Ralph Olayé : « Des projets qui ont vocation à transformer le continent »
En adoptant un Programme pour le développement des infrastructures en Afrique, les États de l’Union africaine se sont engagés à mettre en oeuvre 51 chantiers essentiels. Entretien avec Ralph Olayé, chargé de l’intégration régionale à la Banque africaine de développement (BAD).
BTP : les projets qui transforment le continent
Adopté en janvier par les chefs d’État de l’Union africaine, le Programme de développement des infrastructures en Afrique (Pida) rassemble 51 projets visant à doter le continent d’infrastructures indispensables à son émergence économique à l’horizon 2040. À travers la construction de corridors routiers, de plateformes portuaires et aéroportuaires, de grands barrages hydroélectriques, etc., il ambitionne d’accélérer la croissance économique en Afrique et de doubler le taux des échanges intra-africains, en le portant à 24 %. Ralph Olayé, chargé de l’intégration régionale à la Banque africaine de développement (BAD), en détaille les principaux enjeux.
Jeune afrique : Il y a dix ans, les résultats du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) ont été plus que décevants. Pourquoi le Pida ferait-il mieux ?
Ralph Olayé : La mise en oeuvre du plan d’action du Nepad a été moins bonne que prévue, parce qu’il comprenait un nombre important de projets très onéreux. Avec le Pida, nous avons ciblé 51 projets dans les domaines des transports, de l’énergie, de l’eau et des technologies de l’information et de la communication, qui représentent la priorité des priorités en Afrique et qui doivent être réalisés dans les huit prochaines années. Ce programme est certes ambitieux, mais il est à notre portée : 68 milliards de dollars [52 milliards d’euros, NDLR], c’est 0,2 % des PIB africains, 1 % des budgets nationaux et environ 5 % des budgets d’investissement.
Qui financera ce programme ?
Au moins la moitié du financement de ces infrastructures viendra de ressources domestiques publiques ou privées : les chefs d’État s’y sont engagés. D’ici à 2040, cette contribution sera portée à près de 75 %. L’aide au développement ne jouera plus qu’un rôle de facilitation : les fonds apportés par les bailleurs traditionnels serviront notamment à amener certains projets à maturité, pour ensuite attirer des investisseurs privés locaux.
Des sanctions sont-elles prévues à l’encontre des mauvais élèves ?
Un rapport semestriel permettra d’identifier les États qui avancent bien et ceux dont ce n’est pas le cas. Mais il n’y aura pas de sanctions en tant que telles. En fait, la sanction viendra du déficit en croissance que les pays qui ne joueront pas le jeu connaîtront. Du point de vue méthodologique, nous sommes partis d’une hypothèse de croissance de 6,2 % en moyenne sur les trente prochaines années. Mais ce taux ne pourra être atteint que si les projets d’infrastructures sont réalisés.
Comment comptez-vous aider les États ayant une faible capacité de mobilisation de ressources financières ?
En plus du soutien aux niveaux national et régional pour le renforcement des capacités de planification, d’appropriation budgétaire et de coordination régionale, nous interviendrons à travers des mécanismes de garanties permettant aux pays de mobiliser des investissements étrangers en monnaie locale. Le Pida prévoit que de 5 % à 7 % des montants que l’on vise en investissements soient consacrés à la préparation de ces projets.
Au moins la moitié du financement de ces infrastructures viendra de ressources domestiques publiques ou privées.
Que coûte le déficit en infrastructures à l’Afrique ?
Le manque à gagner n’est pas vraiment chiffré. Mais on sait que le déficit en infrastructures énergétiques représente des pertes annuelles de 2 à 4 points de croissance pour le continent. Et selon notre étude, les gains d’efficacité dans les transports, à la fin de la réalisation du Pida en 2020, équivaudront à 172 milliards de dollars.
Quels sont les projets phare de ce programme ?
Les 51 projets sont importants, mais il y a en a qui sont plus mûrs que d’autres. Nous les avons classés en quatre catégories : du stade 1, qui regroupe les projets en phase d’étude de faisabilité, au stade 4, qui signifie que la concrétisation du projet est imminente. À lui seul, le secteur des transports comprend 24 projets. Mais, en termes de financement, c’est l’énergie qui se taille la part du lion, avec 40 milliards de dollars d’investissements. Reste qu’il ne faut pas se référer aux chiffres pour décréter que tel type d’infrastructure est plus important que d’autres. Tout va ensemble.
À Cannes, en novembre, 11 projets considérés comme prioritaires ont reçu le soutien du G20. Quelle est la position de la BAD par rapport à ces choix ?
Les projets proposés par le panel de haut niveau du G20 ont vocation à transformer le continent. En dehors du projet d’énergie solaire en Afrique du Nord, tous les autres comptent parmi les priorités du Pida, mais nous aurions souhaité que les membres du G20 soutiennent le programme dans son ensemble plutôt que d’en isoler quelques projets. Cela dit, ceux retenus par le G20 – le barrage d’Inga [en RD Congo], par exemple – sont difficiles et leur financement très compliqué à obtenir.
Sokoni.com, le cybermarché des projets
Cette future plateforme électronique portée par la Banque africaine de développement (BAD) offrira un espace d’échanges entre les porteurs de projets d’infrastructures en Afrique et les investisseurs (fonds d’investissement, fonds souverains, etc.). Le principe sera à peu près le même que celui des sites de rencontre où des personnes discutent, échangent et vont plus loin si affinités. Conçu par Zanbato Group, une société d’ingénierie informatique basée dans la Silicon Valley, aux États-Unis, Sokoni sera disponible dans quelques mois et représentera un investissement de 10 millions de dollars (7,6 millions d’euros) pour ses trois premières années de fonctionnement.
Le partenariat public-privé est souvent préconisé dans le développement des infrastructures. Où en est ce type de partenariat en Afrique ?
Les partenariats public-privé commencent à devenir une réalité. La centrale hydroélectrique de Ruzizi III sur le lac Kivu, d’un coût de 450 millions de dollars et financé à plus de 50 % par des investisseurs privés, en est un exemple. L’un des principaux obstacles à l’essor de ce type de partenariat est la mauvaise perception des risques en Afrique. Notre credo est d’expliquer que le risque perçu n’est pas le risque réel lorsqu’il s’agit des infrastructures.
Nous aurions aimé que le G20 soutienne l’ensemble du programme.
Dans quelle catégorie de partenariat classeriez-vous les investissements chinois dans les infrastructures en Afrique ?
Le modèle « ressources naturelles contre infrastructures » est une forme de partenariat public-privé. Les acteurs chinois ont très clairement un rôle à jouer dans le développement des infrastructures en Afrique. Notre souhait est qu’il y ait un peu plus d’inclusion des autres partenaires au développement et un peu plus de transparence dans les contrats. On parle souvent de la Chine, mais d’autres puissances comme le Brésil, la Turquie, l’Inde, l’Australie ou encore la Corée du Sud sont aussi très actives en Afrique.
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