une quarantaine de PME implantées dans une dizaine de pays. Le fonds, dont les montants d’intervention vont de 300 000 euros à 1,5 million d’euros, vient de lever 50 millions d’euros pour renforcer son activité sur le continent. Au Cameroun, I&P Dev a contribué à hisser Biotropical, dont il détient 25 %, au rang de leader de l’agriculture biologique. Avec un chiffre d’affaires annuel d’environ 1,2 million d’euros, l’entreprise exporte principalement des fruits (mangues, bananes, ananas et papayes) vers la France et d’autres pays de l’Union européenne. Ses clients sont des importateurs-grossistes spécialisés dans le bio et basés en Europe.

Microcrédit

Les initiatives semblables à celles de I&P Dev se sont multipliées ces dernières années. Proparco a ainsi créé un Fonds d’investissement de soutien aux entreprises en Afrique (Fisea), qui intervient pour des investissements compris entre 1 million et 10 millions d’euros, soit par des prises de participation dans des entreprises, soit à travers le financement de banques ou d’institutions de microcrédit. De leur côté, des fonds comme Emerging Capital Partners, Actis ou Aureos Capital, dont les investissements se chiffrent en général à une dizaine de millions d’euros, ont multiplié les levées de capitaux destinées à l’Afrique subsaharienne.

« Au Maroc, les banques referment les robinets »

« Quand la croissance du pays frôlait les 6 % à 7 %, les banques avaient ouvert les robinets en faveur des PME », se rappelle Salah Eddine Kadmiri, PDG de Schiele Maroc et vice-président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) depuis le 16 mai. Mais, selon lui, la crise a compliqué la situation. « Nous avons travaillé avec le gouvernement pour adopter une loi allongeant les délais de paiement des fournisseurs de deux à trois mois. Les entreprises ont retrouvé une trésorerie moins tendue », explique-t-il. S’il remarque l’arrivée en force des sociétés de capital-investis-sement, il souligne aussi que « les entreprises marocaines n’en ont pas encore l’habitude et [que] le crédit bancaire reste leur mode de financement préféré ». Le patronat travaille en outre avec la Caisse centrale de garantie, une institution publique, pour qu’elle couvre une partie des risques et permette ainsi aux banques de prêter aux PME. S.B.

« Il y a un fort engouement du capital-investissement pour l’Afrique. Notre groupe a été approché par plusieurs fonds et nous sommes en négociations avancées avec certains d’entre eux », indique Mossadeck Bally, PDG d’Azalaï Hotels. Créé en 1993, ce groupe malien (15 millions d’euros de chiffre d’affaires, environ 700 salariés) s’est fait une place dans le moyen de gamme. Il a bénéficié à ses débuts de l’appui du capital-investisseur Cauris Management et de la Société financière internationale (SFI, filiale de la Banque mondiale).

Il est aujourd’hui présent dans quatre pays et entend s’implanter dans toute l’Afrique de l’Ouest à moyen terme. « En ayant une analyse fine, une PME africaine peut réussir à créer une marque en quelques années et imaginer une expansion régionale. Car nombreux sont les créneaux encore vierges ou très peu occupés », estime David Munnich.

À l’instar d’Azalaï Hôtels, d’autres exemples de succès existent. Au Sénégal, Patisen, dirigé par Youssef Omaïs et qui produit pour le marché sous-régional des pâtes à tartiner et des bouillons en cube, s’apprête à franchir un cap dans son développement après avoir obtenu en novembre un financement de 11 millions d’euros de la SFI.

Cette société agroalimentaire, qui réalisait un chiffre d’affaires d’environ 15 millions d’euros en 2010, table sur 150 millions d’euros en 2012. Autre exemple : les Moulins du Sahel, spécialisés dans la production de farines de céréales (blé, maïs), ont été lancés en mars 2011 au Mali grâce à l’appui de certaines banques sous-régionales. La société est parvenue à dégager un chiffre d’affaires d’environ 10 millions d’euros pour sa première année d’activité et table sur 17 millions en 2012.

Signature

Pour Mossadeck Bally, les PME doivent cependant encore faire leurs preuves. « Actuellement, ce n’est plus l’argent qui appelle l’argent, mais une signature. Si en plus d’avoir un projet pertinent et rentable vous mettez en place une gestion rigoureuse et respectez scrupuleusement vos engagements, votre signature sera crédible et les financements dont vous avez besoin seront plus aisés à obtenir. » Gageons que ces conseils seront entendus par de nombreux entrepreneurs africains. 

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