Burundi : l’avocat du général Ndayirukiye dénonce un « procès inéquitable »
Son procès s’est ouvert lundi 14 décembre à Gitega. Mais le général Cyrille Ndayirukiye, incarcéré depuis sept mois pour avoir été l’un des principaux instigateurs du putsch avorté du 13 mai, n’a déjà plus d’avocats. Ses trois défenseurs – deux Burundais et un Belge – ont en effet été récusés par le Parquet. Bernard Maingain, l’avocat belge, a répondu aux questions de Jeune Afrique.
Le Belge Bernard Maingain, qui n’était pas présent à l’ouverture du procès, a même été accusé par le procureur d’être lui-même impliqué dans la tentative de coup d’État qui visait à renverser Pierre Nkurunziza, à la veille d’une élection présidentielle controversée qui a plongé le pays dans la crise. Il est vrai que cet avocat très actif depuis vingt-cinq ans dans la région des Grands Lacs figure parmi les bêtes noires du régime. Rapporteur du Tribunal Russell sur le Burundi, avocat d’une trentaine de familles de victimes de la répression à Bujumbura, il entretient des liens étroits avec l’opposition burundaise en exil, y compris parmi les militaires.
Bernard Maingain revient pour Jeune Afrique sur la stratégie de défense des officiers accusés, invoquant « l’état de nécessité » face à une troisième candidature qu’il estime illégale.
Jeune Afrique : Pourquoi n’étiez-vous pas présent à l’ouverture du procès, où vous deviez défendre quatre officiers putschistes dont l’ancien ministre de la Défense, Cyrille Ndayirukiye ?
Bernard Maingain : Le débat, cette semaine, devait porter sur des questions de procédure invoquées par la défense. Nous réclamons d’obtenir une copie du dossier, ce qui nous a été refusé jusque-là. Nous souhaitions également définir un calendrier pour l’audition de témoins qui nous tiennent à cœur et pour les audiences de plaidoiries. En dernier lieu, nos clients avaient insisté pour qu’on revoie leurs conditions de détention, particulièrement pénibles. Nous avions convenu que mes confrères burundais se chargeraient de ce débat de procédure.
Par ailleurs, des contacts au niveau du Haut Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies m’ont déconseillé de venir suite aux événements du week-end, pour des raisons de sécurité.
Lundi, vous avez été récusé par le procureur au motif que vous seriez vous-même impliqué dans le putsch. Les deux avocats burundais de Ndayirukiye ont également été récusés. Que vous reproche-t-on au juste ?
En ce qui me concerne, le procureur a simplement annoncé que je ne pourrai pas défendre le général Ndayirukiye car je devais être, moi aussi, poursuivi dans le cadre du putsch du 13 au 15 mai. Mardi matin, le procureur a par ailleurs récusé mes deux confrères, Mes Onésime Kabayabaya et Lambert Nsabimana, pour entrave à la justice. Or il faut savoir que nous étions les trois seuls avocats du général Ndayirukiye, qui est la personnalité la plus importante de ce procès.
Que signifie « entrave à la justice », dans leur cas ?
Apparemment, les demandes formulées lundi ont déplu au président du tribunal. Nous considérons donc que nous sommes dans les conditions d’un procès inéquitable.
C’est une manière de m’empêcher de poser le pied sur le territoire burundais
Depuis la fin 2014, vous vous êtes engagé aux côtés des opposants à la réélection de Pierre Nkurunziza. Que vous inspire cette accusation de participation au putsch ?
C’est une manière de m’empêcher de poser le pied sur le territoire burundais alors que j’ai des liens étroits avec une grande partie de la population burundaise impliquée dans la contestation contre la réélection de Pierre Nkurunziza, et que je suis en mesure de fournir des informations détaillées sur ce qui se passe actuellement au Burundi. Mais je ne suis pas une exception: de nombreux représentants de la société civile burundaise ont fait l’objet de semblable accusation.
Votre client est clairement impliqué dans le putsch du 13 mai. Comment comptiez-vous le défendre face à cette accusation grave ?
Nous comptions d’abord restituer la vérité concernant certains faits importants liés au putsch manqué, notamment concernant le rôle de certaines personnalités qui sont aujourd’hui libres de leurs mouvements au Burundi.
Vous voulez parler du rôle prêté au chef d’état-major de l’armée ou au ministre de la Défense, soupçonnés d’avoir soutenu le projet de putsch avant de faire volte-face ?
Nous souhaitons effectivement que ces deux responsables soient confrontés, à la barre, à notre client. La vraie question qui se pose c’est d’établir si, à ce moment-là, l’appareil militaire et policier du Burundi était globalement décidé à provoquer le départ de Pierre Nkurunziza. Des trahisons sont manifestement intervenues au sein des forces de défense burundaises.
Que signifie « l’état de nécessité » que vous invoquez pour justifier le rôle de votre client dans un coup d’État contre Pierre Nkurunziza ?
En droit, l’attitude du général Ndayirukiye et des différents officiers impliqués pose une question majeure : à partir de quel moment des militaires peuvent-ils refuser d’obéir aux ordres de supérieurs hiérarchiques ou se détacher des instructions gouvernementales? Dans le contexte burundais de l’époque, on est dans les conditions de ce qu’on appelle « la résistance légitime » à l’ordre illégal de l’autorité supérieure.
À quel ordre illégal vote client aurait-il résisté ?
La loi fondamentale burundaise et les accords d’Arusha interdisaient à Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat. Les autorités ont violé ces textes. La question est de savoir si les militaires et les officiers de la police avaient le devoir de résister à cette position illégale. L’état de nécessité est un concept, en droit pénal, qui dit que lorsqu’il y a deux violations concomitantes de la loi, la préservation de la valeur supérieure l’emporte. Pour prendre un exemple, il vaut mieux que je monte sur un trottoir avec ma voiture plutôt qu’écraser un piéton, car la valeur supérieure, c’est la vie.
Depuis le 13 novembre, date d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, la communauté internationale semble impuissante à endiguer la crise…
La médiation placée sous présidence ougandaise traînaille. Et c’est d’autant plus surprenant qu’on sait qu’on a affaire à une course contre la montre. On doit mettre autour de la table les protagonistes du conflit, or ça ne ne se fait toujours pas. Il faut désormais utiliser la contrainte, car il n’y a pas de norme juridique sans contrainte.
Le Conseil de sécurité dispose de cette prérogative, sous peine d’adopter des sanctions si les autorités ne se conforment pas aux résolutions de l’ONU incitant au dialogue avec les opposants. Aujourd’hui, celui-ci ne prend pas suffisamment ses responsabilités. Par ailleurs, je pense que le bureau du procureur de la CPI doit s’investir dans les enquêtes sur les crimes susceptible de revêtir la qualification de crimes contre l’humanité, comme les exécutions extrajudiciaires auxquelles on a assisté le week-end dernier. L’avenir d’un certain nombre de dirigeants burundais, aujourd’hui, est judiciaire et non politique.
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