[Long format] Congo-Brazzaville : les oubliés de l’explosion du 4 mars à Mpila
Si certains sinistrés de « l’explosion du 4 mars » 2012 à Brazzaville ont accepté le relogement proposé par l’État à Kintélé, dans la banlieue nord de la capitale, beaucoup réclament toujours la reconstruction de leurs maisons à Mpila et dans les quartiers environnants soufflés par la catastrophe. En attendant, ils vivent dans des conditions souvent très précaires.
Rue Bangangoulou, 5e arrondissement de Brazzaville. Dans le quartier de Ouenzé, d’imposants immeubles sortent de terre. Le lycée de la Révolution, détruit lors de l’explosion du dépôt de munitions de Mpila, en 2012, est de nouveau débout, flambant neuf. À quelques pas, des bâtiments de quatre étages, nouvellement construits, alignés les uns après les autres. Telle une petite cité qui voit le jour dans la ville.
Le spectacle se prolonge vers Mpila, le quartier voisin. La caserne militaire, d’où sont venues les déflagrations meurtrières du 4 mars 2012, a été délocalisée, permettant au gouvernement congolais d’étendre son plan de construction de logements. Au total, près de 800 logements modernes et plusieurs autres infrastructures publiques (écoles, centres commerciaux, hôpitaux…), déjà érigés ou en cours de construction, vont bientôt être mis à la disposition de la population, explique-t-on au ministère de l’Aménagement du territoire.
Mais ce projet de rénovation, « entamé bien avant le drame du 4 mars » comme le soulignent des responsables du dossier, ne concerne pas directement les sinistrés de l’explosion. « L’État aurait dû reconstruire d’abord nos maisons avant de poursuivre la construction de ces logements modernes dont le coût de location nous sera inaccessible », déplore déjà un habitant de Mpila qui s’est retrouvé sans-abri comme près de 17 000 autres personnes après la série d’explosions qui a secoué le quartier et ses environ.
Près de quatre ans plus tard, les dégâts demeurent impressionnants. Carcasses de véhicules calcinés devant certaines parcelles, habitations aux façades défoncées, mangées par la végétation envahissante, baraques en tôle, tentes aménagés à la va-vite… Mpila et les quartiers 54, 56 et 59 des cinquième et sixième arrondissements de Brazzaville présentent encore aujourd’hui un tableau désolant.
À Mpila, nous vivons comme des bêtes sauvages, gronde un habitant
« L’État nous a abandonnés à notre triste sort : nous vivons comme des bêtes sauvages », gronde Gilbert Ndoubili*. Pour ce père de famille, membre du Collectif des propriétaires des maisons détruites (CPMD), la vie a changé du tout au tout ce dimanche noir de mars 2012. Quand les premières déflagrations retentissent, il se trouve chez lui. « D’abord, je suis resté serein, puis j’ai paniqué lorsque la deuxième explosion s’est fait entendre : la terre a tremblé », se souvient-il. Il se précipite alors dehors avec sa famille. « Il fallait fuir très loin d’ici », explique-t-il. Un réflexe qui sauvera sa vie et celle des siens. Mais tout le quartier n’a pas eu la même chance : au moins 300 personnes sont mortes, et des centaines d’autres ont été blessées.
Dans un premier temps, le gouvernement met la main au portefeuille et verse 3 millions de francs CFA (environ 4 600 euros) à chaque ménage. Une « allocation d’urgence » qui sera suivie d’une distribution de tôles. Des commerçants sont également indemnisés dans les mois et les années qui suivent. Un plan de relogement des sinistrés est mis en place au « nouveau quartier de Kintélé », dans la banlieue nord de Brazzaville, à quelque 25 km du centre-ville.
Sur cette carte, le quartier de Mpila et le nouveau quartier de Kintélé :
« Aujourd’hui près de 500 familles ont été relogées sur le site, mais d’autres continuent à le bouder », regrette pour sa part un conseiller au ministère des Affaires foncières et du Domaine public, qui soutient que « les dispositions ont pourtant été prises pour les accueillir dans de bonnes conditions : logement meublé, frais d’électricité et d’eau à la charge de l’État, centre de santé et établissement scolaire à proximité ».
« Il est hors de question que nous acceptions un hébergement dans une zone urbano-rurale alors que nous avons toujours vécu en ville », rétorque Gilbert Ndoubili. Comme lui, plusieurs sinistrés ont choisi de vivre dans des conditions précaires à Mpila et à Ouénzé, en attendant la reconstruction, au même endroit, de leurs logements détruits par l’explosion.
« D’une maison de trois chambres et salon, je me retrouve aujourd’hui dans une bicoque de deux pièces avec ma femme et mes quatre enfants », raconte Ndoubili, désabusé. Une promiscuité gênante aussi bien pour les parents que pour leurs deux filles et deux garçons, âgés de 8 à 19 ans.
« Pas de toit, pas de paix »
La situation devient de plus en plus intenable et motive davantage le CPMD à poursuivre le combat. En ce matin ensoleillé de début novembre, quelques « propriétaires des maisons détruites » ont décidé de poser des calicots revendicatifs dans le quartier. « Les sinistrés du 4 mars réclament l’indemnisation », peut-on lire ici et là. « L’État doit rendre publique l’évaluation de nos maisons effectuée par les services du cadastre et remettre à chaque propriétaire les sommes dues », commente un membre du CPDM.
Pour tenter de mettre la pression sur les autorités, d’autres associations regroupant les familles victimes du « drame du 4 mars » ont même appelé au boycott du dernier référendum constitutionnel. « Pour nous, pas de toit, pas de paix », résume un résidant. Des tracts incitant la population à ne pas se rendre aux bureaux de vote ont été distribués à Mpila et à Ouénzé. Une démarche loin de faire l’unanimité dans une zone – sinistrée certes mais située dans la partie nord de Brazza, réputée favorable au président Denis Sassou Nguesso. « Au fil des ans, des associations comme le CPDM et autres collectifs des quartiers Ouénzé et Talangaï se sont politisées, reléguant au second plan la revendication des sinistrés de l’explosion au profit de celles des officines politiciennes », tance d’ailleurs un sympathisant du Parti congolais du travail (PCT, au pouvoir), résidant du quartier 59, à Ouénzé.
Lassés d’attendre ou de manifester, certains ont entrepris de reconstruire seuls leurs foyers. D’autres ont choisi de mettre en location leurs maisons, ou du moins ce qu’il en reste. Ce sont des refugiés centrafricains qui, pour la plupart, sautent sur l’occasion et occupent les édifices délabrés de la zone, dont les murs menacent de s’écrouler à tout moment. « Croyez-moi : nous ne serions plus là si nous avions un autre choix », lance un locataire, résigné.
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*Le nom a été changé à la demande de l’interlocuteur.
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