Racisme, colonialisme, discriminations : oui, les mots sont importants
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Claude Ribbe
Écrivain et cinéaste, Claude Ribbe, normalien, agrégé de philosophie, s’attache à mettre en lumière les grandes figures de l’histoire de l’Occident, issues de l’esclavage et de la colonisation. Dernier ouvrage publié : Eugene Bullard (Le Cherche Midi éditeur) – www.une-autre-histoire.org
Publié le 24 décembre 2015 Lecture : 3 minutes.
Martine Gosselink, directrice du département d’histoire d’un des plus grands musées du monde, le Rijksmuseum d’Amsterdam, a fait savoir, à la mi-décembre 2015, que son musée allait modifier les intitulés et la présentation de plus de 220 000 œuvres exposées, dans le cadre d’un programme intitulé «ajustements au sujet des terminologies colonialistes».
Les deux raisons qu’elle en donne : les titres et les commentaires modifiés (ou à modifier) contenaient des termes renvoyant pour la plupart à une époque colonialiste révolue et ils étaient, en outre, de nature à offenser certains visiteurs du musée.
Parmi les mots bannis : nègre, esclave, hottentot, maure, mahométan, mais également nain.
S’il n’est pas scandaleux que le musée d’État d’Amsterdam – ville négrière et colonialiste s’il en fut – ait à cœur de ne choquer aucun visiteur, il est permis de s’étonner que plus d’un cinquième des pièces qui y sont présentées donnent lieu à un intitulé ou à un descriptif considéré aujourd’hui comme inapproprié.
On peut en conclure que les artistes classiques étaient pour le moins fascinés pas les modèles qui ne leur renvoyaient pas nécessairement leur propre image. Si leur représentation de ces modèles était systématiquement dénigrante, sans doute serait-ce une trahison de procéder à des changements. Mais on peut penser, au contraire, que les œuvres étaient plutôt desservies par ce qu’on pouvait lire en-dessous.
La décision du Rijksmuseum a pourtant donné lieu à des critiques. Elles se résument à deux arguments : modifier l’intitulé d’un tableau – que le titre ait été choisi ou non par l’artiste – nuirait à la compréhension de l’œuvre et empêcherait de connaître les réactions qu’elle a suscitées; par ailleurs, une modification des titres des œuvres picturales pourrait amener à expurger également les titres d’œuvres littéraires, voire leur contenu.
Les critiques portent principalement sur le changement des intitulés. La réécriture des panneaux proposant des commentaires sur les œuvres exposées ne semble pas donner lieu à polémique.
L’intitulé aide-t-il à la compréhension de l’œuvre ? Il est permis d’en douter. On pourrait même avancer que le propre d’un chef-d’œuvre, c’est qu’il puisse se passer d’intitulé, voire d’explications. Tout ce que les puristes seraient en droit d’exiger du Rijksmuseum, dans leur propre logique, serait que les anciens titres soient mentionnés. Il semblerait que ce soit le cas en l’occurrence. Ce qui permet de montrer en quoi l’ancien titre pouvait être désuet, inadapté ou choquant et d’alimenter une
réflexion certainement enrichissante non pas sur l’œuvre elle-même, mais sur ce qui a pu en être dit et sur celles et ceux qui l’ont dit.
La seule raison qui justifierait de critiquer la révision des intitulés serait que les nouveaux titres prêtent à confusion, mais il semble bien qu’ils tendent à l’universel. Sera-t-on induit en erreur si une «négresse» (re)devient une femme ou si un nain (re)devient un homme ?
On remarquera, en visitant les musées d’Europe, que bien souvent la représentation d’Africains ou d’Afro-descendants donne lieu à des titres ou des explications tendancieux associant la couleur au statut d’esclave ou d’indigène, alors que le tableau traduirait plutôt l’indépendance ou la liberté.
Et il est étrange de comparer le réajustement des titres donnés aux œuvres picturales à une réécriture des titres des œuvres littéraires par les éditeurs, voire à une réécriture des livres. De telles pratiques sont évidemment contestables puisque le titre d’une œuvre est généralement validé par son auteur.
Ce qui dérange en fait dans la décision du musée d’Amsterdam, c’est qu’elle appelle tous les musées d’Europe – au premier rang desquels le musée du Louvre – à faire leur propre ménage, ce qui serait une initiative certainement salutaire.
Et quitte à ce que les conservateurs révisent leur phraséologie, sans doute serait-il utile de revoir aussi les textes de loi. François Hollande n’avait-il pas promis en mars 2012, devant des supporters représentant l’outre-mer français, de retirer, sitôt élu, le mot « race » de la constitution ? Le même type de critiques populistes que celles qui visent aujourd’hui le Rijksmuseum avaient alors fusé.
Peut-être serait-il temps d’admettre que, même si les mots ne changent pas les choses, lorsque les choses changent, les mots doivent s’adapter.
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