Dans l’intérêt de l’Afrique, mieux vaut prévenir que guérir
Une tribune cosignée par Alexandre Marc et Olivier Ray.
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Alexandre Marc
Spécialiste Fragilités, Conflits et Violence à la Banque mondiale et co-auteur de « Relever les défis de la stabilité et de la sécurité en Afrique de l’Ouest », AFD-Banque mondiale, 2015.
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et Olivier Ray
Responsable de l’unité de prévention des crises de l’AFD, il est co-auteur du « Temps de l’Afrique » (Odile Jacob, 2010).
Publié le 5 janvier 2016 Lecture : 3 minutes.
Tel un métronome, le balancier entre afro-optimisme et afropessimisme vient d’effectuer un nouveau mouvement de bascule vers le pessimisme. Après la parution cet été d’un rapport parlementaire inquiet sur « La stabilité et le développement de l’Afrique francophone », la sortie du livre de Serge Michailof Africanistan et celle du film Beasts of No Nation renvoient le continent à la violence de ses transformations – et à ses répercussions sur l’Europe.
Les prévisions optimistes de croissance africaine sont-elles en passe d’être démenties ? Pas tout à fait : le regain de violence durant les cinq dernières années a eu lieu à un moment où le continent connaissait une croissance record. Les villes se transforment ; une classe moyenne émerge ; les Africains se connectent aux réseaux de la mondialisation. Ces mutations ont de fortes chances de se poursuivre malgré la recrudescence des conflits. Le coût humain de ces transformations, en revanche, pourrait être considérablement alourdi par les violences.
Le rapport « Relever les défis de la stabilité et de la sécurité en Afrique de l’Ouest », publié par la Banque mondiale, nous invite ainsi à nuancer la relation intuitive entre croissance économique et stabilité politique. Certaines formes de croissance peuvent être facteurs de conflits : dans leur compétition pour le pouvoir et l’extraction des bénéfices de la croissance, les élites utilisent les perceptions d’injustices et les espoirs déçus afin de pousser les populations à la violence.
Ce constat remet-il pour autant en cause la relation entre paix et développement ? Pas si l’on considère le processus de développement – économique, social, institutionnel – à l’aune de l’exigence de durabilité. Un développement « durable » est porteur de cohésion sociale et de résilience aux chocs qui continueront à affecter un continent en pleine croissance économique mais aussi démographique. Quels sont donc les ingrédients essentiels de politiques publiques favorisant un développement durable, favorable à la paix ? Citons-en cinq parmi les multiples préconisations du rapport.
L’appui aux processus endogènes d’adaptation des institutions de gouvernance centrale et locale est essentiel afin qu’elles gagnent en capacités, en légitimité et en autorité
Premièrement, l’inadaptation des institutions au rythme des transformations économiques et sociales est l’un des facteurs principaux de conflits violents en Afrique. Bien que les transformations soient difficiles à impulser de l’extérieur, l’appui aux processus endogènes d’adaptation des institutions de gouvernance centrale et locale est essentiel afin qu’elles gagnent en capacités, en légitimité et en autorité.
Deuxièmement, les politiques de soutien à la croissance économique doivent s’accompagner d’une attention particulière à la cohésion sociale, tant « horizontale » (au sein de la société) que « verticale » (entre l’État et les citoyens).
Troisièmement, la gestion de l’accès à la terre et à l’eau est centrale pour la stabilité de territoires soumis à de fortes pressions démographiques et aux effets croissants du changement climatique.
Quatrièmement, il faut investir dans le rattrapage des zones périphériques et marginalisées. Si elles ne sont pas toujours les plus pauvres, le sentiment d’exclusion et de ressentiment vis-à-vis de l’État y est souvent le plus fort.
Des mesures urgentes pourraient accélérer l’accès à une éducation de base et professionnelle de qualité
Enfin, il faut donner des perspectives d’inclusion économique, sociale et politique aux jeunes. Des mesures urgentes pourraient accélérer l’accès à une éducation de base et professionnelle de qualité, lesquelles permettront ensuite aux jeunes d’accéder aux institutions économiques et politiques – sans quoi le fabuleux potentiel de développement que représente la jeunesse africaine révélera un potentiel de déstabilisation de ces pays et de leur voisinage.
Si l’aide au développement ne peut pas tout faire, elle a un rôle essentiel à jouer dans l’accompagnement des transformations du continent africain. L’Histoire a montré le coût exorbitant de l’inaction en matière de prévention des crises. Le vieil adage « mieux vaut prévenir que guérir » justifie aujourd’hui l’investissement dans un développement durable en Afrique – dans l’intérêt des Africains et de leur voisinage.
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