« Réintroduire un vice-président en Algérie aurait pour objectif d’apaiser les craintes liées à la succession » de Bouteflika
L’interminable révision constitutionnelle est revenue sur le devant de la scène en Algérie. Le 19 décembre, le secrétaire général du FLN, Amar Saâdani, a déclaré que cette révision » interviendrait en janvier « , sans donner de précision quant à sa date ou à sa procédure d’adoption. Nous avons passé en revue les points chauds du débat avec la constitutionnaliste algérienne Fatiha Benabbou.
Annoncée dans la foulée des révoltes arabes en 2011 par le président Abdelaziz Bouteflika, la révision en profondeur de la Loi fondamentale est devenue l’Arlésienne de la politique en Algérie. Elle est régulièrement sortie des tiroirs pour montrer les bonnes intentions du pouvoir en matière de réforme institutionnelle. Le 19 décembre, le secrétaire général du Front de libération nationale (FLN), Amar Saâdani, a déclaré que cette réforme interviendrait finalement en janvier. Un avant-projet a été examiné la semaine dernière par un comité restreint de ministres présidé par Abdelaziz Bouteflika. Même si peu de contenu a filtré, quelques éléments de réforme commencent à cristalliser le débat en Algérie. Décryptage de Fatiha Banabbou, professeure de droit public à l’Université d’Alger.
Jeune Afrique : L’un des projets de la révision constitutionnelle serait de limiter à nouveau les mandats présidentiels. N’est-ce pas étrange, puisque c’est Abdelaziz Bouteflika lui-même qui a décidé de changer les textes à ce sujet, en 2008, pour pouvoir briguer un troisième et puis un quatrième mandat ?
Fatiha Benabbou : Pour tenter de comprendre ce revirement du président, on peut avancer deux hypothèses. La première est peut être que le pouvoir en place veut donner des gages de démocratie aux institutions internationales et aux partenaires de l’Algérie. La deuxième est que la suppression du verrou a été tellement critiquée par l’opposition, qu’il est fort probable que sa réintroduction dans la nouvelle révision relève de la tactique de la » vente concomitante » : » On vous concède ce point mais on règle la succession au pouvoir par le biais du dauphinat comme cela se passait dans le bon vieux temps dans les pays africains (un outil pratique garantissant la transmission du pouvoir présidentiel à un héritier sur mesure, ndlr) « . C’est là que la création d’un poste de vice-président entre en jeu.
La création d’un poste de vice-président vous semble-t-elle être une mesure pour pallier à une éventuelle vacance de pouvoir due à la maladie d’Abdelaziz Bouteflika ?
La création d’une vice-présidence était déjà prévue par l’article 112 de la Constitution de 1976 pour seconder et assister le président de la République dans sa charge. Mais elle a été grevée d’une double tare. D’abord, elle demeurait une simple faculté entre les mains du chef de l’État qui pouvait, à sa guise, s’adjoindre un ou plusieurs vice-présidents. Ce qui, finalement, n’est jamais arrivé. De surcroît, simplement nommé, le vice-président ne disposait d’aucune légitimité élective en mesure de faire ombrage au président.
L’institution d’une vice-présidence n’a jamais vu le jour, tant était grande la hantise de voir cette autorité s’instituer en centre de pouvoir autonome.
Par ailleurs, ses fonctions s’inscrivaient dans un strict rapport de délégation et étaient réduites à leur portion congrue par l’effet de l’article 116 qui rétrécissait considérablement les matières susceptibles d’être déléguées. Simple délégataire, il ne pouvait, en aucune manière, concurrencer le Président.
Par conséquent, quoique confiné dans son statut, l’institution d’une vice-présidence n’a jamais vu le jour, tant était grande la hantise de voir cette autorité s’instituer en centre de pouvoir autonome. Or, en habile et fin connaisseur du système politique algérien, le défunt Président Boumediène savait pertinemment que les turbulences et les crises étaient inévitables dès qu’une forme ou une autre de polycentrisme apparaissait.
Aujourd’hui, la création de ce poste de vice-président aurait pour objectif d’apaiser les craintes nées du problème toujours pénible et délicat de la succession présidentielle. Un vice-président pourrait éviter les surprises inévitablement liées à l’intérim, de même que les tensions ravivées par les convoitises et les appétits du pouvoir. Dans un pays où le processus d’institutionnalisation du pouvoir est inachevé, l’intérim s’est révélé le talon d’Achille de la légitimité constitutionnelle. Signe d’une instabilité politique chronique, le pays s’apprête, actuellement, à vivre une succession à hauts risques.
Selon l’entourage du président, la prochaine Constitution pourrait consacrer un État » civil « . L’Algérie n’est pourtant pas un État militaire. Que signifie ce concept ?
Il s’agit tout simplement d’une expression inadéquate. Dans le schéma théorique, tout État moderne en tant que pouvoir politique institutionnalisé est, par définition, un État civil puisque toute sa socio-genèse est l’illustration de son émancipation vis-à-vis des autres pouvoirs (notamment du pouvoir religieux).
De prime abord, et à un niveau superficiel tel qu’il ressort de la lecture de la Constitution de 1996, celle-ci confère la souveraineté au seul peuple. De même, l’article 25 de la Constitution ne reconnaît que des attributions classiques à l’Armée nationale populaire (sauvegarde de la souveraineté nationale et défense du territoire). C’est la mission de toutes les armées du monde. Ce qui signifie clairement que l’Algérie n’est pas un État militaire. C’est pour cela qu’il est préférable de parler de pouvoir politique civil, et non pas « d’État civil ».
Il est possible que cette notion d’État civil veuille marquer le dépassement de ce qui a longtemps été un État dirigé de fait par la Direction du renseignement et de la sécurité (DRS). Les derniers changements intervenus récemment au sein des services (limogeage du général Toufik et son cercle rapproché, procès, etc.) pourraient être une évolution dans ce sens…
L’opération » d’effeuillage » des prérogatives des services algériens (le DRS, ndlr) s’est effectuée au profit du ministère de la Défense nationale. Elle ne peut donc pas nous renseigner sur la volonté politique d’aller vers la primauté du politique sur le militaire. De plus, l’organisation de l’institution militaire (et avec elle le DRS), qui façonne la vie politique depuis l’indépendance du pays, n’est, la plupart du temps, pas régie par des textes publiables au Journal officiel.
Les interférences de l’armée dans le champ politique ont brouillé toute visibilité des lieux du pouvoir.
Donc, il est pratiquement impossible, à l’heure actuelle, de savoir s’il y a eu un changement ou non. La frontière entre le politique et le militaire a toujours été très ténue et remonte à la guerre de libération nationale. Dès l’indépendance, les interférences de l’armée dans le champ politique ont brouillé toute visibilité des lieux du pouvoir.
Pouvez-vous nous donner des exemples de ces interférences ?
Prenons l’exemple de 1989 où, effectivement, l’ANP s’est officiellement retirée du comité central du FLN. Dans les faits, ce retrait n’a pas rompu le cordon ombilical entre la » grande muette » et l’exercice politique. Par ailleurs, on ne doit pas oublier que le président actuel a pris soin de s’adjuger le portefeuille du ministère de la Défense nationale, en sus de l’attribution classique de chef suprême des armées que lui confère la Constitution. Croyez-vous vraiment que l’armée soit encline à se retirer du jeu politique ?
Dans le débat sur la Constitution, il serait aussi également question d’introduire des notions de liberté de conscience et de liberté religieuse…
La liberté de conscience est déjà consacrée et est même considérée comme inviolable par l’article 36 de la Constitution de 1996. D’ailleurs, toutes les constitutions algériennes ont garanti l’inviolabilité de la conscience et de l’opinion. Et de plus, elles sont accompagnées par l’affirmation parallèle de l’interdiction de toute discrimination pour cause d’opinion, ce qui permet à tout un chacun d’avoir des convictions profondes, en son for intérieur, et interdit à l’administration d’en tenir compte, c’est-à-dire, qu’il ne peut y avoir de police de la pensée. C’est que l’État algérien ne connaît que des citoyens. Croyants ou non, ils sont tous égaux en droit devant lui.
Le constituant algérien ne voudra pas heurter la sensibilité religieuse de la majorité des Algériens.
En revanche, le problème se pose pour les libertés religieuses. Certes, une ordonnance de février 2006 est déjà venue régir les cultes autres que musulman. Mais les consacrer dans la Constitution sera peut-être plus délicat. Le constituant algérien ne voudra pas heurter la sensibilité religieuse de la majorité des Algériens.
Sous la pression des fondamentalistes, les rédacteurs de la future Constitution vont peut-être hésiter à franchir le pas, craignant d’être mal compris, sinon délégitimés. Le référent religieux et sa symbolique constituent un instrument de légitimation du pouvoir, dont ce dernier ne se prive pas, au risque, d’ailleurs, d’en être prisonnier. La surenchère est une initiative périlleuse, peu crédible et profite à terme à la contestation islamiste qui radicalise ses positions.
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