L’extrémisme, une affaire d’État

Parmi les défis sécuritaires auxquels le Sahel est confronté, les groupes armés non étatiques constituent l’un des plus préoccupants.

L’extrémisme, une affaire d’État © Adria Fruitos pour J.A.

L’extrémisme, une affaire d’État © Adria Fruitos pour J.A.

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  • Ousmane Kane

    Ousmane Kane est professeur d’études islamiques à l’université Harvard.

Publié le 9 février 2016 Lecture : 3 minutes.

Parmi ces groupes, notables sont les soi-disant jihadistes qui opèrent au nom d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) en Afrique du Nord et au Nord-Mali, des Shebab dans la Corne de l’Afrique et de Boko Haram dans la région du lac Tchad.

Profitant de la faiblesse des États, de l’incompétence de certains gouvernements et de l’instabilité politique régionale provoquée par l’intervention militaire étrangère en Libye, ils ont acquis une capacité de frappe militaire et de mobilité transfrontalière forçant les armées africaines à mener une guerre asymétrique pour laquelle elles ne sont guère préparées.

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Ce qui distingue les mouvements dit jihadistes de la plupart des rébellions irrédentistes que l’Afrique subsaharienne a connues, c’est la mission dont ils prétendent être investis : rétablir la loi et la justice divines sur terre. Un tel discours, sincère ou pas, pourrait leur attirer des sympathies dans les sociétés africaines, qui sont le théâtre d’une résurgence de la religiosité en ce début du XXIe siècle.

En effet, une enquête de l’organisme de recherche et de sondage américain Pew Forum on Religion and Public Life sur les pays d’Afrique subsaharienne révélait, en 2010, que ces derniers, en même temps qu’ils se démocratisent, développent un plus grand attachement à la religion. Cela est vrai de l’islam comme du christianisme, qui comptent chacun entre 400 millions et 500 millions d’adeptes sur le continent.

S’ils constituent une infime minorité, les radicaux ont un pouvoir de déstabilisation non négligeable

La montée de la religiosité s’accompagne en même temps d’une diversification de l’offre religieuse. Dominant en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest pendant le dernier millénaire, l’islam sunnite malékite fait à présent face à la concurrence de nouveaux mouvements : chiites, wahhabites et autres. Certains sont modérés, d’autres radicaux. S’ils constituent une infime minorité, les radicaux ont un pouvoir de déstabilisation non négligeable.

ont pris le temps de s’implanter, de recruter, d’endoctriner et d’entraîner des combattants avant de frapper. L’enseignement privé religieux a prospéré au cours des dernières décennies, pour le meilleur et pour le pire. Et c’est dans les lieux de culte, écoles et associations religieuses que les idéologies radicales se sont disséminées lentement, progressivement.

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L’exemple du Mali est parlant. Ce pays n’a-t-il pas abrité des centres de commerce et d’érudition où l’islam modéré a été pratiqué pendant des siècles ? N’avait-il pas réussi sa transition démocratique, avant d’être victime des jihadistes qui ont mis une décennie à se consolider au Nord-Mali avant de déstabiliser ce pays ? Connu lui aussi pour la coexistence harmonieuse des religions, le Sénégal se rend compte, à son tour, que des groupes religieux intolérants se sont installés dans la plupart des grandes villes.

Aux vrais problèmes auxquels les pays africains sont confrontés tels que le néocolonialisme, la mauvaise gouvernance, la corruption, ils proposent une fausse solution : le recours à la violence.

Parce qu’ils sont laïques et garantissent la liberté de culte, les États africains ont laissé aux entrepreneurs religieux privés la gestion du champ spirituel. Pour la plupart, ces entrepreneurs dispensent un enseignement légitime. Mais une infime minorité prêche l’intolérance. Aux vrais problèmes auxquels les pays africains sont confrontés tels que le néocolonialisme, la mauvaise gouvernance, la corruption, ils proposent une fausse solution : le recours à la violence.

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Les États doivent s’impliquer davantage dans le champ religieux, avoir un droit de regard sur les écoles confessionnelles, enrayer les groupes qui prêchent l’intolérance, tout en facilitant à toutes les communautés confessionnelles la pratique de leur religion. Ils ne doivent pas abandonner ce champ aux groupes radicaux au nom de la laïcité.

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