Actions citoyennes : quand les Tunisiens se mobilisent sur Facebook

Chaque dimanche de fin de mois, des centaines de Tunisiens descendent dans les rues… pour les nettoyer. Depuis plusieurs mois, les internautes s’organisent sur les réseaux sociaux pour pallier l’inaction du gouvernement et des municipalités dans plusieurs domaines, avec pour seuls mots d’ordre : propreté, solidarité et civisme.

Naiziha Gouider dans une action de mobilisation des Tunisiens  pour le ramassage des déchets. © Neziha Gouider-Khouja/groupe Facebook  » On a été embêté « 

Naiziha Gouider dans une action de mobilisation des Tunisiens pour le ramassage des déchets. © Neziha Gouider-Khouja/groupe Facebook  » On a été embêté « 

Publié le 25 décembre 2015 Lecture : 5 minutes.

Face à la lenteur de l’administration, à l’inaction du gouvernement ou même au « je-m’en-foutisme » des citoyens lambda, des Tunisiens ont décidé de prendre leur environnement en main. Tout a commencé il y a quelques mois, à travers des groupes de mobilisation qui se sont formés sur Facebook avec divers objectifs : nettoyer les rues, dire stop aux constructions anarchiques, protéger le patrimoine architectural ou encore recueillir les animaux errants…

À coup de « likes », de partages et de hashtags, la révolution citoyenne 2.0 s’est mise en marche en Tunisie. Les internautes l’ont bien compris : on n’est jamais mieux servis que par soi-même, d’autant que le problème des déchets dans le pays ne date pas d’hier. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est bien cette réaction des Tunisiens pour y remédier.

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Créé en juin 2015 pour dénoncer les « exactions d’incivilités ou de laxisme commises contre les citoyens », le groupe Facebook « On a été embêté pour vous » est fort aujourd’hui d’une armée de plus de 10 000 adhérents et possède son propre blog. Il se donne désormais pour objectif d’essayer de « changer les comportements » et organise des journées nationales d’action citoyenne, avec plantation d’arbres ou nettoyage des rues.

« Incommensurablement patriote »

« C’est un groupe profondément citoyen, incommensurablement patriote, rêvant (naïvement?) de changer les choses dans ce pays en passant par la sensibilisation », peut-on lire dans la description en ligne du groupe. Ce dimanche 27 décembre, des centaines de Tunisiens sont appelés à astiquer une nouvelle fois leur quartier un peu partout dans le pays, comme chaque dernier dimanche du mois, à l’occasion de l’action citoyenne « Je nettoie ma rue et je la maintiens propre ». Cette fois, une version « j’embellis ma rue » sera également au programme pour ceux dont le quartier est déjà dans un état très correct après les premières actions débutées en août.

Un formulaire électronique est mis à disposition pour s’inscrire aux différentes actions de ramassage par localité

Et le groupe compte aller encore plus loin. « Nous avons organisé l’action ‘Je porte un brassard blanc pour protester contre le terrorisme dans le monde. Le 8 novembre, c’était l’action ‘Un arbre, un citoyen’, puis l’action, ‘Dénonçons les écoles à environnement sale et nettoyons-les’, qui dure jusqu’au 31 décembre », nous explique Neziha Gouider-Khouja, professeur en neurologie et créatrice du groupe. Elle fut aussi l’initiatrice des opérations de nettoyage des rues, avec la journaliste Racha Tounsi.

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Comment participer ? Un formulaire électronique est mis à disposition pour s’inscrire aux différentes actions de ramassage par localité, et les participants (petits et grands, Tunisiens ou pas…) sont ensuite invités à partager le résultat de leur travail sur les réseaux sociaux tout en s’engageant à garder leurs rues propres. Un groupe secret « Les Samourais » s’est par ailleurs constitué pour imaginer, développer et organiser les différentes actions de la communauté.

Optimisme et action positive

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Et si la tâche semble encore difficile, les mentalités commencent déjà à changer progressivement, selon Neziha Gouider-Khouja : « Beaucoup de ceux qui étaient dans le ras-le-bol et la complainte sont aujourd’hui dans l’optimisme et l’action positive », se réjouit-elle. Avec la même philosophie s’est constitué le groupe « Wini Elboubell ?  » qui agrège près de 21 500 membres. En plus de dénoncer le manque de poubelles dans le pays, les internautes y postent des photos des montagnes d’ordures qui polluent les rues, mais aussi celles des bonnes actions des habitants ou des municipalités pour se débarrasser des tas d’immondices. « Nous dénonçons parce que nous aimons ce pays « , rappelle l’initiateur du groupe dans le descriptif Facebook.

Quid des autorités gouvernementales ? Les administrateurs des divers groupes préfèrent les informer de leurs actions plutôt que de les solliciter directement, ce qui leur a valu notamment un communiqué de soutien du ministère de l’Environnement, en août dernier. Mais le problème de fond, c’est à dire l’inefficacité de la levée des ordures n’est toujours pas réglé pour autant, regrette Neziha Gouider-Khouja. Qui ajoute : « Nous avons par exemple fait une action en commun autour d’une école au Bardo. La municipalité a été très active avec nous, mais elle n’a pas réglé le problème d’absence de bennes dans tout le quartier. Les citoyens doivent comprendre que ce pays est le leur et pas celui des administrations et des municipalités uniquement. »

Sous la pression du groupe et de l’ampleur de la contestation, le gouvernement s’est senti obligé d’intervenir

Avec plus de 51 500 membres, le groupe Facebook  » Winou Etrottoir ? » est probablement celui qui a fait le plus de remous jusqu’ici. Depuis la révolution de 2011, les constructions anarchiques des particuliers, des restaurants, des cafés et des épiciers se sont multipliées, rendant les trottoirs impraticables. Inspiré de la campagne « Winou ElPetrole », lancée en mai 2015 pour réclamer plus de transparence sur les ressources pétrolières du pays, « Winou Etrottoir » met le doigt sur les abus relevés sur la voie publique.

Ce groupe, qui se dit « spontané, citoyen et non partisan », a pour objectif une ville propre, nettoyée des obstacles qui entravent la liberté des Tunisiens de circuler à pied dans leurs rues, en toute sécurité. Et sous la pression de ses membres et de l’ampleur de la contestation, le gouvernement s’est senti obligé d’intervenir. Ces derniers mois, plusieurs constructions illégales ont été démontées sous les caméras des smartphones, et des voitures mal garées ont été saisies.

Chaque citoyen est responsable 

Les cybercommunautés de ce type se comptent par dizaines en Tunisie. On y trouve par exemple : « Chats et chiens de Tunisie, aidons-les« , qui compte 18 800 membres pour le sauvetage des animaux errants ; « Non à la serpillère et au sceau« , qui dénonce l’emploi de jeunes filles mineures comme aides ménagères ; ou encore  » Winou el Patrimoine ? « , pour la protection et la revalorisation des bâtiments délaissés et abandonnés.

Mais alors, pourquoi ne pas former des associations, en dehors de Facebook, pour prolonger le combat ? Réponse de Neziha Gouider-Khouja : « Nous souhaitons voir chaque citoyen prendre sa part de responsabilité individuelle. Nous ne voulons pas gérer de finances, et par-dessus tout, nous tenons à garder notre libre-arbitre et notre liberté d’action. Nous voulons montrer que des choses peuvent se faire en dehors de systèmes hiérarchisés qui deviennent lourds et directifs, quelle que soit la légèreté de leur structure et la noblesse de leur cause de départ ».

Pour la militante, l’utilisation des réseaux sociaux sera de plus en plus puissante dans la création d’une culture de la latéralité, caractérisée par des échanges directs entre les membres, l’absence de hiérarchie et donc d’aliénation de l’individu, etc. « La société tunisienne, étant obligée de s’émanciper par rapport à son addiction au pouvoir central, invente tous les jours des moyens de survivre et de s’organiser « , ajoute Neziha Gouider-Khouja. Facebook, cinquième pouvoir national ? Ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières…

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