Cameroun – Littérature : Imbolo Mbue, Million Dollar Baby
Prévu pour août 2016, le premier roman d’une jeune Camerounaise de 33 ans, pré-acheté par l’éditeur Random House pour 1 million de dollars, fait l’objet d’une longue campagne marketing.
Depuis plus d’un an, le suspense est entretenu avec soin et l’on peut parier qu’il le sera jusqu’en août 2016, date de la parution de Behold the dreamers, chez l’éditeur Random House. En attendant, le livre est déjà disponible en pré-commande chez Amazon, si jamais les lecteurs potentiels venaient à craindre qu’il n’y en ait pas pour tout le monde… Rarement campagne publicitaire n’aura été aussi bien orchestrée pour un premier roman d’une Africaine jusque là inconnue, Imbolo Mbue, originaire de Limbe, au Cameroun.
L’intelligence, l’empathie et le talent
Les débuts de l’affaire remontent à octobre 2014, lors de la Foire du livre de Francfort où s’achètent et se vendent les droits d’édition entre maisons, agents littéraires et auteurs. La nouvelle fait alors l’effet d’une petite bombe : Random House aurait acheté pour un million de dollars les droits du premier roman d’une Camerounaise de 33 ans. Du jamais vu. Le vendeur, c’est l’agence Susan Golomb. Le livre, qui n’a pas encore été publié, a pour titre provisoire The longings of Jende Jonga. Evidemment, c’est une pure merveille. Chez Random House, David Ebershoff déclare qu’il est écrit avec « une dose égale d’intelligence, d’empathie et de talent ». Pour l’agent Susan Golomb, l’auteur « a dépeint des personnages parmi les plus délicieux et rafraîchissants de la littérature contemporaine, avec tous leurs espoirs, leurs désirs et leurs déceptions ». Les comparaisons sont dores et déjà flatteuses, sans que personne ou presque n’ait jamais pu lire une ligne du livre : on évoque la Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie et la Bengalie Jhumpa Lahiri. Mbue ferait partie de la « nouvelle génération d’écrivains africains récemment découverts » comme NoViolet Bulawayo, Teju Cole et Dinaw Mengestu, rien que ça.
Ce que l’on sait d’Imbolo Mbue, c’est qu’elle est arrivée aux États-Unis en 1998, qu’elle est diplômée de Rutgers et de Columbia, et qu’elle vit à New York avec mari et enfants
Depuis 2014 et ce premier « teasing », la bande annonce du livre et une courte biographie de l’auteur sont venus agacer la curiosité du monde littéraire… et des futurs fans. Ce que l’on sait d’Imbolo Mbue, c’est qu’elle est arrivée aux États-Unis en 1998, qu’elle est diplômée de Rutgers et de Columbia, et qu’elle vit à New York avec mari et enfants. Ce que l’on sait de The Longings of Jende Jonga, c’est qu’il a désormais un nouveau titre, Behold the dreamers, et qu’il raconte une histoire d’immigration.
« Un choix impossible » ou les merveilles du « teasing »
Jende Jonga est arrivé aux États-Unis avec sa femme, Neni, et son fils de six ans dans l’espoir d’un vie meilleure. En 2007, il trouve un boulot de chauffeur pour un cadre de la banque d’affaire Lehman Brothers, Clark Edwards, qui exige de lui ponctualité, discrétion et loyauté. Madame Cindy Edwards offre même un peu de travail à Neni, dans sa résidence secondaire des Hamptons, au nord-est de long Island. Bien entendu, ce monde de richesses aux lisses apparences cache de sombres secrets… Et puis Lehman Brothers fait faillite, suite à la crise des subprimes. Le couple de migrants essaie de protéger les Edwards de certaines vérités… « Alors que leurs quatre vies sont dramatiquement bouleversées, Jende et Neni sont contraints de faire un choix impossible. » Fin du « pitch » sur une note intrigante.
Brillant ! Grandiose ! Merveilleux ! Stupéfiant !
Interrogés sur le montant exorbitant de la transaction pour les droits du livre et sur la vie de l’auteur, Random House et Susan Golomb demeurent silencieux. Dans un monde où règnent Twitter et Facebook, Imbolo Mbue reste pour sa part étrangement en retrait, comme pour préserver la surprise. Elle aurait néanmoins déclaré au site Langaa Research and Publishing Common Initiative Group : « Oui, j’aurai bientôt un site web avec les dates des signatures et des lectures. Et une page facebook, aussi. Et si je parviens à me débarrasser complètement de ma phobie des réseaux sociaux, je me mettrai sur Twitter. » Quant à son livre, elle ne peut pas en dire plus bien entendu, « pour des raisons évidentes ». Mais quand même : « Mon mari l’a lu et l’a trouvé brillant, grandiose, merveilleux, stupéfiant ! Mais c’est à prendre avec des pincettes bien sûr ! »
Pour se faire une idée du style de Mbue, la seule possibilité dont disposent aujourd’hui les curieux, c’est de lire Emke, une jolie nouvelle parue sur The threepenny Review et en accès libre sur internet. Et pour ceux qui veulent se faire une idée du beau visage de ce prodige bruyamment annoncé, sa photo est sur le site du Wall Street Journal, signée Kiriko Sano. Pour juger sur pièce, il faudra patienter… Mais d’ici août 2016, les nouveaux « teasings » devraient se multiplier – au risque de voir les mises en bouche provoquer une indigestion avant même que le plat principal soit servi.
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