Financements occultes au Sénégal : comprendre les aveux de Lamine Diack

La corruption au sein de la fédération internationale d’athlétisme (IAAF) a-t-elle servi à financer une campagne électorale de l’opposition à Abdoulaye Wade au Sénégal en 2012 ? C’est en tout cas ce qui ressort des aveux à la justice française de l’ancien président de l’IAAF, Lamine Diack, dont Le Monde s’est procuré les déclarations.

Lamine Diack, en août 2015. © Kin Cheung/AP/SIPA

Lamine Diack, en août 2015. © Kin Cheung/AP/SIPA

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Publié le 18 décembre 2015 Lecture : 4 minutes.

Dans ses aveux aux enquêteurs français de l’Office central de lutte contre les infractions financières et fiscales, le Sénégalais, ancien président de l’IAAF, mis en examen pour  »corruption passive » et « blanchiment aggravé », explique notamment comment il a reçu de l’argent de la part de la fédération russe à des fins politiques.

« Il fallait à cette période [lors des élections législatives et présidentielle de 2012, NDLR] gagner la « bataille de Dakar », c’est-à-dire renverser le pouvoir en place », a ainsi déclaré Lamine Diack. « J’avais donc besoin de financements pour louer les véhicules, des salles de meetings, pour fabriquer des tracts dans tous les villages et tous les quartiers de la ville [et] c’est (Valentin) Balakhnichev [le président de la fédération russe] qui a organisé tout ça », détaille l’ancien maire de Dakar.

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À l’époque, de nombreux athlètes russes sont sous la menace de suspensions pour dopage. De plus, l’IAAF était au même moment en négociation pour ses droits de sponsoring, avec notamment deux entreprises russes, la chaîne de télévision RTR et la banque publique VTB. Pour eux, il « fallait reporter la suspension (…) après les championnats du monde de 2013 [organisés à  Moscou, NDLR]. (…) Si des athlètes avaient été suspendus, c’était la catastrophe », détaille Lamine Diack.

« Pour gagner les élections »

Se met alors en place, autour du Sénégalais, d’Habib Cissé, son conseiller juridique, et de Gabriel Dollé, le responsable du département médical et antidopage de l’IAAF, tous deux également mis en examen, un système de corruption.

Dès 2009, celui-ci se serait mis en place. « La Russie a donné 400-450 000 euros pour la campagne » des municipales 2009 afin que le fils d’Abdoulaye Wade, Karim, soit battu, assure Lamine Diack, qui affirme être passé par Valentin Balakhnichev , ainsi que par l’ambassadeur de Russie à Dakar.

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Là non plus, Lamine Diack ne précise pas à quel opposant à la liste formée par Pape Diop, le maire sortant -et sur laquelle figurait Karim Wade, le fils du chef de l’État-, a pu bénéficier ce financement. À l’époque, le candidat de Benno Siggil Sénégal était le socialiste Khalifa Sall, qui remportera la mairie de la capitale. Mais selon l’un de ses proches, interrogé par Jeune Afrique plusieurs mois avant les révélations de Diack, celui-ci avait mené une campagne sans moyen. « Le PS n’était plus au pouvoir depuis 2000 et Benno Siggil ne croyait pas en ses chances face au Parti démocratique sénégalais, qui bénéficiait des moyens de l’État », confiait-il.

Mais c’est surtout pour les échéances présidentielle et législatives de 2012 que le système semble avoir été mis en place. « Nous nous sommes entendus, la Russie a financé. (…) Papa Massata Diack [l’un des fils de Lamine Diack, NDLR] s’est occupé du financement avec Balakhnichev. (…) Quand j’ai sollicité une aide de la part de Balakhnichev, je lui ai dit que pour gagner les élections, il me faudrait environ 1,5 million d’euros. (…) Il m’a dit : ‘On va essayer de les trouver, il n’y a pas de problème’ », explique Lamine Diack au juge Van Ruymbeke, chargé de l’instruction, selon les procès-verbaux que Le Monde s’est procurés.

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Valentin Balakhnichev a démenti, toujours dans Le Monde : « Ni moi ni ma fédération n’avons été impliqués dans une telle discussion ou affaire avec Lamine Diack. Ce type de business n’est pas de notre intérêt et pouvoir. Nous ne pouvons pas interférer dans les affaires intérieures du Sénégal. »

Pour lui-même ou pour un autre candidat ?

Quelle candidature a donc pu bénéficier des largesses du système Diack ? L’ancien président de l’IAAF n’y répond pas dans ses auditions, se bornant à parler d’un soutien à l’opposition. Au juge Van Ruymbeke, qui lui a demandé qui, au Sénégal, avait reçu l’argent des Russes, il botte en touche en expliquant que son propre fils, Papa Massata Diack, toujours recherché, pourrait répondre.

L’ancien président de l’IAAF n’y répond pas dans ses auditions, se bornant à parler d’un soutien à l’opposition

Les options semblent donc multiples, tant Lamine Diack s’est impliqué, à des degrés divers dans des campagnes politiques en 2012.

  • Sa propre campagne

Lui-même était d’abord apparu comme un candidat à la présidentielle potentiel, au sein de la mouvance Benno Siggil Sénégal. Habib Cissé, son conseiller juridique, se souvient d’ailleurs, devant le juge, d’un déjeuner organisé avec le président Diack, son fils et le ministre des sports russe, Vitali Mutko.

« Le ministre avait demandé au président Diack s’il entendait lui-même être candidat à la présidence de la République du Sénégal. Lamine Diack lui a répondu avec le sourire : ‘Je n’en sais trop rien.’ Le ministre a dit  : ‘Sachez que vous pourriez, le cas échéant compter sur notre soutien.’ Pour moi, c’était une boutade », confie Habib Cissé.

  • La campagne de Benno Siggil Sénégal

Mais la candidature Diack ne se fera pas, aucun consensus ne se dégageant autour de son nom. Lamine Diack renonçant, Benno Siggil Sénégal lance alors deux candidats : Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse, incapables de s’entendre sur une candidature commune, mais farouchement décidé à mettre fin au règne d’Abdoulaye Wade.

  • La campagne de Macky Sall

Enfin, dernière possibilité : un soutien au camp de Macky Sall. La mouvance Benno Siggil, a en effet rejoint, pour le second tour, le front commun derrière le futur chef de l’État, qui remportera finalement la présidentielle face à Abdoulaye Wade. Lamine Diack a d’ailleurs été cité, après l’élection, comme un potentiel candidat au poste de Premier ministre.

Toutefois, El Hadj Kassé, le ministre chargé de la communication de la présidence, a déclaré au Monde n’avoir reçu « aucun financement de Lamine Diack et a fortiori de la Russie ». Information qu’il a confirmée à Jeune Afrique, précisant que le budget communication de la campagne de Macky Sall s’élevait à 10 millions de F CFA. Selon les informations de Jeune Afrique, rien ne permet d’attester que Lamine Diack ait joué un rôle dans la campagne du candidat Macky Sall.

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