Tunisie : cinq ans après l’étincelle de la révolution, le désenchantement
Il y a tout juste cinq ans, le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, un marchand ambulant de légumes auquel un agent municipal avait confisqué son étal, s’immolait en pleine place publique. Son geste mettait le feu aux poudres du soulèvement tunisien qui fit chuter Ben Ali, un mois plus tard, le 14 janvier 2011.
« Bouazizi, que Dieu lui pardonne ; il n’y est pour rien dans cette affaire de révolution. C’était finalement une manipulation ; une grosse farce », lance avec amertume, Aymen, un palefrenier de Hay Ettadhamen, faubourg populaire en périphérie de Tunis, qui est parmi les premiers à s’être lancé dans l’insurrection populaire. Cinq ans après, plus personne ici ne croit en la révolution « du jasmin ».
« L’espoir que nous avons eu est à la hauteur de notre désenchantement actuel », assure Hadda, une ouvrière qui souligne que la vie est devenue bien difficile. « Tout est cher ; dans ces conditions comment faire vivre une famille et assurer l’avenir des enfants ? », s’interroge cette quarantenaire qui ne craint plus de dire qu’elle regrette le temps de Ben Ali qui « au moins, quand cela allait mal, faisait distribuer des couffins et des aides ». Mais Hadda comme son mari, qui avaient voté en 2011 pour le Congrès pour La République (CPR), parti fondé par Moncef Marzouki, s’insurgent contre la mainmise des islamistes sur le quartier et une nouvelle forme d’insécurité.
Présence inquiétante des extrémistes
Car ici, les petits voyous continuent leurs larcins et traficotent dans la drogue et l’alcool, mais c’est la présence d’extrémistes religieux qui inquiète les familles. L’homme qui a fait exploser un bus de la garde présidentielle, le 24 novembre à Tunis, était un voisin, comme l’un des agents tués dans l’attentat. « Avant de mourir, le terroriste a eu le temps de construire une maison de deux étages », fait remarquer un boulanger qui refuse d’en dire plus par crainte de rétorsions. En revanche, son fils, à côté de lui, bouillonne. Il en veut aux politiciens, à leurs promesses jamais tenues et se dit prêt à se ranger du côté de Daesh si l’État islamique arrivait un jour au pouvoir en Tunisie.
La situation de la majorité des jeunes, qui représentent 60 % de la population de Hay Ettadhamen, ne s’est pas améliorée
« Cela mettrait fin à l’injustice et à la corruption ; ceux qui nous dirigent s’en sont mis plein les poches et c’est des gens comme moi qui payons. La vraie révolution ne devrait pas tarder », assène le jeune homme en colère contre la planète entière. Comme pour lui, la situation de la majorité des jeunes, qui représentent 60 % de la population du ghetto urbain qu’est devenu Hay Ettadhamen, ne s’est pas améliorée. « Que l’on nous parle pas de démocratie et plus jamais de politique », lance un autre, écœuré, qui fait remarquer que les usines aux alentours ferment, qu’il n’y a pas de droits ni de libertés avec des ventres vides et que la délinquance est aussi une conséquence de la mauvaise gouvernance.
« Durant la campagne des législatives, un des élus avait promis de nous rendre compte de ce qu’il avait accompli durant les trois premiers mois de son mandat ; depuis on ne l’a plus vu. On n’a pas pris les mêmes mais rien n’a changé », conclut Ali qui regrette que personne ne donne l’exemple, qu’aucun chef ne soit crédible à ses yeux. Et quand on évoque devant lui la Constitution, les acquis en termes de liberté de la révolution… il éclate de rire.
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