En Afrique, la culture sous surveillance

En Afrique, le cinéma fait peur. Les cinéastes font peur aux pouvoirs politiques, quels qu’ils soient. La lente agonie des salles de cinéma – suivie bientôt de leur mort totale – en est la meilleure preuve.

Culture sous surveillance © Adria Fruitos/J.A.

Culture sous surveillance © Adria Fruitos/J.A.

nabil_ayouch

Publié le 19 février 2016 Lecture : 3 minutes.

En détruisant ce lien avec la population, ce lieu d’agora au cœur de la cité, les gouvernants n’ont même plus besoin de la censure. Laquelle, à quelques exceptions près, devient pratiquement obsolète en Afrique subsaharienne. Seuls les festivals représentent encore un enjeu en termes de diffusion des films. Au Maghreb, où quelques dizaines de salles subsistent, le cinéma est sous haute surveillance ; aidé, subventionné, maintenu sous perfusion… pour mieux « veiller » sur lui.

En finançant les cinéastes sans permettre l’éclosion d’un véritable marché, en laissant les salles mourir et le piratage se propager en toute impunité, les gouvernants ont toute latitude pour décider quels sujets méritent d’être traités, donc financés, et quels autres doivent rester dans les tiroirs. L’argent public comme arme de dissuasion massive… Car malheureusement, les cinéastes africains n’ont souvent que très peu d’alternatives pour financer leurs films.

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Ce gâchis vient d’un constat de la part de ceux qui nous gouvernent. Sur un continent où le taux d’analphabétisme atteint des records, les images, qui circulent encore plus vite à l’heure du numérique, représentent un véritable pouvoir. Celui-ci doit être domestiqué, mis sous tutelle, encadré. Et pourtant, que ne gagnerions-nous pas à nous émanciper de ce raisonnement… En censurant un film, sous quelque forme que ce soit, c’est une part de notre humanité que l’on tue.

Dire que l’Occident n’a pas de leçons à nous donner en matière de droits humains fondamentaux sera une vue de l’esprit tant que l’Occident continuera d’offrir un abri, un espace d’expression et de circulation des œuvres aux artistes africains censurés dans leurs pays

On parle souvent des défis que l’Afrique a à relever, notamment en matière d’essor économique, depuis que l’on s’est rendu compte que le continent était une mine à ciel ouvert qu’il fallait exploiter. Mais l’une des priorités de l’Afrique, c’est la préservation et la propagation de sa culture, dans toute sa diversité. En protégeant ses artistes, en leur donnant les moyens de s’exprimer sans en attendre aucune contrepartie, en érigeant la liberté d’expression comme socle inamovible de la fondation d’un État moderne, le pouvoir africain gagnera en puissance et en émancipation.

Dire que l’Occident n’a pas de leçons à nous donner en matière de droits humains fondamentaux sera une vue de l’esprit tant que l’Occident continuera d’offrir un abri, un espace d’expression et de circulation des œuvres aux artistes africains censurés dans leurs pays. L’Afrique doit s’affranchir de cet anachronisme, promouvoir la libre circulation des œuvres, revendiquer le droit de ses artistes à s’exprimer comme ils l’entendent et les protéger. Il n’y aura aucune construction économique ou politique pérenne sans véritable vision culturelle. La culture est ce qui nous lie, nous rappelle qui nous sommes et d’où nous venons.

Lorsque la création africaine est libre, désinhibée, elle est conquérante, puissante, et pénètre les tréfonds de la société

Dans ses revendications sociales exprimées ces dernières années, le peuple africain redit chaque fois à ses dirigeants à quel point la liberté d’expression ne saurait être négociable. Il leur rappelle que sans culture de proximité – et la salle de cinéma en est l’un des meilleurs emblèmes -, il ne saurait y avoir de lien social, de lien identitaire fort. Il leur crie enfin ses aspirations profondes, ses désirs.

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Les Africains aiment leur culture, ceux qui la font ; ils aiment leur cinéma, leur musique, leurs danses, leur théâtre, leurs mots, leurs voix. Ils aiment que leurs artistes leur racontent des histoires, leurs histoires, nos histoires. Lorsque la création africaine est libre, désinhibée, elle est conquérante, puissante, et pénètre les tréfonds de la société. Elle s’exporte sous d’autres cieux, devient une arme diplomatique – une démonstration supplémentaire, s’il en fallait, que ce continent a des choses à dire.

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