Le Brésil aux premières loges
Si ses voisins latino-américains manquent d’empressement en Afrique, le Brésil, sixième puissance économique mondiale, s’implante durablement sur le continent. Avec comme fer de lance des champions tels que Petrobras ou Vale.
Dans le ciel d’un Sahel sous tension, les patrouilles aériennes se multiplient. Avec Embraer, l’un de ses fleurons industriels et troisième constructeur aéronautique mondial, le Brésil participe, même indirectement, à la lutte contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et la rébellion touarègue. Le groupe vient en effet de vendre trois Super Tucano au Burkina Faso et quatre à la Mauritanie. L’acquisition de ces avions d’attaque au sol par Ouagadougou et Nouakchott ainsi que par Luanda (l’Angola a commandé six appareils) pour un total de 180 millions de dollars (près de 135 millions d’euros) a été révélée le 28 mars par le constructeur. « Le Super Tucano est très efficace et offre de faibles coûts d’exploitation. Ses capacités dans la surveillance aérienne et dans des missions contre-insurrectionnelles en font un appareil idéal pour l’Afrique et plusieurs autres pays sont intéressés », a assuré à cette occasion Luiz Carlos Aguiar, le patron de la branche défense et sécurité d’Embraer.
Dans le domaine civil, le brésilien a déjà commercialisé en Afrique environ 150 avions de transport régional de 70 à 120 places et veut doubler ce chiffre dans les vingt ans. Présent, enfin, dans l’aviation d’affaires, le constructeur a signé en 2011 un accord de partenariat avec le nigérian Barbedos Group, spécialisé dans la location.
Le Nigeria, l’Angola, l’Algérie, l’Afrique du Sud et la Libye sont ses principaux marchés.
Les succès d’Embraer sur le continent illustrent la prééminence du Brésil dans les relations commerciales entre l’Amérique latine et l’Afrique et soulignent dans le même temps la timidité des autres poids lourds latino-américains. Régulièrement annoncée, l’arrivée de groupes agro-industriels argentins n’a toujours pas abouti. Il en va de même pour le magnat mexicain des télécoms Carlos Slim, dont le groupe, América Móvil, contrôle environ 70 % du marché national de la téléphonie mobile. En octobre 2011, il a affirmé vouloir investir en Afrique, avec le Kenya, le Nigeria et l’Afrique du Sud pour premières cibles. Mais c’est en Europe qu’il s’apprête à débourser 2,6 milliards d’euros pour monter au capital du néerlandais KPN.
Confiance
C’est donc sans grande surprise que l’Union africaine (UA) a annoncé le 8 mai le report à une date inconnue, « à la demande du côté sud-américain », du troisième sommet Afrique-Amérique du Sud (Africa-South America, ASA), prévu les 15 et 16 mai à Malabo. Le fait que les principaux artisans de cette coopération Sud-Sud aient été Mouammar Kaddafi et Hugo Chávez peut expliquer ce report.
Mais rien de tel avec les Brésiliens. Organisée par la Banque nationale du développement économique et social (BNDES), la rencontre Brésil-Afrique a bien eu lieu le 3 mai à Rio de Janeiro, en présence de l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva et de représentants de grandes entreprises du pays. À cette occasion, la banque BTG Pactual a annoncé la création d’un fonds de 1 milliard de dollars pour investir dans l’énergie, les infrastructures et l’agriculture en Afrique. « C’est la démonstration de l’énorme confiance du Brésil envers cette région », a commenté son PDG, André Esteves.
« Le Brésil est désormais la sixième économie mondiale et nous avons des responsabilités dans ce monde globalisé. Après la crise internationale, dont ni le Brésil ni l’Afrique ne sont à l’origine, nous avons besoin de raffermir nos relations et nos liens économiques », a justifié de son côté Lula. C’est sous sa présidence, entre 2003 et 2010, que les échanges commerciaux entre son pays et le continent ont décollé, atteignant 20 milliards de dollars à la fin de son mandat (voir infographie). Plus de 80 % des importations brésiliennes sont des hydrocarbures et des matières premières. Quant aux exportations vers l’Afrique, elles se composent surtout de produits alimentaires et de biens d’équipement. Les entreprises brésiliennes sont présentes dans plus d’une vingtaine de pays, le Nigeria (32 % des échanges), l’Angola (16 %), l’Algérie (12 %), l’Afrique du Sud (10 %) et la Libye (7 %, avant le conflit) étant leurs principaux marchés.
Comme avec Embraer, le Brésil s’appuie sur ses grands groupes pour pénétrer le marché africain, où ils ont investi plus de 10 milliards de dollars en 2009. Le géant pétrolier Petrobras extrait près de 57 500 barils par jour sur le continent, soit 24 % de sa production mondiale. Sur la période 2009-2013, il aura engagé 900 millions de dollars en Angola et 2 milliards au Nigeria. Son compatriote Vale (mines) consacrera à l’Afrique 9,1 % des 12,9 milliards de dollars d’investissements qu’il débloquera en 2012. Dans les deux ans, le groupe aura lancé l’exploitation du gisement de fer de Simandou, en Guinée (1,2 milliard de dollars d’investissements), et développé celle de la mine de charbon de Moatize, au Mozambique (2 milliards), en mettant en place le corridor ferroviaire qui doit la relier à la mer (4,4 milliards).
De son côté, le groupe de BTP Odebrecht a mis un pied en Angola en 1984 pour la construction de la centrale hydroélectrique de Capanda (520 MW). Il y compte aujourd’hui 16 000 salariés. Odebrecht s’est diversifié dans le diamant, les biocarburants, l’immobilier et affiche une présence dans une dizaine de pays, dont le Gabon, le Congo et Djibouti.
Dans l’agriculture enfin, le Brésil veut exporter sa « révolution verte ». Le deuxième producteur mondial d’éthanol (après les États-Unis) a en projet plus de 6 milliards de dollars d’investissements dans les biocarburants au Mozambique, en Angola, au Congo et au Nigeria. Dans le domaine alimentaire, Brasília multiplie les accords : culture du riz au Sénégal, produits laitiers en Tanzanie…
« Les possibilités d’investissement en Afrique sont extraordinaires », assure Luciano Coutinho, le président de la BNDES. L’institution a déjà investi 7 à 8 milliards de dollars pour suivre ses nationaux en Afrique et cherche à y financer des projets dans l’agriculture, l’énergie, les transports, les nouvelles technologies ou les services bancaires. « Nous évaluons le potentiel de coopération dans les infrastructures, le secteur privé, l’intégration régionale et l’agriculture », complète Mthuli Ncube, économiste en chef de la Banque africaine de développement.
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