Aérien : le low-cost en Afrique, c’est possible ?
Les compagnies à bas coût ayant fait leurs preuves aux États-Unis, en Europe et en Asie, le fondateur d’easyJet veut y croire au sud du Sahara. Reste à trouver un modèle économique adapté au continent.
Une fois encore, Stelios Haji-Ioannou aura réussi à faire parler de lui. Le flamboyant fondateur d’easyJet, pionnier du low-cost aérien en Europe, a annoncé son intention de créer une compagnie similaire en Afrique de l’Ouest. « Le continent représente la dernière frontière pour la révolution aérienne que constitue le modèle à bas coût, qui a commencé aux États-Unis dans les années 1970 avant de se poursuivre en Europe dans les années 1990 », affirmait le tycoon anobli par Élisabeth II dans un entretien au quotidien britannique The Times, le 6 décembre 2011.
Pour parvenir à ses fins, sir Stelios et son holding easyGroup se sont associés au conglomérat d’investissement britannique Lonrho. Celui-ci dispose d’un portefeuille diversifié d’activités sur le continent (agrobusiness, hôtellerie, transports et infrastructures) où figure la compagnie Fly540, fondée en 2006. Active en Afrique de l’Est, en Angola et au Ghana, cette dernière dispose de quatorze appareils.
Un hub à Accra
Une équipe d’une dizaine de personnes issues d’easyGroup et de Lonrho est à pied d’oeuvre en Afrique de l’Ouest. Richard Shackleton, easyGroup.
Le modèle low cost, tel qu’il se décline en Occident, repose sur des économies d’échelle réalisées grâce à une organisation optimale. En Europe, le britannique easyJet (plus de 55 millions de passagers en 2011) et l’irlandais Ryanair (76 millions) se positionnent ainsi sur des liaisons entre deux zones densément peuplées, capables de remplir des avions de 150 places (easyJet compte 200 Airbus A320 et A319) volant jusqu’à cinq fois par jour.
Le service offert à bord y est réduit et le personnel, payé au plus juste. En outre, des tarifs préférentiels sont obtenus sur des aéroports secondaires. Parfois, les compagnies reçoivent même des subventions publiques en contrepartie du développement économique généré localement. Dernier élément : la vente de billets se fait uniquement par internet.
Pour la plupart des professionnels, ce modèle n’est guère duplicable tel quel au sud du Sahara. Si l’Afrique du Sud compte une poignée de vraies compagnies low cost comme Kulula (lire encadré), Mango et 1Time, peu parient sur le succès de sir Stelios en Afrique de l’Ouest. Cheikh Tidiane Camara se montre sceptique. « Je ne vois pas comment ils vont réussir à baisser les coûts aéroportuaires, qui sont de quatre à cinq fois plus élevés qu’en Europe et constituent une source de revenus substantiels pour les États. »
La vente par internet, un des éléments clés du low-cost, est aussi problématique, compte tenu du faible volume de cartes de crédit en circulation dans le continent. « En dehors de l’Afrique du Sud, pour vendre des billets d’avion, il faut nécessairement passer par une agence, bien plus onéreuse et risquée [fraudes et insolvabilité, NDLR] qu’un site de vente en ligne », souligne Elijah Chingosho. Le secrétaire général de l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa) s’étonne de ne pas avoir été consulté par l’équipe de Stelios.
Kulula, un comique dans le cockpit
En Afrique du Sud, la compagnie Kulula (« C’est facile », en zoulou) s’est imposée grâce à un modèle low cost appliqué strictement et à une communication peu onéreuse… et décalée. Ses publicités font la part belle à des passagers transformés en superhéros, les fuselages des appareils sont peints en vert, avec des commentaires amusants. Quant aux messages des hôtesses et stewards, ils intègrent toujours des bons mots : les passagers sont par exemple menacés d’une interrogation écrite sur les procédures de sécurité. Filiale du sud-africain Comair (détenu à 11 % par British Airways) fondée il y a dix ans, Kulula est aujourd’hui le deuxième transporteur du pays, avec une part de 20 % du marché intérieur. La compagnie dispose de douze appareils (huit autres sont en commande) et réalise un chiffre d’affaires de plus de 2 milliards de rands (près de 200 millions d’euros). C.-L.B.
Obstacles
Chez Royal Air Maroc, première compagnie africaine dans l’ouest du continent, on est aussi dubitatif. Pour Abderrafie Zouitene, directeur général adjoint, les obstacles réglementaires ne manqueront pas de brider les ambitions de la future Fastjet. « Je leur souhaite bien du courage ! Quand on voit nos difficultés à obtenir les autorisations pour des liaisons intra-africaines vers le Sénégal ou la Mauritanie, qui usent de protectionnisme pour préserver leurs compagnies nationales, on comprend qu’on n’en est pas encore au stade du low-cost. Il faudrait déjà que le ciel ouest-africain soit ouvert aux compagnies du continent », souligne-t-il.
Même Erik Venter, patron de Kulula, qui applique le modèle à bas coût, n’est pas convaincu. « En Afrique du Sud, nous disposons de grandes villes comme Johannesburg, Le Cap et Durban, avec une classe moyenne qui a la possibilité de se payer un billet d’avion low cost. Mais la situation est bien différente ailleurs en Afrique australe. Nous avons du mal à remplir nos vols de Johannesburg, où vivent un grand nombre de Zimbabwéens, vers Harare. Quant à l’île Maurice, nous n’y allons que pendant la saison touristique… »
Modèle sud-américain
Certaines zones du continent seraient pourtant – sur le papier – optimales pour des vols à bas coût. « Il va sans dire qu’à l’intérieur du Nigeria, entre Lagos, Abuja et Kaduna, il y a de quoi générer un trafic, mais les infrastructures et les tracasseries administratives sont telles qu’il paraît illusoire que ces liaisons se développent rapidement », estime Cheikh Tidiane Camara. D’autres lignes sont aussi jugées intéressantes, comme Nairobi-Mombasa, au Kenya, mais aussi entre des grandes villes d’affaires comme Accra, Kumasi (Ghana), Lagos, Abidjan et Douala.
L’initiative de sir Stelios peut orienter les coûts aéroportuaires et les taxes à la baisse.
Bastian Klasen, Lufthansa
Certains croient pourtant à l’émergence en Afrique d’un modèle à bas coût différent, inspiré de l’expérience sud-américaine. « Le ciel ouest-africain se caractérise par un volume de trafic modeste et réparti entre de nombreuses destinations. Faire du low-cost comme en Europe avec de grands avions est impossible.
Mais c’est envisageable avec une flotte d’appareils de 40 à 120 places, explique Mathieu Duquesnoy, vice-président Afrique et Moyen-Orient du constructeur aéronautique brésilien Embraer.
La compagnie brésilienne Azul, qui s’est dotée d’Embraer 175 et 190 [78 et 98 places], effectue des liaisons à des prix attractifs grâce à son taux de remplissage élevé. » Fly540 fonctionne d’ailleurs avec des avions ATR de même capacité. Bien que les économies dégagées ne soient pas aussi importantes qu’avec un Airbus A320, elles sont néanmoins bien réelles.
Pour Bastian Klasen, consultant à la direction stratégique de Lufthansa, « Fastjet ne sera pas exactement une compagnie low cost, mais l’initiative de sir Stelios est la bienvenue. Bien sûr, il joue sur son image de fondateur d’easyJet pour faire de la communication. Néanmoins, cela peut aider à faire bouger les lignes, en poussant notamment les coûts aéroportuaires et les taxes à la baisse. Cela peut aussi générer du trafic en plus au bout des lignes intercontinentales. Une évolution qui profitera à tout le monde. »
Le ciel maghrébin sous pression
Au Maroc et en Égypte, le low-cost est une réalité depuis le milieu des années 2000. « L’accord Open Sky, signé en 2004 par le Maroc avec l’Europe pour ouvrir l’espace aérien, a entraîné un déferlement de la concurrence », se souvient Abderrafie Zouitene, numéro deux de Royal Air Maroc (RAM). En 2004, il y avait 22 transporteurs dans le royaume. Fin 2010, ils étaient 44, dont 18 low cost représentant 35 % des vols vers le royaume chérifien.
Une concurrence qui n’a pas fait le bonheur de tous. La RAM n’a pas pu s’aligner sur les prix cassés de Ryanair (35 liaisons marocaines) et d’easyJet (21). Elle a dû demander 150 millions d’euros d’aides de l’État pour se remettre à flot. Cette expérience difficile explique la frilosité de l’Algérie et de la Tunisie, qui ont suspendu fin 2011 leurs négociations avec l’Europe sur l’ouverture de leur ciel. En Égypte, l’arrivée du low-cost (notamment avec easyJet et Air Arabia) a été moins violente pour Egyptair dans la mesure où son hub du Caire a été volontairement exclu de l’accord Open Sky, signé en 2006.
Pas rentable
Reste que, d’après un spécialiste, Jet4you (du tour-opérateur allemand TUI) et Air Arabia ne gagneraient pas d’argent au Maroc. « Les compagnies low cost se sont focalisées sur leur taux de remplissage, parfois à perte. Certaines villes marocaines ne sont parfois desservies qu’une fois par semaine, uniquement parce que cela permet de rentabiliser une ligne européenne à proximité », affirme Abderrafie Zouitene.
« La plupart des vols low cost en Afrique du Nord sont à destination de l’Europe, regrette Cheikh Tidiane Camara, président du cabinet de conseil Ectar. Or il y a un potentiel de développement pour une compagnie locale à bas coût qui pourrait assurer des vols entre villes maghrébines. Un seul obstacle empêche la réussite d’un tel projet, et il est politique. ». C.-L.B.
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