L’exception sénégalaise

S’il n’est pas à l’abri des maladies infectieuses et autres épidémies qui frappent le continent, du paludisme à Ebola, le Sénégal semble préservé des maux politiques endémiques qui, aux yeux du monde, semblent confiner l’Afrique au rang de continent maudit.

Le quartier du Plateau, à Dakar © Youri Lenquette/J.A.

Le quartier du Plateau, à Dakar © Youri Lenquette/J.A.

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  • Mehdi Ba

    Journaliste, correspondant à Dakar, il couvre l’actualité sénégalaise et ouest-africaine, et plus ponctuellement le Rwanda et le Burundi.

Publié le 23 décembre 2015 Lecture : 3 minutes.

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Sénégal : à contre-courant

Alors que nombre de chefs d’États s’escriment à se maintenir au pouvoir, son président propose d’écourter son mandat. Le Sénégal est décidément un pays à part. Plongée dans une nation ouest-africaine qui mise sur le dynamisme de sa démocratie pour construire l’avenir.

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Les putschs ? Il n’en a connu aucun en cinquante–cinq ans d’indépendance. Les présidents inamovibles ? Depuis la fin du règne bidécennal d’Abdou Diouf, en 2000, le pays a connu deux alternances. Les tripatouillages constitutionnels douteux ? Il aura suffi que les Dakarois descendent dans la rue, en juin 2011, pour qu’Abdoulaye Wade renonce à une révision controversée ; et son successeur, Macky Sall, a spontanément promis de réduire son mandat de sept à cinq ans. Les attentats terroristes ? Jamais un jihadiste n’a ensanglanté le pays, musulman à 90 %. Les tensions interreligieuses ou intercommunautaires ? Tidjanes, Niassènes et Mourides, chrétiens et musulmans, Diolas, Halpulaaren et Wolofs, tels les musiciens d’un orchestre philharmonique, jouent, sans fausses notes, une même partition…

Il faudrait chercher longtemps – et en vain -, à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest élargie, un pays susceptible de s’enorgueillir d’un tel bilan. De la Mauritanie à la Côte d’Ivoire, du Niger à la Sierra Leone, de la Guinée-Bissau au Togo, hoquets démocratiques et déchirements fratricides sont légion. Pas au Sénégal, pays miraculé et, à ce titre, couvé par ses mentors occidentaux, de François Hollande à Barack Obama.

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Préservé de la guerre, des attentats, de l’instabilité politique, le pays s’est-il pour autant montré à la hauteur de ces atouts fièrement cultivés ? Récemment, son classement par le FMI parmi les 25 pays les plus pauvres du monde a provoqué l’irritation des autorités, tout en faisant le miel de l’opposition.

Malgré les nombreux satisfecit que lui délivrent ses partenaires techniques et financiers, le Sénégal, arrimé à des indicateurs peu flatteurs en matière de développement humain, tarde à gagner le large. Les détracteurs du régime veulent y voir l’échec de Macky Sall à hisser son pays vers les cimes que prétend atteindre son plan Sénégal émergent (PSE). Mais, au-delà des polémiques politiciennes, de bonne guerre et réversibles, les racines du mal sont connues de tous, de Matam à Ziguinchor.

Ce « tri sélectif », comme l’évoque dans ces pages l’écrivain Felwine Sarr, « ne saurait être imposé de l’extérieur »

Au Sénégal, la fierté nationale n’exclut pas l’introspection. En privé, autour d’un thieboudiène ou d’un bissap, les dysfonctionnements structurels se dévoilent. Tendance à l’autosatisfaction (le pays de Senghor n’a-t-il pas grandi dans la conviction de constituer une élite sous-régionale ?). Appétence excessive pour l’assistanat (interpersonnel ou international). Délaissement coupable du bien commun. Tolérance contre-productive envers la corruption quotidienne, le népotisme ou les passe-droits (parfois jusqu’au drame, comme l’a montré, en 2002, le naufrage du Joola). Mépris affiché pour l’environnement, dans un pays qui dissémine aux quatre vents les sacs en plastique, ignore l’invention des poubelles publiques et axe son indépendance énergétique sur les centrales à charbon. Fascination pour les signes extérieurs de richesse et les fortunes sorties du néant, etc.

Lorsqu’une étudiante trouve banal de monnayer son corps pour acquérir un iPhone 6 ou que des serviteurs de l’État se montrent prêts à vendre leur âme pour obtenir qui un 4×4 dernier modèle, qui une villa de standing, la méritocratie reste en rade. Les Sénégalais le savent, le déplorent et souhaiteraient tourner la page.

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Cette réforme en profondeur des mentalités, qui transcende les clivages partisans, est le prix à payer pour transformer l’essai que le Sénégal n’a que trop attendu. Or ce « tri sélectif », comme l’évoque dans ces pages l’écrivain Felwine Sarr, « ne saurait être imposé de l’extérieur ».

« Ñuni neen la », dit une expression wolof difficilement transposable en français, mais que l’on pourrait traduire par : « Jetons bas les masques, on ne se connaît que trop bien. »

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